Quelles sont les principales préoccupations des planteurs ?

Le constat global est plutôt morose. Les rendements sont décevants, les prix de betteraves s’annoncent en recul et les trésoreries se tendent. Les planteurs veulent retrouver de la compétitivité et attendent moins de contraintes sur leur métier.

Il y a quand même des choses positives quand on voit la mobilisation des agriculteurs et une CGB qui se retrouve au cœur des revendications, par exemple sur l’Ukraine, le Mercosur, la simplification ou la proposition de loi (PPL) des sénateurs Duplomb et Menonville pour rendre aux agriculteurs les moyens d’être compétitifs. Comme de nombreuses filières, la CGB demande que l’on puisse utiliser des molécules autorisées par la réglementation européenne et largement utilisées chez nos voisins européens. Cette PPL, c’est celle dont nous avons le plus besoin aujourd’hui.

Annie Genevard a dit qu’il n’y aurait « pas de surtransposition ». Êtes-vous rassuré au niveau réglementaire ?

Annie Genevard a dit cela sur le perron de la rue de Varenne, quand elle a pris son poste au ministère de l’Agriculture. Puis elle a fait une déclaration sur le retour de l’acétamipride. Mais sera-t-elle encore là après la motion de censure ? Le ou la ministre de l’Agriculture aura-t-il le courage politique de nous redonner des moyens de production ? Car d’autres problèmes arrivent : les cicadelles en Allemagne, les charançons qui remontent vers le Nord… On nous a enlevé des herbicides qu’il faudra compenser et nous avons du mal à maîtriser la cercosporiose. Sans les insecticides, les herbicides ou les fongicides, nous allons perdre en rendement. C’est un risque de décroissance pour notre filière, qui déboucherait inévitablement sur une restructuration.

Lors des mobilisations, nous avons aussi demandé que les programmes d’actions du PAN 7 et les différents programmes régionaux qui sont liés soient mis en pause, afin de renégocier une directive nitrates qui n’est pas acceptable pour nos exploitations, en termes d’épandage de vinasse, de digestat ou de date de couverts.

Vous dites souvent que les betteraviers ont besoin de l’acétamipride et de la flupyradifurone, qui sont autorisés en Europe mais interdits en France. Qui peut débloquer ce dossier ?

Nous comptons beaucoup sur la PPL de Laurent Duplomb qui vise à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur. Elle répond vraiment à la problématique de distorsion de concurrence au niveau européen. Elle a été signée par 189 sénateurs. Il était prévu qu’elle soit débattue au Sénat les 17 et 18 décembre, mais avec la censure du gouvernement, cet examen va être différé.

De même, l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale aurait dû intervenir fin février ; il va hélas lui aussi probablement être reporté. Ce sera le moment de vérité sur le sujet des distorsions de concurrence et de souveraineté alimentaire. Chaque parlementaire devra assumer son vote. Nous verrons ceux qui tiennent un double discours, ceux qui sont pro-européens ou pas, ceux qui prônent la décroissance et les fermetures d’usine…

J’ai confiance. Regardez, en 2020, nous étions tout seuls pour demander une dérogation sur le traitement de semences à base de néonicotinoïdes. Aujourd’hui, de plus en plus de filières sont concernées par la disparition de produits phytosanitaires. Il y a par exemple une énorme inquiétude sur le désherbage du blé.

Avec la motion de censure, que vont devenir les acquis syndicaux arrachés depuis un an ?

Nous allons perdre beaucoup de temps sur les mesures fiscales qui ont été promises, les dispositifs de retraite agricole, les seuils de plus-values. Nous avons besoin d’un gouvernement pour faire avancer la PPL sur les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, qui permettrait de revenir sur la séparation vente-conseil et surtout d’autoriser à nouveau l’acétamipride et la flupyradifurone. Et nous avons aussi besoin d’un gouvernement pour défendre la position de la France alors qu’un accord avec les pays du Mercosur est imminent.

Quel premier bilan faites-vous de la campagne ?

