« Les risques sont majeurs pour la souveraineté agricole et alimentaire, la compétitivité et la durabilité des productions », ont alerté quatre grandes filières agricoles françaises, lors d’une conférence de presse le 13 novembre.
Sucre (190 000 tonnes) : l’équivalent d’une sucrerie
Les contingents supplémentaires envisagés représentent 190 000 tonnes de sucre à droit nul et 8,2 millions d’hl d’éthanol à droit réduit ou nul.
Pour le sucre, les nouvelles concessions accordées seront importées dans les bassins déficitaires d’Europe du Sud (Espagne, Portugal, Italie…), pays où le tiers du sucre consommé est français. Ces 190 000 t représentent la production d’une usine française.
Pour l’éthanol, la concession de 8,2 Mhl représente environ 15 % de la production communautaire, soit l’équivalent de la production française d’alcool à partir de ses betteraves. « Ces deux concessions cumulées accordées par l’UE représentent la production de 50 000 ha, soit 1/8ème des surfaces françaises de betteraves », déclare Alain Carré, président de l’interprofession de la betterave et du sucre (AIBS).
Différentiels de production Mercosur / UE : pour sa production de canne à sucre, le Brésil dispose d’au moins 40 substances actives interdites dans l’UE (certaines depuis 2017) : au moins 20 herbicides, 13 insecticides et 7 fongicides. Il n’existe aucune traçabilité relative au sucre produit à partir de canne à sucre OGM au Brésil.
Maïs grain (1 Mt) : 77,5 % des phytos utilisés au Brésil sont interdits en France
Le contingent supplémentaire dans le cadre de l’accord Mercosur prévoit 1 Mt de maïs. À l’heure actuelle, l’Union européenne importe 25 % de ses besoins en maïs de l’étranger, et notamment du Brésil qui exporte entre 6 et 7 Mt sur le continent. Si l’on compte l’ouverture de contingents pour des produits qui représentent des débouchés importants pour la filière maïs (amidon, éthanol, volaille), on estime à 3,4 Mt le maïs grain qui serait importé du Brésil dans l’Union européenne.
Différentiels de production Mercosur / UE : 77,5 % des produits phytosanitaires utilisés au Brésil pour la culture du maïs sont interdits en France. « Plus de 95 % du maïs produit au Brésil est OGM », constate le président de l’Association générale des producteurs de maïs, Franck Laborde.
Viande bovine (99 000 tec) : le marché de l’aloyau déstabilisé
Le contingent supplémentaire de 99 000 tonnes équivalent carcasses (tec) à droits de douane réduits ou nuls viendra doubler les volumes d’aloyaux issus des pays du Mercosur. Ils fournissent surtout des morceaux nobles – de l’aloyau : filet, rumsteack – qui tirent vers le haut les prix des carcasses. « Le marché de l’aloyau, c’est 400 000 tec en Europe. Si l’on importe 99 000 tec d’aloyau, on va totalement déstabiliser la filière viande », insiste Patrick Bénézit, vice-président d’Interbev et président de la Fédération nationale bovine.
Différentiels de production Mercosur / UE : animaux élevés en feedlots et traités avec des antibiotiques activateurs de croissance interdits dans l’Union européenne depuis 2006 ; alimentation des bovins au soja déforestant ; aucune obligation de traçabilité individuelle des animaux tout au long de leur vie pourtant obligatoire dans la réglementation européenne…
Viande de volaille (180 000 t) : antibiotiques activateurs de croissance
Le contingent supplémentaire est de 180 000 tonnes de viande de poulet à droit de douane réduit ou nul. Aujourd’hui, les pays du Mercosur sont les premiers fournisseurs de l’Union européenne en viande de poulet, avec près de 300 000 t (presque exclusivement du Brésil) sur un total de 800 000 t en 2023. Comme pour l’aloyau en viande bovine, Jean-Michel Schaeffer, président d’Anvol (interprofession de la volaille de chair) craint que l’importation de filets de poulet ne vienne déstabiliser la filière volaille.
Différentiels de production Mercosur / UE : antibiotiques activateurs de croissance interdits dans l’Union européenne depuis 2006 ; pas de réglementations salmonelles aussi drastiques qu’en Europe…
Que faire pour empêcher cet accord ?
La France pourra certes mettre son véto, « mais pour autant on ne pourra pas le faire seul », a estimé Stéphane Travert, ancien ministre de l’Agriculture en 2017 et 2018 et député de la Manche, qui participait à cette conférence de presse, « la France doit aller chercher des alliés pour obtenir une minorité de blocage qui permettra de ne pas signer cet accord ». On a encore du temps, car tous les commissaires européens ne sont tous encore nommés pour signer cet accord. Il suffit que 15 États membres représentant 65 % de la population européenne, votent en faveur du texte pour qu’il soit adopté. Or, cela s’avère compliqué puisque plusieurs pays ont intérêt à signer cet accord jugé bon pour leur industrie, notamment l’Allemagne.
Cette épreuve du Mercosur constituera un double test : celui de la réelle volonté politique du gouvernement et surtout du véritable poids de la France en Europe.