Directeur de recherche au CNRS, Thierry Langin a été élu au mois de mai dernier à la présidence de l’Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV). Pour lui, il est urgent que le texte sur les nouvelles technologies de sélection (NGT) soit adopté, en dépit de ses imperfections, et qu’il puisse être mis le plus rapidement possible en application au sein de l’union européenne. Il faut donc arriver à obtenir la majorité « qualifiée », et pour cela, il faut rassurer certains pays encore hésitants, en particulier, en clarifiant les questions de la propriété intellectuelle et de l’étiquetage.
Quel regard portez-vous sur le texte européen consacré aux NGT ?
Le texte n’est pas parfait. Certains points relèvent probablement plus de compromis politiques que de considérations strictement scientifiques. La limitation du nombre de nucléotides à changer à 20 ainsi que l’interdiction des NGT pour l’agriculture biologique en est un parfait exemple. Mais prenons ce texte pour ce qu’il est et considérons qu’avec 20 nucléotides, on peut déjà apporter de nombreuses modifications. Il faut être pragmatique, la priorité est de faire accepter les NGT 1. Si ce texte est adopté, il permettra de doter la création variétale européenne de nouveaux outils et de nouvelles ressources. Par ailleurs, il ouvre une vraie brèche dans le mur que représente aujourd’hui la réglementation OGM. Il y aura un avant et un après.
Au niveau politique, le dossier traîne. Quel regard portez-vous sur cela ?
En effet, le texte sur les NGT n’a pas encore été validé par le Conseil européen. Il va falloir attendre la 2ème partie de l’année 2025, pour que le dossier ressorte et que l’on reprenne la dynamique qui s’est arrêtée à la fin de la Commission précédente. Le nombre d’états favorables à ce texte est supérieur à ceux qui y sont opposés. Il ne manque pas grand-chose pour atteindre la majorité qualifiée. Certains pays, comme la Pologne, sont dans un entre-deux et cherchent probablement à négocier une compensation à un vote favorable. Il y a sûrement la possibilité de les faire bouger. Par ailleurs, certains pays peuvent être quelque peu « effrayés » par les problèmes posés par un étiquetage ou la crainte de la propriété intellectuelle.
Justement, que pensez-vous de la crainte que ces techniques ne soient réservées qu’à des semenciers suffisamment puissants ?
C’est un vrai sujet, qui mérite un débat ouvert. Cela questionne le système en place, et met le doigt sur un certain flou juridique concernant la brevetabilité. Ma position est qu’il faut que les variétés issues des NGT 1 ne puissent pas être brevetées en tant que telles, mais qu’elles soient uniquement protégées par le système actuel du certificat d’obtention végétale (COV). On ne peut pas revendiquer qu’une plante NGT 1 soit traitée comme une plante conventionnelle et, en même temps, lui donner un statut particulier en mettant un brevet dessus. Il faut être cohérent.
À plus long terme, ça ne ferait pas de mal que l’Europe réfléchisse de façon globale à la question de la propriété intellectuelle afin de l’actualiser. Pour nourrir un débat serein sur ce sujet et mettre en lumière les points à discuter, et éventuellement à modifier ou à préciser, l’AFBV a publié une liste de 11 propositions.
Mais pour cela, il faudra se donner le temps du débat et de la réflexion. Et je le rappelle, l’urgence aujourd’hui est de faire voter cette proposition de réglementation des NGT, et d’autoriser l’usage des NGT 1 le plus rapidement possible. Les enjeux que représentent pour l’agriculture européenne et mondiale l’adaptation au changement climatique et la transition agroécologique imposent de pouvoir utiliser l’ensemble des leviers disponibles. De plus, continuer à interdire l’usage des NGT, et plus largement des biotechnologies, risque de placer, à court et moyen termes, l’agriculture européenne dans une position difficile face à la compétition de pays dans lesquels ces outils sont déjà autorisés.
L’obligation d’étiquetage jusqu’au produit fini a aussi été un sujet de discussion et a été rajoutée dans le texte par le Parlement. Quel est votre regard sur cet amendement ?
Le non-étiquetage fait peur. Mais je vois deux problèmes à la mise en place d’un étiquetage jusqu’au produit fini. Premièrement, il ne faudrait pas faire une usine à gaz avec la traçabilité, qui serait trop lourde à gérer. Et par ailleurs, il faut être cohérent : si on considère les NGT 1 comme des plantes conventionnelles, pourquoi ne pas gérer leur traçabilité de la même manière ? Il ne faut pas autoriser une technique d’un côté et limiter son potentiel d’utilisation de l’autre.
Pourtant, nous pourrions penser qu’il est toujours bon d’informer le consommateur ?
Bien sûr. Mais l’étiquetage serait beaucoup moins problématique si les consommateurs n’avaient pas subi une désinformation sur les biotechnologies et, en particulier, sur les OGM. Cependant, si l’étiquetage du produit fini est rendu obligatoire, il sera nécessaire de communiquer sur le fait que ces lignées ne sont pas dangereuses. Mais il ne faudra pas commettre la même erreur que celle qu’on a faite sur les OGM, à savoir se battre sur la technique. Il faudra plutôt expliquer l’utilité et l’avantage des nouvelles variétés issues de l’utilisation de l’édition du génome (NGT), tant pour l’agriculteur que pour le consommateur.
Actuellement, nous avons l’impression que nous demandons beaucoup à la semence (rendement, résistance aux maladies et au stress hydrique) en un temps très court. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait d’accord. Le changement climatique demande des variétés tous terrains capables d’offrir un rendement stable dans des environnements climatiques très différents. Concevoir ces nouvelles variétés représente un véritable changement de paradigme pour la sélection variétale. De plus, il faut veiller à ce que l’interdiction d’une matière active assurant une protection aux cultures s’accompagne de l’assurance de disposer d’une stratégie alternative dont l’efficacité au champ a été éprouvée. Le temps politique n’est pas toujours en phase avec celui de la recherche. Il faudrait que les politiques, qui prennent des décisions parfois un peu décalées avec la réalité, le comprennent.