Toutes les betteraves ne sont pas encore arrachées, mais celles qui ont été récoltées présentent une richesse historiquement basse. Le rendement moyen devrait se situer autour de 79 t/ha à 16°S, contre 83 t/ha l’an passé.

Force est de constater que nous ne sommes plus dans la trajectoire d’une augmentation des rendements et que la génétique n’est pas encore au rendez-vous face aux bioagresseurs.

Avec ce mauvais chiffre, le rendement olympique français passe pour la première fois depuis 2007 sous les 80 t/ha, alors qu’il était encore de 88 t/ha il y a 5 ans.

Il y aura cette année de très grands écarts entre les planteurs. Certains agriculteurs seront largement au-dessus de 80 t/ha – c’est plutôt rassurant – mais d’autres seront bien en deçà, avec des rendements de 40 à 50 t/ha. Des betteraves arrivent dans les centres de réception avec des richesses de 14 ou 15 °S. Il y a de grosses déceptions sur ce point.

Qu’est-ce qui explique ces faibles richesses ?

Il n’y a pas vraiment de réponse cartésienne aux richesses faibles. C’est ce qui est inquiétant. On les observe par exemple dans de très bonnes terres. La faible richesse s’explique sans doute par le contexte climatique de l’année, notamment le manque d’ensoleillement. Les panneaux photovoltaïques ont produit 25 % d’électricité en moins cet été. C’est peut-être la même chose pour les feuilles des betteraves ? Il y a aussi l’hypothèse d’une forte minéralisation tardive et les attaques massives de cercosporiose. On ne sait plus maîtriser cette maladie. Tout cela, ajouté aux semis tardifs, l’explique en partie. Mais des investigations sont conduites pour s’assurer qu’il n’y a pas d’autres facteurs.

Les travaux du Programme national de recherche et d’innovation (PNRI) ont-ils apporté des avancées sur la jaunisse ?

Le travail a été bien engagé pour mieux connaître la maladie et le puceron, mais il n’a pas abouti à une alternative efficace et compétitive à ce stade. Il y a eu des avancées sur la mise au point d‘odeurs pour repousser les pucerons… Les quelques pistes du PNRI ne sont pas suffisantes pour se passer d’insecticides efficaces. Et si l’on n’a pas eu de pertes importantes cette année, c’est grâce à la météo pluvieuse de ce printemps. L’hiver dernier, les modèles prédisaient de fortes attaques de pucerons : on est passés à deux doigts d’une catastrophe.

Quel sera l’impact économique de cette récolte ?

Les richesses faibles vont entamer la recette betteravière. Or, les coûts de production demeurent élevés (environ 3 000 € ha en 2024 contre 2 600 €/ha en moyenne entre 2019 et 2023). Avec un rendement moyen à 79 t/ha en 2024, ce n’est qu’à partir de 37,5 €/t que la culture devient rémunératrice et que le betteravier pourra investir.

Je pense aux agriculteurs qui seront en dessous de la moyenne et qu’il faudra garder dans le bateau. Si on n’arrive pas à les retenir à travers les prix et la rentabilité de la culture, c’est toute la filière qui sera fragilisée, car il n’y aura pas assez de betteraves pour faire tourner nos usines. Ma crainte est que l’on passe, à terme, sous la barre des 370 000 hectares en France.

Avez-vous des indications sur le prix des betteraves 2024 ?

Les betteraves 2023 ont pu être valorisées à des prix historiques, à plus de 50 €/t, permettant de redonner à cette culture un attrait qu’elle avait perdu. Mais le marché du sucre a craqué cette année, en raison des importations massives de sucre en provenance d’Ukraine.

Pour 2025, je constate que le risque lié au prix est intégralement porté par le planteur. Certains industriels ont annoncé des prix de betteraves très en deçà des coûts de production et d’autres n’ont à ce jour fait aucune annonce.

Cristal Union a parlé d’un prix d’objectif de 40 €/t. Tereos a payé un premier acompte de 16 €, ce qui interroge les planteurs sur le prix final, qui pourrait ne pas dépasser le coût moyen de production de 37,5 €/t.

