Inventé à l’ère du post-Écophyto, donc après 2008, le terme biosolutions a germé dans le secteur de la protection des cultures. À lui seul, il est une définition concentrée de ce qu’attend la société : du biologique pour protéger et nourrir les plantes. Biologique signifiant, dans ce cas, tout ce qui est d’origine naturelle ou s’inspirant de mécanismes naturels. Par conséquent, depuis presque deux décennies, au rythme des connaissances et du progrès scientifique, le périmètre des biosolutions évolue. Le socle reste formé par les solutions de biocontrôle, par les produits autorisés en agriculture biologique ainsi que par les biostimulants.

Au-delà des définitions et classifications, la combinaison de toutes les forces vives s’avère nécessaire pour faire avancer l’innovation. Celle-ci demande du temps pour la recherche, la validation et l’acquisition de connaissances solides. D’ailleurs, le soutien de l’État en matière de crédit impôt-recherche est un levier important et reconnu par les entreprises. « Nombreuses sont aussi celles qui déplorent des réglementations qui n’incitent pas à l’innovation ainsi que des distorsions de concurrence qui pénalisent les industries nationales et européennes », indique André Fougeroux, président de l’association Végéphyl, coordinateur de l’ouvrage de l’Académie de l’agriculture, Agrofournitures, quelle souveraineté en Europe et en France ? Il ajoute « qu’homologuer un produit de biocontrôle en Europe demande en moyenne sept à huit ans, alors que trois ans suffisent aux États-Unis ».

Casser le plafond de verre

Pour casser le plafond de verre et accélérer le déploiement de ces produits, l’État a lancé, fin 2023, le Grand défi du biocontrôle et de la biostimulation pour l’agroécologie. Il repose sur une infrastructure organisée en réseau, avec des projets de recherche et de développement ciblés, ainsi qu’un autre axe fondé sur les appels à projets, prévu en 2025.

Programmé jusqu’en 2028 dans le cadre de France 2030, il est piloté par l’association ABBA*. À sa présidence siège l’Inrae et, à sa vice-présidence, l’Alliance Biocontrôle et l’Afaïa. La structure compte 130 adhérents, incluant des fabricants, des organisations professionnelles et des instituts techniques, dont l’ITB. Delphine Paul-Dauphin, la directrice d’ABBA, appelle d’ailleurs à élargir la participation aux exploitations agricoles, à la grande distribution, aux coopératives et aux négociants pour renforcer la représentativité. Ces acteurs clés sont essentiels pour orienter les choix stratégiques face aux grands défis du secteur. « Aujourd’hui, le travail repose sur un raisonnement agrosystémique, dépassant la logique d’une solution unique pour un problème donné, indique-t-elle. Il s’agit désormais de combiner plusieurs approches, avec des diagnostics plus précis et une analyse approfondie en amont. Cette démarche intègre des outils d’aide à la décision (OAD) ainsi que des experts pour sécuriser les pratiques et éviter les échecs liés à une mauvaise utilisation. »

Autres dispositifs : le Parsada*, né des enseignements clés du Plan de sortie du Phosmet (2022 – 2025) et le PNRI pour sortir des impasses techniques. Nombre de leurs projets sont prometteurs. « Dans le cadre du plan Phosmet, les plus pertinents rejoignent Parsada, indique Afsaneh Lellahi, directrice adjointe de Terres Inovia. Elle prévient toutefois que, contre les altises, la réponse sera combinatoire. « Nous avons encore besoin de temps. En attendant, il faut miser sur la démarche agronomique du colza robuste et tenir avec les insecticides autorisés ou sous dérogation. »

Des projets de recherche transfrontaliers se mettent aussi en place, à l’image de Biocontrôle 4.0 qui réunit des universités du Nord-Est de la France, de Belgique et des Pays-Bas ainsi que des instituts techniques, ITB et Arvalis pour la France. La dynamique se retrouve également dans les pôles de compétitivité rassemblant des clusters d’entreprises et de laboratoires publics.

