L’étude de la base de données d’analyses de terre (Gis Sol) montre des réductions importantes des teneurs en phosphore et en potassium entre les périodes 2003-2011 et 2012-2020. Il est nécessaire d’être attentif à l’évolution des teneurs de ses parcelles, notamment pour une culture exigeante comme la betterave sucrière. Lorsque les symptômes de carence sont observés, le retard de développement subi n’est pas rattrapable. Il faut donc anticiper ces situations en réalisant des analyses chimiques de sol environ tous les cinq ans. Le mode de raisonnement, commun à la fertilisation phosphorique et potassique, repose sur celles-ci.
Quelle dose de phosphore et de potassium apporter ?
La détermination de la dose à apporter repose sur la méthode établie par le Comifer. Celle-ci est appliquée par la plupart des laboratoires d’analyse et de conseil. Elle prend en compte quatre facteurs : les exportations de la culture à fertiliser, l’exigence de la culture, la teneur du sol, l’historique des apports. Le calcul de la dose de P2O5 ou de K2O à apporter correspond à l’estimation de l’export par la culture multiplié par un coefficient, d’autant plus élevé que la culture est considérée comme exigeante, que la teneur dans le sol est faible, et que les derniers apports réalisés sont anciens.
Trois classes d’exigence sont définies pour la détermination de ce coefficient, et la betterave sucrière figure parmi la classe d’exigence la plus élevée pour ces deux éléments. Il convient donc de ne pas négliger les apports de phosphore et de potassium sur betterave sucrière.
Concernant les teneurs du sol, des valeurs de seuils dits de renforcement et d’impasse, ont été déterminées, selon l’élément considéré (P2O5 ou K2O) et la méthode d’analyse employée (Olsen, Joret-Hébert, Dyer pour le phosphore). Le seuil de renforcement est défini comme la valeur sous laquelle un apport d’amendement équivalent à l’exportation théorique ne suffit pas à éviter des pertes de rendement. Dans le cas où les teneurs sont inférieures à ce seuil, les efforts de fertilisation sont très conséquents et coûteux : il est donc important d’avoir un entretien régulier pour éviter de se retrouver dans cette situation. Le seuil d’impasse se définit quant à lui comme le niveau d’offre du sol au-delà duquel l’absence de fertilisation n’induit pas de perte sensible de rendement. Les valeurs de ces seuils sont données pour les principaux sols betteraviers pour le phosphore (méthode Olsen) dans le tableau 1 et pour le potassium (K2O échangeable) dans le tableau 2. Il est à noter que les seuils pour la méthode Olsen ont été actualisés en 2020 pour les sols de craie, avec des valeurs qui ont diminué significativement (145 à 90 mg/kg pour le seuil de renforcement, et 210 à 130 mg/kg pour le seuil d’impasse). Du fait de cette actualisation, pour une teneur de sol donnée, la valeur de dose d’engrais à apporter a fortement baissé. Il est donc nécessaire de baser sa fertilisation en sols de craie sur des références établies après l’année 2020.
Enfin, les exports sont très conséquents pour le potassium, d’où les doses d’apports conseillées élevées. La teneur en K2O retenue dans les exportations est de 1.8 kg de K2O par tonne à 16 % de betterave sucrière. Il est aussi important de noter que, pour les céréales, l’export de K2O par les pailles, quand celles-ci ne sont pas enfouies, est important : le Comifer considère un export de 12.3 kg K2O/t de pailles de blé. À titre d’exemple, une betterave avec un rendement de 85 t à 16 °/ha exportera environ 153 kg K2O/ha. En cas d’un export de 7 t de pailles de blé en tant que précédente culture, il faudra considérer un export supplémentaire d’approximativement 86 kg K2O/ha. Pour la betterave sucrière, la teneur en P2O5 dans les exportations est fixée à 0,5 kg de P2O5 par tonne à 16 %, soit 42,5 kg P2O5/ha avec un rendement de 85 t à 16 °/ha.
Les tableaux 3 et 4 donnent des abaques simplifiés des quantités de P2O5 et de K2O à apporter selon le type de sol, la teneur de l’élément dans le sol, et la date du dernier apport. À titre d’exemple, pour le phosphore : pour un agriculteur avec un sol de limon présentant une teneur de 75 mg/kg (méthode Olsen) et qui n’a pas réalisé d’apport depuis plus de deux ans dans sa parcelle, il devra réaliser un apport de 85 kg P2O5/ha avant ses betteraves sucrières.
Périodes et formes d’apports
Concernant le potassium, les formes de sulfate et de chlorure de potassium peuvent être choisies indifféremment. Si la teneur du sol est supérieure au seuil de renforcement, l’apport peut être réalisé à l’automne ou au printemps. Si la teneur est inférieure au seuil de renforcement, il sera préférable de réaliser un apport d’automne compte tenu du risque de glaçage du sol à la suite d’un apport conséquent avant semis. Ce conseil est d’autant plus important à suivre pour des sols sensibles à la battance.
Les fortes fertilisations potassiques (> 250 kg/ha de K2O) devront nécessairement être accompagnées d’apport de 30 à 40 kg/ha de magnésie au printemps pour éviter tout risque de carence magnésienne.
Pour le phosphore, il convient de choisir des engrais de très bonne solubilité de type superphosphates. Pour des teneurs de sol supérieures au seuil de renforcement, l’apport pourra être réalisé à l’automne ou au printemps. En revanche, contrairement au potassium, pour une teneur inférieure au seuil de renforcement, il faudra privilégier des apports de printemps notamment dans les sols de craie et à pH supérieurs à 7,5.
Pour ces deux éléments, il est primordial de prendre en compte la contribution des fertilisants organiques apportés pendant l’interculture précédant la betterave. Il est fréquent que leurs apports suffisent dans des situations bien entretenues : 3 t/ha de vinasses de sucrerie apportent environ 150 à 180 kg K2O/ha, 30 t/ha de fumiers de bovins environ 67 kg P2O5/ha et 285 kg K2O/ha, et 30 m3 de lisier de porc environ 92 kg P2O5/ha et 140 kg K2O/ha.
Témoignage d’expert de François Courtaux, responsable régional de la délégation ITB de l’Aisne
Quel constat avez-vous pu faire dans l’Aisne en 2024 sur l’acidité des parcelles ?
Avec les conditions pluvieuses du printemps, des symptômes d’acidité se sont révélés dans de nombreuses parcelles du département. Ces situations ont été identifiées dans des sols de limons, particulièrement sensibles à la battance, et pour lesquels l’entretien avec des amendements basiques n’est pas toujours bien assuré. Les valeurs de pH et de teneurs en carbonates sont bien en-dessous des valeurs conseillées par l’ITB.
Comment sont caractérisés ces symptômes d’acidité ?
Dans notre territoire, l’hétérogénéité intra-parcellaire peut être conséquente.
Les parcelles sont donc partiellement impactées, avec des symptômes observés dans les zones les plus sensibles. La battance provoque un ralentissement significatif de la croissance des betteraves, avec un retard observé d’environ 4 à 8 semaines. Ces sols refermés et humides peuvent aussi favoriser le développement de certains champignons racinaires comme l’aphanomyces ou le rhizoctone brun.
Comment éviter l’apparition de ces symptômes ?
Il faut penser à contrôler l’acidité et les teneurs en carbonate de ses parcelles.
Des apports réguliers d’amendements basiques sont nécessaires, établis sur la base d’analyses de sol récentes. Si plusieurs grandes zones sont différenciées dans la parcelle, une analyse peut être réalisée dans chacune d’entre elles. Les observations réalisées au printemps 2024 peuvent être précieuses pour les identifier.