« Demain, rien ne nous dit que l’alimentation ne deviendra pas une arme et donc, notre responsabilité, c’est de produire sur notre sol ce qui nous permet de nous nourrir », a lancé le chef de l’État lors de l’inauguration du 61e salon de l’Agriculture. Et Emmanuel Macron d’expliquer : « nos agriculteurs ne peuvent pas être la variable d’ajustement ».
Cette année, la déambulation présidentielle s’est déroulée dans une ambiance beaucoup plus calme que pour l’édition 2024.
Pour son premier salon de l’Agriculture en tant que ministre de l’Agriculture, Annie Genevard a aussi insisté sur la nécessité de permettre à l’agriculture de produire plus : « je me bats chaque jour pour qu’on ne bride pas l’alimentation au nom de la planète ». Un discours applaudi par les représentants du monde agricole.
« Le discours de l’exécutif français a indéniablement changé sur l’agriculture », constate le président de la CGB, Franck Sander. On est bien loin du premier mandat d’Emmanuel Macron, quand il promettait l’interdiction du glyphosate tout en poussant une « montée en gamme » de la production agricole. Quant à la ministre de l’Agriculture, elle n’a pas parlé de transition agroécologique présentée encore comme une priorité l’an dernier. La vision du gouvernement se rapproche désormais de celle du syndicalisme majoritaire.
« On sent une préoccupation de ce nouveau gouvernement pour faire avancer les choses », déclare Alain Carré, le président de l’interprofession de la betterave et du sucre (AIBS). Reste que la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, fait toujours de la résistance vis-à-vis de tout assouplissement sur le dossier des produits phytosanitaires.
Les cinq associations spécialisées représentant les producteurs de céréales à paille, de maïs, de betteraves, d’oléoprotéagineux et de pommes de terre, ont enjoint le président de la République à agir avant qu’il ne soit trop tard. « L’heure est à la mobilisation générale pour notre défense alimentaire ! La guerre menée par la Russie nous le rappelle tous les jours : l’alimentation est une arme et nous ne pouvons rester désarmés pour les années à venir », ont alerté l’AGPB, l’AGPM, la CGB, la FOP et l’UNPT.
Une loi d’orientation à compléter
Ce Salon a débuté 48 heures après l’adoption, le 20 février, de la loi d’orientation agricole (LOA) qui a vu le jour après deux années difficiles de concertation entre les forces politiques et les acteurs du secteur agricole. La LOA est perçue comme un bon signal pour l’avenir, car elle grave le principe « pas d’interdiction sans solution » et qu’elle énonce que l’agriculture est d’intérêt stratégique majeur.
Mais la LOA ne résout pas tout. Si l’on note une forme d’apaisement chez les agriculteurs, les attentes sont toujours là. « C’est beaucoup moins tendu que l’année dernière, mais nous sommes vigilants », confie au détour d’une allée Hughes Hughes Bécret, betteravier dans l’Aisne.
La LOA ne rétablit pas les surtranspositions passées, qui interdisent en France l’acétamipride, la flupyradifurone et le sulfoxaflor.
C’est pourquoi les sénateurs Duplomb et Menonville, promoteur de la proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », ont été bien accueillis sur les stands de la profession agricole.
De nombreux parlementaires sont aussi venus rencontrer les responsables agricoles. « Tout au long de la semaine, on accueille des délégations de députés et sénateurs, explique Olivier Brossier, planteur à Corbeilles et ambassadeur Passion Céréales. On leur répète que nous sommes handicapés par le manque de solutions. Que la ferme France vivote. »
Tout doucement, les arguments des syndicats font leur chemin. « La pression qui a été mise tout au long de l’année dernière commence à porter ses fruits, on le voit dans les discours des différents partis. On le voit à des changements d’attitude de certains élus qui avaient des avis assez tranchés, par exemple contre le retour de l’acétamipride », note Cyril Cogniard, président de la CGB Champagne-Bourgogne. « L’ancien ministre de l’Agriculture et député Stéphane Travert soutient la PPL. C’est un bon signal », ajoute Nicolas Rialland, directeur général de la CGB.
À côté de ce gros dossier phytosanitaire, les inquiétudes portent sur les accords de libre-échange.
Le Mercosur et l’Ukraine sont des sujets récurrents. Les agriculteurs sont fébriles malgré la volonté affichée du gouvernement de s’opposer au Mercosur. « Nos agriculteurs ne peuvent pas être la variable d’ajustement ni du pouvoir d’achat, ni des accords agricoles », a assuré Emmanuel Macron. La France continue de chercher « une minorité de blocage » au sein de l’UE pour éviter la validation de cet accord signé par la Commission européenne. Les agriculteurs jugeront sur pièces !
Il va falloir se battre pour obtenir un vrai budget pour la future PAC. En effet, la Commission européenne envisage de regrouper les enveloppes de la PAC avec celles d’autres programmes sectoriels au sein de plans nationaux, pour le prochain cadre financier pluriannuel 2027-2034. Ce serait alors la mort de la politique commune européenne. La ministre française a réaffirmé la nécessité de maintenir un budget spécifiquement dédié à la PAC, structuré en deux piliers : le premier, consacré aux paiements directs et à la gestion du marché, et le second, visant à soutenir le développement rural. « Il est impératif que la PAC ne soit pas incluse dans un fonds unique, afin d’assurer une allocation claire et stable des ressources à l’agriculture européenne », a déclaré Annie Genevard le 27 février dernier.
Point de vue de Laurent Duplomb, sénateur (LR) de la Haute-Loire
« La LOA indique un nouveau cap, avec les principes de non-régression de la souveraineté alimentaire et la reconnaissance du caractère d’intérêt général majeur de l’agriculture. On abandonne une logique punitive au profit d’une logique productive. Le Président de la République a dit qu’il fallait produire plus. Il y a un changement de discours, il faut maintenant aller jusqu’au bout. J’ai rencontré au Salon de nombreuses filières, qui comptent sur le vote des députés. C’est un besoin vital pour elles. Le Premier ministre est prêt à laisser le maximum de temps au débat. Il faut maintenant que les agriculteurs incitent leurs députés à voter cette loi, au risque de voir disparaître des filières entières. »
Point de vue de Julien Dive, député (LR) de l’Aisne
« L’ambiance est plus calme, mais c’est le calme avant la tempête. La crise agricole n’est pas réglée. Il y a toujours de fortes attentes de la part des agriculteurs. La LOA a apporté quelques réponses qui vont dans la bonne direction, mais il aurait fallu une loi de programmation plus large en reprenant les propositions des syndicats agricoles, notamment sur le foncier ou les moyens de production. Il faudra additionner d’autres lois, comme celle sur les entraves à l’agriculture, qui sera discutée début avril. Mais elle ne sera pas simple à faire passer. L’extrême-gauche et les écologistes feront de l’obstruction. Il nous faudra donc beaucoup plus qu’un seul jour pour l’adopter. »