La vènerie ou chasse à courre fait partie intégrante de la culture française. Avec plus de 400 équipages en France, ce mode de chasse est présent dans l’ensemble de nos régions. On compte près de 10 000 adhérents, 100 000 suiveurs, 30 000 chiens et 10 000 chevaux : la chasse à courre fait vivre beaucoup de monde. Elle assure aussi la protection de nombreuses races de chiens (anglo-français, poitevins, gascon-saintongeois, harriers, beagles, Bruno du Jura, etc..). Si, dans l’ensemble, les Français l’acceptent et même la soutiennent, l’offensive ne faiblit pas. Récemment, une pétition dans le journal « Le Monde » a été signée par une cinquantaine de personnes ; Yann Arthus-Bertrand a aussi jeté tout son crédit abolitionniste dans la balance. Propriétaire d’un domaine dans la forêt de Rambouillet, il n’a pas supporté que cinq chiens pénètrent chez lui. C’est d’autant plus curieux qu’il fut longtemps un chasseur acharné. Il y a une dizaine d’années, je l’avais rencontré au siège de sa fondation « GoodPlanet ». Assis autour d’une table dans un petit chalet de bois romantique, nous avions discuté en sirotant une infusion de verveine. C’est un homme plutôt agréable avec des yeux clairs, une moustache poivre et sel coupée au cordeau et un sourire de bon père de famille.

Une tête de cerf tatouée sur l’avant-bras

J’avais remarqué au-dessus de son bureau une tête de cerf naturalisée. Comme je l’évoquais, il m’avait répondu qu’il ne fallait surtout pas en parler, ne pas mentionner ce vestige de son ancienne passion. Avant le succès de ses expéditions photographiques, il avait longtemps géré la chasse dans le domaine familial. C’était un chasseur si passionné qu’il s’était aussi fait tatouer une tête de cerf sur l’avant-bras ! À l’époque, il n’avait pas encore totalement viré de bord. Mais, sans doute poussé par ses nouveaux amis – par le désir aussi de charmer l’opinion – il est devenu un adversaire déterminé. Il ne supporte pas de voir le moindre chien de meute traverser son domaine et se répand en invectives demandant l’interdiction de la vènerie. Il a même lancé récemment une pétition qui a recueilli, dit-il, 60 000 signatures.

Cette réaction est à la fois compréhensible et étrange. Compréhensible dans la mesure où voir divaguer des chiens chez soi peut légitimement agacer. Étrange car proche de la nature, ancien chasseur, connaissant bien la faune, il aurait pu passer l’éponge. Car enfin, des chiens de meute ce sont des animaux et même de superbes animaux, et les voir chasser aurait dû l’enchanter comme lorsqu’il photographie, en Afrique, des lycaons poursuivant des impalas. Il aurait pu aussi se souvenir que les cerfs et les biches sont des animaux libres, « res nullius » en droit et que, par conséquent, ils n’appartiennent à personne en général et pas à lui en particulier.

La vènerie n’avait pas besoin de ce coup de Jarnac. Que peut-on lui reprocher d’un point de vue écologique ? Absolument rien. Les cerfs, comme les chevreuils et les sangliers sont surabondants ; il n’y a pas d’arme à feu, donc aucun danger pour le public ; l’animal a toutes ses chances et échappe bien souvent à la meute. Voici donc une chasse loyale exigeant de grandes compétences qui fait vivre nos forêts, enchante des milliers de suiveurs et fait perdurer une tradition vieille de plusieurs siècles. Certains opposants perméables à ces arguments révisent leurs jugements. On se souvient qu’à une époque Huguette Bouchardeau, ministre (PSU) de la transition écologique de François Mitterrand, avait d’abord chargé un sport qui lui semblait ridicule et désuet. Après avoir pris connaissance du dossier, elle avait fait hourvari.

Comme la fauconnerie ?

Aujourd’hui, malheureusement, les arguments ne sont plus rationnels. On signe des pétitions sans rien connaître à l’affaire mais pour plaire à une partie de l’opinion. L’urbanisation galopante n’arrange rien. Le cerf sort du bois, traverse des routes, bute dans les maisons, se réfugie dans les jardins des particuliers. Il n’est pas doté d’un GPS qui lui indiquerait le bon chemin. On est alors obligés d’aller chercher les chiens et de les éloigner. L’animal de chasse peut parcourir une trentaine de kilomètres. Impossible de dire s’il ne sortira pas un moment de la forêt pour s’égarer dans les lotissements ou des propriétés privées.

Cela posé, ces incidents, montés en épingle, ne représentent qu’une goutte d’eau pour l’ensemble des sorties. Sur plusieurs centaines de laisser-courre, on ne compte qu’une poignée de bavures. Et le plus souvent, l’affaire est rapidement résolue par une reprise des chiens égarés.

Depuis 2010, la fauconnerie est inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. « La fauconnerie, est-il précisé, c’est un patrimoine humain vivant ». Cette chasse consiste à lancer un oiseau de proie sur un gibier. C’est donc le pendant « aérien » de la chasse à courre. Dans un cas, un rapace fond sur une proie ; dans l’autre, ce sont des chiens. Animal contre animal. La symétrie est parfaite. Et la vènerie est aussi ancienne que la fauconnerie. Pourquoi alors ne pas plaider pour qu’elle rejoigne la fauconnerie à l’Unesco ? Elle deviendrait, elle aussi, un « patrimoine humain vivant ».

Elle le vaut bien et cela couperait court définitivement aux chausse-trappes.