Vers une maturité du marché et des mentalités

Néanmoins, pour tous les produits commercialisés, Alexandre Quillet, président de l’ITB, estime nécessaire de clarifier les modes d’action et de positionnement auprès des agriculteurs. Constat aussi partagé par David Boucher, responsable agronomie pour le groupe Carré. « Au début, nous avions un biais cognitif sur les biostimulants. Nous les avons positionnés sur le blé avec un fongicide à demi-dose pour baisser les IFT ! Or, trois quarts d’entre eux servent à préparer la plante contre les stress abiotiques. Donc, nous avons eu un démarrage un peu faussé avec ces produits. Mais aujourd’hui, ils sont devenus incontournables. Le marché est plus mature. »

Les agriculteurs demandent avant tout des preuves tangibles, des indicateurs. David Boucher estime nécessaire « d’en parler avec sincérité. Il ne s’agit pas de faire exploser les rendements. Aujourd’hui, on sait que face à un stress hydrique, on peut sauver 2 à 3 tonnes de pommes de terre, ce qui est significatif et réaliste. »

Ce besoin de preuves est une évidence pour toute la chaîne de valeur. « Nous ne pouvons plus tester les innovations actuelles avec les règles anciennes, souligne Jean-François Ducret, président de la commission biostimulants de l’Unifa. Évidemment, l’approche reste scientifique mais les résultats dépendent en partie des conditions pédoclimatiques de la parcelle. » Il estime nécessaire de déployer les expérimentations en grandes bandes (essais de valeur pratique) et de ne plus se limiter aux seuls essais en micro parcelles. Selon les cas, les biostimulants renforcent les synergies qui se créent entre les plantes, le sol ou le microbiome racinaire. Par conséquent, cela génère davantage d’incertitudes. « Quand on teste un produit classique, 70 % du résultat provient de la solution et 30 % dépend de l’environnement, indique Véronique Lerendu, responsable technique nationale biostimulation et nutrition innovante chez Corteva. Pour les biostimulants, c’est l’inverse ! Par exemple, avec un biostimulant racinaire, le type de sol aura un impact important. Aussi, tout l’enjeu est de pouvoir quantifier les bénéfices sur le rendement et la qualité de la récolte dans une pluralité de situations. »

De son côté, Thierry Launay, ingénieur technique chez Nufarm, indique que « leur rôle est aussi de maintenir le potentiel de la culture lorsqu’elle est en conditions de stress. Souvent, l’effet est visuel avec de nettes différences en termes de biomasse et de vigueur. Des biostimulants jouent également un rôle anti-oxydants pour éviter les risques de phytotoxicité des herbicides sur les jeunes plantes. »

Outil de gestion des résistances

De même, le biocontrôle, bien que déjà intégré dans les stratégies agricoles, possède encore une grande marge de progression en grandes cultures, notamment pour les fongicides céréales. Marie Aubelé, chef de marché chez De Sangosse, invite à considérer ces solutions comme un pilier à part entière du raisonnement dans les programmes de protection : « ces produits doivent avoir une place spécifique, notamment face au développement des résistances comme celle de la septoriose du blé à la plupart des familles chimiques fongicides. »

Reste qu’en complément des préconisations émanant des acteurs de la prescription et des fournisseurs, la meilleure méthode pour un agriculteur reste de tester ces biosolutions dans ses conditions de cultures. « Avec le digital, nous sommes dans l’ère de l’immédiateté, indique Jean-François Ducret. Désormais, de façon simple et pragmatique, on sait mesurer la biomasse, la santé des sols et les variations de rendement au sein d’une parcelle. Cela permet de valider l’impact du biostimulant et les conditions d’emploi. » Constat partagé par David Boucher : « ce réflexe de tester tout nouveau produit manque encore. »

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*Association du biocontrôle et de la biostimulation pour l’agroécologie

La définition française du biocontrôle a dix ans !

Le biocontrôle, défini par la loi d’avenir agricole du 13 octobre 2014 et l’article L253-6 du Code rural, regroupe quatre catégories : macro-organismes, micro-organismes (bactéries, champignons, virus), substances naturelles (soufre, huiles, extraits végétaux) et médiateurs chimiques. En France, seuls ces produits bénéficient de mesures incitatives et d’une priorité d’autorisation. En Europe, à l’exception des macro-organismes, ils suivent le même processus que les produits conventionnels, freinant leur développement. Remarque : le cuivre n’est pas un produit de biocontrôle. Autorisé en bio, il fait cependant partie des biosolutions.

Biostimulants, définition réglementaire européenne

Le terme « biostimulant » apparaît dans les années 1990 (Yakhin et al., 2017). Sa définition réglementaire est donnée par le règlement UE 2019/1009, en vigueur depuis 2022 pour les matières fertilisantes. Les biostimulants se classent en deux catégories : origine non microbienne (acides aminés, algues, acides humiques) et microbienne (Azotobacter spp., Rhizobium spp., Azospirillum spp., champignons mycorhiziens comme Glomus sp.). Leur rôle est d’améliorer les caractéristiques des végétaux ou de leur rhizosphère : efficacité et disponibilité des nutriments, tolérance au stress abiotiques et qualité de production. En France, ils nécessitent une autorisation de l’Anses et/ou le respect des normes européennes (NFU/CE).