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Des panneaux échangés ou bâchés à l’entrée des villages. Depuis la fin de l’été, on sentait déjà monter la colère. Mais l’annonce d’une possible signature de l’accord entre l’UE et le Mercosur, lors du sommet du G20 qui se déroulera du 18 et 19 novembre, a été « la goutte d’eau qui fait déborder le vase », comme l’a dit le président des Jeunes agriculteurs (JA), Pierrick Horel en conférence de presse le 22 octobre dernier. La FNSEA et JA ont donc appelé à une mobilisation nationale pour mi-novembre. « Dès que les travaux dans les champs seront terminés, on aura un combat politique à mener », a ajouté le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau.
Cet accord commercial entre la Commission européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) pourrait « ouvrir la porte à 99 000 tonnes de viandes bovines, à 180 000 tonnes de viandes de volaille, à l’équivalent de 3,4 millions de tonnes de maïs, à 180 000 tonnes de sucre et à 8,2 Mhl de biocarburants », alertent les deux syndicats majoritaires, dans un communiqué commun avec les associations spécialisées en bovins, betteraves, lait, maïs et aviculture. (voir page 5 l’impact que pourrait avoir cet accord sur la filière betteravière).
« La tentation de revenir sur le Green Deal, de signer les accords commerciaux, les conclusions du dialogue stratégique sur l’agriculture tel qu’il a été mené, nous amènent à réagir. Car se battre pour la simplification en France, tout en nous laissant envahir de produits qui n’ont ni nos normes ni nos standards, serait une erreur », déclare Arnaud Rousseau.
Des prêts bonifiés pour passer le cap
À court terme, les exploitations de grandes cultures doivent retrouver l’oxygène nécessaire pour passer cette crise et assurer les semis d’hiver.
Le président des céréaliers (AGPB), Éric Thirouin, estime que le manque à gagner de la mauvaise moisson se chiffre à 90 €/t. « Avec un rendement moyen de 6,1 t/ha, au lieu de 7,4 t/ha en blé tendre, il nous manque plus de 500 €/ha. »
Pour passer le cap, l’AGPB demande des prêts bonifiés avec des taux proches de 1 % à court et à moyen terme. « Les exploitations céréalières ont un manque de trésorerie entre 50 000 et 100 000 €. Cela va être compliqué pour les banques de nous accompagner, donc il faut une garantie gratuite de la part de l’État, insiste Éric Thirouin. La France doit également obtenir le déclenchement de la réserve de crise européenne pour accompagner les situations les plus tendues ». Le président des céréaliers demande aussi, pour ceux dont les cotisations MSA sont calculées en moyenne triennale, de basculer sur une année N, soit en 2024 ou bien en 2025.
Entretien des cours d’eau en question
Certains agriculteurs n’ont pas attendu l’appel national de la FNSEA et de JA pour passer à l’action, comme dans la Marne ou le Pas-de-Calais.
Depuis les inondations de l’hiver dernier, les agriculteurs du Calaisis réclament des travaux de curage. « On l’avait demandé au préfet depuis un an, cela n’a pas été fait. On ne va quand même pas être noyés tous les ans », dénonce Antoine Peenaert, planteur de betteraves aux Attaques (Pas-de-Calais) et président du territoire du Calaisis à la FDSEA 62. (Voir le Betteravier français du 16 janvier 2024). Le 22 octobre dernier, les agriculteurs ont donc pris les choses en mains et ont décidé de faire le travail eux-mêmes à Hames-Boucres.
Directive nitrate jugée trop complexe
Dans la Marne, c’est la nouvelle directive nitrate (le 7e programme d’action régional), entrée en vigueur le 1er septembre, qui a provoqué la colère des agriculteurs le 18 octobre. Une centaine d’agriculteurs ont déversé du fumier devant la préfecture de Chalons-en-Champagne, pour dénoncer un « burn-out administratif » et réclamer une « simplification » des réglementations.
Depuis qu’ils ont découvert les nouvelles obligations – le document officiel de la Draf fait 60 pages – les agriculteurs s’arrachent les cheveux. Ce PAR 7 instaure un calendrier d’épandage des effluents jugé trop complexe. Il restreint notamment la durée d’épandage des digestats de méthanisation, avec une date butoir au 15 octobre. Il est difficile de la respecter avec la météo pluvieuse de cette année.
« On a des dates d’épandage qui ne tiennent pas compte des réalités agronomiques de nos exploitations agricoles. Par exemple, je suis producteur de porc et je n’ai plus le droit d’épandre mes lisiers après le 1er octobre, déplore Hervé Lapie, le président de la FDSEA 51. « On nous oblige aussi à faire des reliquats sortie hiver qui n’ont, agronomiquement, pas de sens. »
Une délégation d’agriculteurs a rencontré le préfet pour demander des « dérogations à court terme ». Une demande entendue, mais qui ne permet pas de régler le problème de fond. En effet, les agriculteurs situés en zone d’action renforcée ne peuvent pas bénéficier du report d’épandage.
Engagement sur le contrôle unique
Au niveau français, la FNSEA et les JA demandent l’application des mesures de simplification promises par la ministre de l’Agriculture Annie Genevard. En déplacement dans une ferme de l’Essonne, le 31 octobre, la ministre a annoncé une « mesure forte » pour la simplification administrative en faveur des agriculteurs : la mise en place du contrôle unique, qui a pour objectif de limiter les contrôles administratifs à un seul passage annuel sur l’exploitation agricole. Jeunes Agriculteurs et la FNSEA, qui militent de longue date en faveur d’une telle mesure, se félicitent de sa concrétisation. « Enfin ! Attendue depuis de longs mois, cette mesure de simplification va soulager une partie de la pression administrative qui pèse sur des exploitations déjà en grande souffrance, déclare Arnaud Rousseau. Elle doit être mise en application sans délai. Nous demeurons totalement mobilisés, car il n’est pas envisageable d’attendre aussi longtemps les autres mesures de simplification lorsqu’elles ne dépendent que de l’administration. Ce n’est qu’une question de volonté, et nous voulons de nouvelles preuves de la bonne volonté du ministère et du gouvernement ».
Les agriculteurs français seraient-ils prêts à accepter de l’argent contre l’importation de produits sud-américains ne respectant pas les mêmes normes que celles auxquelles ils sont soumis ? Voici le deal bien étrange que proposerait la Commission européenne pour faire avaler la pilule amère du Mercosur, et débloquer ainsi un accord en négociation depuis près de 30 ans. Il pourrait être signé lors de la réunion du G20 à Rio, les 18 et 19 novembre prochains.
« Cela ne peut être perçu que comme une provocation ! Un chèque de compensation ne résout pas les problèmes de cet accord commercial », préviennent dans un communiqué commun du 22 octobre les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca), les producteurs de sucre (CEFS, CIBE), de volaille (EUWEP) et de maïs (CEPM).