En ce mois de mai, Laurent Caillaux goûte le privilège d’arpenter son champ de betteraves situé sur la commune de Aillières-Beauvoir. Avec quelques dizaines d’irréductibles planteurs, il se bat depuis plus de 30 ans pour que la zone de Mamers puisse encore cultiver cette tête de rotation. Les 1 350 hectares ensemencés cette année se trouvent à cheval entre l’Orne et la Sarthe.
Aujourd’hui, 55 planteurs livrent leurs betteraves à la sucrerie d’Artenay (groupe Tereos), située en moyenne à 140 km de là. Ils se connaissent tous et se serrent les coudes, car ils savent que la lutte a été difficile pour être encore là à cultiver des betteraves.
Après être passée de main en main au début des années quatre-vingt, la sucrerie de Mamers tombe dans l’escarcelle de la Générale Sucrière, qui ferme l’usine dans la foulée. « Une partie des planteurs est partie à Cagny et l’autre à Nassandres. Puis l’usine de Nassandres a été fermée en 1988 et nous nous sommes tous retrouvés à Cagny à 130 km de là, raconte Laurent Caillaux. En 1993, les betteraves étaient à peine semées qu’on nous a annoncé qu’il fallait changer de sucrerie. Au dernier moment, la coopérative d’Artenay nous a proposé de prendre nos betteraves. »
Les planteurs de Mamers sont donc devenus tiers associé. « À partir de là, le combat syndical a commencé pour moi. J’ai été le porte-parole des planteurs de la Sarthe auprès d’Artenay qui voulait nous avoir à l’usure pour récupérer nos quotas. Le combat a duré 6 ans jusqu’en 2000, date de notre entrée dans la coopérative. Heureusement, la CGB nous a bien défendus. »
Et puis, il y a eu la fusion de la coopérative d’Artenay avec les Sucreries Distilleries de l’Aisne (SDA). « Le président de la CGB de l’époque, Dominique Ducroquet, nous a aidés et nous avons souscrit du capital social pour les betteraves A et B. » Laurent Caillaux est entré au conseil d’administration de la coopérative d’Artenay en 2012, puis est devenu conseiller de région sud chez Tereos.
Nous sommes toujours là !
« Nous sommes toujours là ! » lance Laurent Caillaux quand il refait l’histoire des combats menés avec collègues. Ils étaient 60 planteurs sur 700 ha en 1993. En 2007, 20 planteurs ont arrêté et ils n’étaient plus que 40 sur à peine 500 ha un an après. « Nous n’avons pas voulu prendre le chèque. Nous nous sommes dit : on continue. Et vu qu’Artenay était fragilisé avec ses 55 jours de campagne, nous avons eu la possibilité d’augmenter les surfaces. »
En 2019, Laurent Caillaux reprend son bâton de pèlerin et démarche 10 nouveaux planteurs. « Cette année, nous en avons encore recruté 3 nouveaux pour compenser le départ de 2 betteraviers et atteindre au total 1 350 ha avec une centaine d’hectares de contrats additionnels. » Aujourd’hui, les planteurs de Mamers représentent 12 à 13 % des betteraves transformées à Artenay.
Mordu de la betterave
Pour la récolte, le secteur de Mamers s’est organisé autour de deux Cuma, un entrepreneur et Laurent Caillaux, qui arrache 200 ha avec une intégrale Homer T3 d’occasion. Les Cuma sont équipées d’une Holmer T4 et de deux Ropa. Tous les betteraviers se sont aussi regroupés pour acheter un avaleur Ropa de 10 mètres.
« Nous sommes solidaires en cas de problème. » Les agriculteurs se serrent les coudes. « Nous faisons du covoiturage pour aller aux réunions de Tereos, les kilomètres sont indemnisés par la Cuma. Les réunions bout de champ sont très fréquentées. Par exemple, 47 des 55 planteurs étaient présents à la réunion d’hiver du bilan de campagne. » Et d’ajouter : « ici, nous cotisons à la CGB à 90 % ! Je rappelle tous les combats menés : si nous sommes encore là, c’est grâce à la CGB et à l’opiniâtreté de tous ».
Et puis Laurent Caillaux se définit comme un « mordu de la betterave », une plante qui le lui rend bien, avec ses 90 t/ha l’année dernière.
Maintenant, il est prêt à passer le relais. Son fils aîné s’est installé en 2016 sur une partie des 400 ha (il y a 3 structures) et son deuxième fils doit reprendre le reste. Il espère bien que ses deux fils continueront à faire de la betterave… Et pour animer le groupe de planteurs de Mamers ? Un nouveau planteur, Maxime Lorieux, arrivé en 2020 et déjà conseiller stagiaire de région chez Tereos, pourrait relever le défi pour que la betterave subsiste aux confins de la Sarthe et de l’Orne.