Blonds comme les blés de la Beauce, leur pays natal. Les jumeaux Henri et Thibault Pelé connaissent chaque parcelle de terre exploitée en blé, pommes de terre et betteraves par leur père Alexandre. À Congerville-Thionville (Essonne), ils s’activent dès le matin, alors qu’ils pourraient profiter des vacances estivales dans la vaste maison dont la construction remonte aux Templiers.

Les frères qui ont fêté leurs 13 ans en avril dernier, arrachent à la binette les betteraves montées en graine et les chardons sur les 25 hectares cultivés. À l’occasion, ils signalent les cas de jaunisse, heureusement rares cette année. Inséparables, ils fonctionnent en duo sans rivalité apparente avec, à leur côté, le chien Jadis, qui lève les lièvres dans les champs.

« Chaque jour, nous devons positionner la rampe d’irrigation des betteraves pour qu’elle suive le bon tracé », explique Henri. De plus, avec l’aide d’Alexandre, ils conduisent le tracteur avec un plaisir évident, afin de déplacer les énormes enrouleurs Super Rain 125, dont ils observent le dosage et la vitesse. C’est aussi leur père qui supervise la dépose des tuyaux et se charge de raccorder l’ensemble au réseau d’eau.

Dès qu’Alexandre émet une demande – et non un ordre -, les deux garçons passent immédiatement à l’action. C’est une sorte d’enseignement par l’exemple, également au contact des aînés Eugénie, François et Paul. Entre eux, les paroles sont parfois inutiles parce que le geste suffit.

Solidarité familiale

Leur aide spontanée, qui ne se limite pas aux betteraves, mais concerne aussi la moisson de blé, et le gîte tenu par leur mère Marjolaine dans le petit village, n’est pas rémunérée. Et cela ne les choque pas du tout. Intuitivement, ils comprennent la part de formation via l’observation des gestes, des plantes et de la conduite des machines. On songe à un jeu, à un ballet bien réglé et incessant à travers champs. C’est aussi une façon de s’inscrire dans la solidarité familiale.

Pour eux, cette activité saisonnière et répétée jour après jour est plutôt synonyme de liberté. « Je n’aimerais pas vivre en ville, parce qu’ici, on peut crier sans gêner personne, précise Thibault. On entend le vent. Et en plus, on profite de toute la place que l’on veut ! » S’ils se rendent à Paris, c’est pour arpenter le Salon de l’agriculture, visiter Le Louvre ou le musée Grévin.

Hors de la maison et des cultures, la vie scolaire est classique avec un passage cette année en 4ème, au collège Notre-Dame de Janville-en-Beauce. Les loisirs sont actifs : football et tennis. Le scoutisme à partir de mi-août est la seule activité qui les détourne de l’agriculture, lorsque les moissons sont achevées. Au quotidien, Marjolaine assure l’intendance : les copieux repas et les innombrables navettes entre Chart​res, Étampes et Congerville-Thionville. Les vacances en famille se déroulent à la montagne et en Bretagne.

Les manifestations des agriculteurs de février 2024, ils les ont observées à la télévision lors du 20 h de TF1 ou en écoutant RMC. S’ils sont au courant des difficultés, de la baisse du nombre d’exploitants et des critiques émises envers le métier, notamment en ce qui concerne l’usage de néonicotinoïdes, ils n’en restent pas moins droits dans leurs bottes. Et fiers des interventions médiatiques de leur père, qui défend un système de culture conventionnel.

Continuer ou pas le travail d’Alexandre n’est ni une obsession, ni un sujet tabou. « On en parle un peu avec d’autres amis fils d’agriculteurs, reconnaît Thibault en conservant le flou de ses intentions. Certains n’en ont pas envie, d’autres hésitent ».

Ils sentent bien que leur vie est différente de celle de beaucoup de leurs camarades. Mais n’expriment ni regret, ni frustration. Pour Henri et son frère, peu importe qu’ils manquent de voisins de leur âge à proximité pour jouer : « L’avantage c’est que nos parents sont presque toujours à la maison. Chez nous, la famille et la ferme sont liées ».

Pourquoi les enfants ? Histoire d’un cheminement

Pendant près de 25 années de journalisme consacrées à l’agriculture, je reste fascinée par la présence des enfants dans les fermes… et par leur discrétion. Beaucoup participent activement à la vie de l’exploitation, partageant les bonnes et les mauvaises nouvelles. Quels sont leurs rêves et leurs craintes ? Comment imaginent-ils leur destinée ? Dans la continuité ou la rupture ?

Pour répondre à ces questions, il fallait partir à la rencontre des fratries âgées de 4 à 15 ans, les écouter, les raconter… et montrer leur quotidien. Avec la photographe Géraldine Aresteanu, nous avons travaillé au plus près des enfants en restant plusieurs jours avec eux. En février 2024, nous avons commencé avec Marius et sa sœur Mélodie dans le Beaufort, puis enchaîné en juillet chez Henri et Thibault dans la Beauce. Il nous faut compléter cette série par une famille de maraîchers en Auvergne et une bergère dans les Alpes du Sud. Nous espérons que notre enquête complétée avec des analyses de sociologues et d’acteurs du monde agricole (MSA, Chambre d’agriculture, MFR…), sera déclinée en articles et en expositions.

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On peut découvrir le travail de Géraldine Aresteanu sur son instagram (geraldine_aresteanu).