Dix ans après son lancement, l’heure est au bilan pour le projet Syppre. Piloté par Arvalis, Terres Inovia et l’ITB, ce projet a pour vocation d’accompagner les agriculteurs vers de nouveaux systèmes de production répondant, à l’horizon 2025, aux défis de l’agriculture et aux attentes de la société. Près de 180 agriculteurs, techniciens et membres des filières de grande culture en général ont fait le déplacement le jeudi 24 octobre à Bétheny (51) pour le colloque Syppre Champagne.

Sur cette plateforme d’essai, deux systèmes de culture ont été conduits parallèlement pendant presque dix ans. Un système dit « témoin », représentatif d’une rotation locale et optimisée, et un système dit « innovant ». Plusieurs éléments les différencient, comme la diminution du labour et l’allongement de la rotation déployés sur le système innovant (cf. schéma), explique Paul Tauvel, agronome à l’ITB et un des responsables du projet. Le nouveau système testé porte l’ambition d’une plus grande « triple » performance. Qu’est-ce que cela signifie ? La triple performance se traduit par la productivité agronomique, la rentabilité économique et l’excellence environnementale… Un monde idéal en quelque sorte.

Après dix ans de travail, « nous avons réussi à obtenir de bons résultats sur certains critères », s’est félicité Vincent Laudinat, le directeur général de l’ITB. En effet, le colza s’est montré plus performant dans le système dit « innovant » en raison de sa précédente légumineuse et de l’implantation avec un strip-till. L’introduction du chanvre est aussi une réussite à l’échelle de l’ensemble du système de culture, notamment via les très bons rendements du blé qui l’a suivi.

Pas de solution miracle pour tenir la triple performance

Mais d’autres essais ne se sont pas montrés concluants : « en grandes cultures, rien n’est simple : améliorer un critère peut conduire à en dégrader un autre… », a affirmé Vincent Laudinat.

Un des aspects qui a été étudié est la diversification des cultures via, notamment, l’introduction du pois. Comme beaucoup d’agriculteurs, l’équipe de Syppre Champagne n’a pas pu récolter cette culture à plusieurs reprises, principalement en raison de la prédation des oiseaux, particulièrement forte sur la plateforme expérimentale. Or, le pois explique en partie la réussite du colza robuste conduit ensuite. L’année prochaine, l’équipe Syppre envisage de le remplacer par de la lentille, moins sensible à la prédation. Avec les mauvaises performances de certaines cultures de diversification et les risques pris, le résultat économique n’est pas au rendez-vous. L’atelier de présentation sur la diversification de la rotation « Diversifier ses cultures pour moins gagner ? », avait même été nommé de la sorte par l’ITB, de façon quelque peu provocatrice. Le propos peut être modéré en étudiant certaines séquences précises, notamment la succession chanvre-blé.

Par ailleurs, dans les deux systèmes, les coordinateurs du projet Syppre ont essayé de se passer de glyphosate et d’avoir recours au désherbage mécanique, notamment en raison des incertitudes politiques sur le célèbre désherbant. Une difficulté qui explique en partie l’échec du strip-till en betterave car cette technique nécessite une bonne maîtrise de l’enherbement. Par ailleurs, les conditions météorologiques de ces derniers mois ont montré les limites de l’utilisation de la herse étrille sur blé et orge de printemps, même dans les terres filtrantes de Champagne crayeuse. Elle n’a pas pu être utilisée ces deux dernières années.

Si ce projet a permis de trouver ou de valider certains aspects agronomiques, il n’en reste pas moins que le pari de la triple performance n’a pas été atteint à ce stade sur cette plateforme.

« Les résultats devraient être diffusés auprès des responsables politiques »

Eddy Bollaert, planteur dans l’Aube et membre du comité de pilotage du projet Syppre.

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« Les résultats du projet Syppre montrent bien que, quand on est gagnant sur la consommation d’énergie ou de phyto, on perd sur la productivité et sur la marge économique. Même les personnes les plus compétentes de l’ITB n’arrivent pas à atteindre cette triple performance, dans le contexte réglementaire que nous avons. Cela fait du bien de ne pas se sentir seul.

En fait, les objectifs environnementaux seraient atteignables si les prix étaient beaucoup plus hauts. Un bon exemple est le plan protéine : on peut mettre en avant tous les atouts agronomiques des protéagineux : il n’en reste pas moins que la marge est trop faible.

Les résultats présentés lors du colloque de restitution étaient très intéressants, mais il serait bon qu’ils soient diffusés plus largement, auprès des agriculteurs mais surtout auprès des responsables politiques. Il faudrait les inviter afin de mettre le doigt sur les problèmes réglementaires qu’ils nous imposent. Faire un décret sur le coin d’une table, c’est facile. Le mettre en application dans le concret, c’est beaucoup plus compliqué ».