« Mieux connaître la biologie permet d’optimiser la lutte contre les adventices », affirme Bastien Boquet d’Agro-transfert, exemples à l’appui. Prenons le cas du chénopode blanc, dicotylédone la plus répandue en culture betteravière. Sa grande force est la production de graines. Chaque pied produit entre 3 000 à 20 000 graines. Plus la biomasse de l’adventice est forte, plus sa production de graines est importante. Cette biomasse varie en fonction de la compétition (lumière, azote) avec les autres individus (culture en place et autres adventices). Elle se développe moins dans des couverts denses. Petites et rondes, les graines du chénopode blanc ont une bonne persistance dans le sol. Une majorité de ses graines est dormante. Mais, particularité du chénopode blanc, la couleur de la graine est différente selon leur dormance. Noires quand elles sont en dormance et marron quand elles sont capables de germer tout de suite. Cela dépend surtout des conditions de maturation. En cas de conditions stressantes, avec une photopériode courte, les graines non dormantes seront plus importantes qu’en situation favorable. Pour autant, la très grande majorité des graines restent dormantes (73 à 97 %).

Ensuite, la persistance du stock semencier va dépendre de la survie des graines aux agressions du milieu (actions de gel/dégel, perturbations des organismes du sol…) et du faible taux de germination des graines. Plus les graines ont des enveloppes épaisses, plus elles sont capables de résister aux agressions du milieu dans le sol. Les graines du chénopode blanc ont une enveloppe moyenne (72 µm). Ce qui leur donne une persistance élevée dans le sol (4 à 6 ans). Fort dépendantes à la lumière, elles vont très peu germer en profondeur. Le taux annuel de décroissance est seulement de 35 %. Au bout de quatre années en terre, il reste encore 15 % des graines vivantes dans le sol.

Leur profondeur de levée reste très superficielle, à 0,5 cm. De plus, il leur faut une température de base de 4,2°C et un besoin d’humidité. Plus on est proche de zéro, moins la résistance à la sécheresse est forte. Ainsi sa période de levée préférentielle démarre avec un premier pic au printemps, en mars-avril, et se poursuit jusqu’en septembre. Vu la germination superficielle de ses graines et la levée de dormance facilitée au printemps/été, un travail du sol superficiel répété à cette période fonctionne bien pour le chénopode blanc. La technique d’écimage peut parfois être contre-productive. En cas d’écimage trop précoce, le chénopode redémarre avec une production de graines plus importante. Il faut viser la fin de sa floraison, mais celle-ci peut s’étaler dans le temps. Cette technique reste encore à affiner.

Autre cas : la renouée persicaire. Son point fort est de produire d’autant plus de graines que sa biomasse est élevée. Un couvert végétal cultivé très développé limitera le développement de l’adventice et donc la production de graines.

Privilégier les stratégies suicides pour le datura

Le datura stramoine, plante en développement dans certaines zones betteravières, a comme point fort un tégument de graines épais de 133 µm. Or, plus les téguments des graines sont épais, plus le taux de décroissance annuel (TAD) sera faible. Avec un TAD de 30 %, le stock semencier reste encore de 70 % après une année dans le sol. Ses téguments épais permettent aussi à ses graines de résister dans le rumen des bovins, voire dans le méthaniseur (comme le rumex).

Sa graine lourde (6 à 8 mg) lui octroie une capacité germinative jusqu’à 15 cm de profondeur. En effet, plus le poids de la graine augmente, plus elle peut germer en profondeur. Comme sa levée de dormance est difficile, il faut miser sur un travail du sol plus agressif à 10 cm de profondeur. Le problème reste les levées échelonnées.

Il sera intéressant de favoriser les germinations suicides. Si sa graine est trop enfouie, son cotylédon n’atteindra pas la surface du sol, car ses réserves sont insuffisantes. La présence de mottes de terre sera aussi un handicap pour sa survie de même qu’un sol trop sec.

Pour aider les agriculteurs dans leur stratégie de désherbage, Agro-transfert va proposer un outil d’aide à la décision d’estimation du stock semencier des adventices, OdESSA. À partir d’un diagnostic de la pression adventice et des causes de salissement, il donnera des possibilités d’intervention.

UTILISER LES POINTS FAIBLES DU VULPIN

Mieux connaître la biologie des adventices, une nécessité pour mieux les gérer. Après cinq ans d’essais, Agro-Transfert ressources et territoires préconise de mieux utiliser les points faibles de chaque espèce. Exemple avec le vulpin.

« Chaque adventice a son point faible. Production de graines limitée, mortalité des graines importante, dormance ou encore capacité de germination faible », constate Bastien Boquet d’Agro-transfert. Et tous les éléments de la biologie (dormance, levée de dormance, germination, stock semenciers) sont corrélés aux pratiques agricoles.

Ainsi, le vulpin des champs a pour atout une forte production de graines. Chaque pied en produit 2 500 en moyenne, avec des écarts de 500 à 5 000 graines par pied. Autre atout, sa bonne capacité germinative. Coté point faible, ses graines disposent d’un fort taux de mortalité dans le sol : 69 % des graines perdent leur faculté germinative sur une année (taux annuel de décroissance). Si elles restent enfouies plusieurs années dans le sol, elles meurent. Au bout de quatre ans d’enfouissement, seules 0,4 % resteront vivantes. Pour limiter le développement du vulpin, la rotation et le choix des créneaux de semis pour empêcher le stock semencier de remonter seront très efficaces.

Autre élément à prendre en compte : l’influence du climat sur la levée de dormance du vulpin. Elle est conditionnée par la maturation des graines sur la plante mère (15 juin-15 juillet). Si l’été est chaud et sec, la dormance diminue. Les faux semis réalisés ne permettront pas de nouvelle levée de dormance. Au contraire, en cas d’été frais et humide, la dormance augmente (variation de 38 à 70 % de germination). En 2024, avec l’humidité constante, la dormance des vulpins est plus importante. La germination des graines va se décaler, car la dormance primaire sera plus longue. La levée de la dormance risque d’arriver dans les céréales. Et la proportion de graines en dormance sera plus élevée. Il faudra donc être très vigilants.

De plus les écotypes (la génétique) des vulpins évoluent, avec une adaptation croissante aux évolutions pédoclimatiques. Leur levée est beaucoup plus échelonnée aujourd’hui.

Écimage et ensilage, des techniques des cas extrêmes

L’écimage du vulpin vise à récupérer les graines pour diminuer le stock semencier de l’adventice. Pour cela, des fauches sont réalisées avec récupération des graines. Les premières expérimentations étudiées par Agro-transfert donnent une date optimum de fauche vers le premier juin pour le vulpin, avec 60 % des graines écimées. Au mieux, 70 % des graines sont écimées dans le passage le plus tardif. La technique reste donc d’une efficacité limitée et doit être complétée par d’autres techniques.

Agro-transfert s’est aussi intéressé à l’ensilage des céréales en cas d’infestation extrême en vulpin. L’objectif est d’éviter la constitution d’un stock semencier des graines. Les débouchés de la culture se trouvent surtout en méthanisation. Dans un champ de la Somme au salissement extrême par graminées (perte de 30 qx/ha sur un potentiel de 80 qx), le niveau d’infestation est resté inacceptable (1 600 à 2 600 graines/m2) au bout de deux ans d’ensilage. Mais il a légèrement diminué. Cette solution reste une solution « pompier ». Sa mise en place peut être opportuniste. Elle doit être associée à d’autres techniques, notamment celles utilisant le fort taux de mortalité des graines de vulpin enfouies dans le sol au bout de quatre ans.