Le 17 décembre 2024, Alexis Hache, betteravier dans l’Oise, a été élu à la présidence de l’Institut technique de la betterave (ITB), à la suite du départ en retraite d’Alexandre Quillet. Il nous livre son regard sur cet institut de recherche ainsi que sa vision pour les années à venir.
Pourriez-vous nous représenter l’ITB ?
Fondé à la sortie de la 2ème guerre mondiale, l’ITB est un institut technique dont la vocation est de faire de la recherche appliquée, et donc de trouver des solutions applicables pour les agriculteurs. Son conseil d’administration est composé, à parité, de planteurs et d’industriels, tout comme son budget qui est financé par les planteurs (via les CVO) et les industriels.
L’ITB, c’est un siège à Paris, mais ce sont aussi les délégations en région. Ces dernières sont chargées d’évaluer et de vulgariser les solutions sur le terrain. Le délégué régional ITB, c’est « la bible » de la betterave dans son secteur. Il est le contact privilégié des planteurs, mais surtout des techniciens locaux (Geda, Ceta, chambres d’agriculture et services agronomiques des sucreries).
Quel lien l’ITB entretient-il avec les autres instituts de recherche ?
Aujourd’hui, c’est la recherche fondamentale, à savoir l’Inrae, qui mobilise la plus grande part des moyens dans le paysage de la recherche française. Donc, nous devons maintenir un lien fort avec cet institut, ce qui n’a pas forcément toujours été facile car notre culture pouvait lui paraître, du fait de nos surfaces limitées, (400 000 hectares), peu attractive pour des recherches. Mais le PNRI, mis en place en 2020 suite aux fortes attaques de jaunisse, nous a permis de rétablir ce lien. Il y a eu, et il y a encore, beaucoup de travail réalisé en commun. Par ailleurs, quelques-uns des membres de notre conseil scientifique font partie de l’Inrae.
Ensuite, l’ITB est membre de l’Acta, une structure qui fédère l’ensemble des instituts de recherche appliquée français, comme Arvalis ou Terres Inovia. Et, à l’avenir, nous allons continuer à développer nos liens avec l’ensemble des Instituts techniques, notamment en amplifiant nos collaborations sur le terrain entre nos techniciens régionaux. Il y a encore des synergies à trouver.
Au niveau européen, nous sommes fédérés au sein de l’IIRB (Institut international de recherche betteravière). Cela nous permet d’échanger sur nos différents dossiers d’expertise avec nos pays voisins. En France, nous sommes plus avancés sur la jaunisse, alors que les Allemands sont plus en pointe sur le SBR par exemple.
L’idée de l’institut, c’est aussi d’avoir un regard indépendant, neutre et objectif sur l’ensemble des solutions qui sont proposées par les acteurs de la filière. Nous avons donc des liens avec les firmes phytos et les semenciers afin d’évaluer leurs produits.
Quelles sont les maladies et les ravageurs qui vous semblent les plus menaçants pour l’avenir de la betterave ?
Le numéro 1, c’est la jaunisse. Mais derrière cette maladie, il y a un problème plus global de la protection de la plantule sur les premières semaines et les premiers mois de végétation. Le fait d’avoir perdu la solution insecticide en enrobage de semence que l’on utilisait jusqu’en 2022 fait naître des problèmes. Par exemple, on peut estimer que la nuisibilité du stolbur et du SBR est, en partie, due à cette absence de protection. Tous les autres pays cherchent une solution insecticide en enrobage et ils vont l’obtenir. Cette solution, c’est la flupyradifurone. Elle est déjà homologuée par la Finlande et des essais sont réalisés aux Pays-Bas. En France, la réglementation actuelle nous l’interdit.
Le numéro 2 dépend des régions. Je citerai la cercosporiose mais le mildiou est aussi une menace dans certaines régions, comme il l’a été dans l’ouest de la zone betteravière cette année.
Quelles sont les solutions les plus prometteuses ?
Sur la cercosporiose, nous avons testé l’Airone (cuivre) et, plus récemment, le Propulse, qui nous donne des résultats très encourageants. Par ailleurs, le travail des sélectionneurs, avec l’obtention de nouvelles variétés, est aussi source d’encouragement.
Du côté de la jaunisse, on n’a pas résolu le problème. Ce qui a contribué à nous sauver la mise ces deux dernières années, ce sont les conditions météorologiques : le climat très arrosé après les semis a limité la prolifération des pucerons. On peut quand même noter les recherches qui ont été faites sur les réservoirs viraux, qui nous permettent de mettre en place des mesures ciblées de prophylaxie. Nous avons compris qu’il fallait détruire les repousses de betterave et limiter l’utilisation de la phacélie. Aujourd’hui, ce PNRI mérite d’être consolidé.
Au début des années 2010, la filière pensait pouvoir atteindre un objectif de production de 20 tonnes de sucre/hectare en 2020. Pensez-vous possible de se fixer un tel cap ?
Clairement non. Le retournement de l’évolution du rendement betteravier est brutal. Il a deux causes. Le changement climatique d’abord, mais surtout le fait que nous ne nous appuyons plus sur la technique pour faire progresser notre culture. Beaucoup de solutions techniques disponibles, et utilisées par nos concurrents, ne nous sont pas autorisées. Le récent refus de l’homologation d’une matière active de désherbage en est un parfait exemple. Notre travail à l’ITB, ça sera aussi de faire comprendre aux décideurs que la technique est extrêmement importante pour maintenir une filière. Car les dernières tonnes que l’on perd sur un rendement, ce sont les tonnes qui font le revenu de l’agriculteur et qui l’orientent vers telle ou telle culture. On ne peut pas parler de solution technique sans parler de l’économie.
Qu’est-ce que vous envisagez de faire évoluer dans le fonctionnement de l’ITB ?
On ne va pas tout révolutionner. L’institut fonctionne très bien et apporte des solutions. On peut cependant peut-être améliorer les choses en termes de collaboration avec les écoles d’agriculture sur notre territoire. On peut aussi améliorer la collaboration entre les groupes sucriers et l’ITB, que ce soit en transmission d’informations montantes ou descendantes. Au niveau de la gouvernance de l’institut, j’ai voulu m’entourer d’un bureau, avec notamment la présence des deux plus grands groupes sucriers.
À titre personnel, qu’est-ce qui vous a motivé pour postuler à la présidence de l’ITB ?
J’ai une affinité particulière avec la betterave. Historiquement, mon père et mon grand-père en ont toujours cultivé. Cette culture représentait un quart de mon exploitation mais j’ai tendance à baisser la sole afin d’alléger la rotation. Voir qu’elle perd des points de compétitivité par rapport aux autres cultures, ça me paraît dommage. Cela me pousse à travailler pour qu’on puisse garder cette culture au sein de nos assolements.