L’avenir du sucre dépend aussi des accords internationaux, notamment avec l’Ukraine et le Mercosur…

Les agriculteurs se sont mobilisés contre le Mercosur. Quelques pays nous ont rejoints comme la Pologne, l’Autriche, les Pays-Bas et le Danemark.

L’objectif est d’obtenir une minorité de blocage pour éviter que l’accord soit scindé et la partie commerciale adoptée. Les enjeux en termes de volume de sucre et d’éthanol sont colossaux, c’est l’équivalent de 50 000 hectares de betteraves. Le comble de cet accord est que les produits importés sont issus de cultures traitées avec des phytos interdits en Europe. Dans ces conditions, la France et ses alliées doivent envoyer un message clair à la Commission européenne : l’accord ne doit pas être signé, les contingents ne doivent pas s’appliquer.

L’autre dossier où on doit être très vigilants, c’est le dossier ukrainien. Historiquement l’Ukraine exportait 20 000 tonnes de sucre vers l’Europe. Depuis le début de la guerre, elle en a exporté de plus en plus, pour culminer à 700 000 t en 2023/24, ce qui a déstabilisé le marché européen. Pour nous, il faut encore réduire le contingent de 260 000 t, accordé début 2024 et qui est trop important : ce volume représente 13 fois celui d’avant la guerre ! Il ne faudra pas rater les négociations en juin prochain, qui vont fixer des contingents pour les années à venir. La France doit obtenir de la Commission que le contingent existant soit réduit et doit imposer au sucre importé les mêmes normes de production que celles qui prévalent dans l’Union européenne, contrôles à l’appui ! C’est à l’ensemble des citoyens européens de supporter les frais de la guerre en Ukraine et pas seulement aux agriculteurs et à nos filières.

Dans ce contexte, que dites-vous aux planteurs pour les surfaces 2025 ?

La CGB est là pour apporter des éléments de décision aux agriculteurs, qui sont des chefs d’entreprise. En 2022, j’avais dit que 2023 serait une année pour semer des betteraves et on avait eu plus de 50 €/t. Pour 2025, je dis qu’il faut être prudent sur les surfaces.

Que faut-il revoir pour la prochaine PAC ?

La Commission européenne a malheureusement abandonné son rôle de gestionnaire des marchés depuis la fin des quotas. À l’époque, il y avait un seuil de référence du sucre à 404 €/t, qui permettait à la Commission de prendre des dispositions. Or, ce chiffre date de 2009 : dans le cadre de la rénovation du règlement sur l’organisation commune des marchés (OCM), il doit être revu dès aujourd’hui pour intégrer l’inflation et retrouver une réalité économique : 585 €/t en 2025. Ce niveau équivaut à un prix de betterave de 38 €/t contre les 26,29 €/t en vigueur sous les quotas. Lorsque le prix de marché européen est inférieur à ce niveau, la Commission européenne devrait retrouver la capacité d’agir par le biais d’un prix d’intervention ou d’une politique de stockage. Ce dossier devra être ouvert dans le cadre des négociations de la prochaine PAC en 2027.

Il faudra aussi avoir un budget de la PAC suffisant pour financer un choc d’investissement sur les fermes, si l’on veut davantage d’agriculture de précision.

Quel message pourriez-vous adresser à vos adhérents et à ceux qui n’adhèrent pas ?

Aussi longtemps que je croirai en la betterave, je continuerai à me battre. Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas se projeter dans l’avenir. Après l’orage, il y a toujours du soleil : on l’a vu avec les 50 euros de l’année dernière.

Il faudra travailler sur les enjeux majeurs : le Mercosur, l’Ukraine, les variétés, les moyens de production, les marchés… Pour cela, il faut un syndicat fort, des planteurs engagés et entourés par des équipes hypercompétentes.

Les agriculteurs sont de moins en moins nombreux et nous avons de plus en plus de détracteurs. Si on n’arrive pas à s’unir pour se défendre, ce sera encore plus difficile. Il faut donc jouer l’unité et adhérer à la CGB. En fin de compte, c’est le revenu qui importe pour demain. Adhérer à la CGB, c’est investir dans l’avenir de la culture de la betterave.