« Tout est possible avec les fibres végétales, assure Pierre Bono, directeur du FRD-Codem. Ce centre de ressources technologiques, créé en 2007 à Amiens, vise le déploiement à grande échelle des écomatériaux et produits biosourcés. Et ses actionnaires, surtout des coopératives (dont ARD, Agro-Industrie Recherches et Développements, basé à Pomacle dans la Marne) commencent à voir le résultat des recherches réalisées.
Enfin, car le coût d’accès pour devenir un biomatériau est de 50 000 à 400 000 euros, avec une dizaine d’années en recherche et développement.
« Il y a 16 ans, nous étions incapables de fournir des caractéristiques techniques de produits comme le béton de chanvre. Il a fallu comprendre les industriels, parler leur langage et investir. Les deux millions d’euros dépensés permettent de massifier les usages », se réjouit le directeur. L’enjeu est aussi de garder de la valeur en amont dans les territoires. La majorité de la plasturgie se situe en Asie. Appuyé par la région Hauts-de-France et celle du Grand Est, le FRD-Codem se targue d’un savoir-faire unique au niveau mondial. Mais la course s’apparente à un marathon.
« Nous travaillons une cinquantaine de biomasses différentes. Le chanvre et le lin sont les filières les plus organisées, suivies par le miscanthus. Nous avons même transformé pour un viticulteur des ceps de vignes en coffrets et des caisses à vendanger. Notre objectif est de créer de la valeur dans des produits sûrs et compétitifs ».
Des briques en paille de colza
Valoriser les propriétés de la paille de colza pour l’isolation thermique et créer une filière structurée et dynamique : tel est le projet lancé en 2011 par la Coopération Agricole Hauts-de-France (groupe de sept coopératives agricoles), avec l’appui du FRD-Codem. Avec près de 2 millions de tonnes de paille de colza potentiellement mobilisables chaque année en France, dont 180 000 tonnes dans les Hauts-de-France, les ressources sont énormes. Et en face, les besoins du secteur de la construction et de la rénovation pour les écomatériaux aussi. Après plusieurs années, les recherches débouchent sur un béton de paille de colza aussi performant – voire plus ! – qu’un béton de chanvre équivalent.
Le projet BIP-Colza, lancé en 2018, est en phase de validation industrielle pour des blocs isolants ou porteurs en paille de colza. Cérésia et Val France, deux coopératives des Hauts-de-France, travaillent à la mise au point d’unités de première transformation. L’étape clé de la massification des usages passe par une clarification des conditions économiques, réglementaires et environnementales. La normalisation des produits devrait suivre. La fin de cette première étape clé du projet est attendue d’ici à l’an prochain. Elle devrait déboucher sur la normalisation de ces produits. Quatre chantiers de rénovation dans la Somme l’ont utilisé. Le bilan s’avère plus que satisfaisant sur le bon comportement thermique et mécanique ainsi que sur le confort de vie.
Bloc de lin : un développement local à très fort potentiel
Autre réalisation réussie avec la ressource locale : le Bâtilin, 100 % Hauts-de-France. Cette brique de lin se targue d’un bilan carbone négatif ! Réalisée avec les anas de lin, fragments de tiges qui constituent la moitié des pailles récoltées, elle améliore la valorisation du lin pour les liniculteurs. La coopérative La linière, qui travaille depuis 2016 avec le FR-Codem, est à l’origine du projet. La brique de lin Bâitlin mise sur le marché coche toutes les cases : produit 100 % local, haut confort thermique, isolation phonique et perspirance.
Pour développer le marché de ces biomatériaux, le FRD-Codem forme tous les acteurs de la construction et de la rénovation des bâtiments. Et vu les avantages différenciants éprouvés et démontrés, les biomatériaux séduisent de plus en plus.
Isoler sa maison avec de la paille hachée, c’est possible. La coopérative de la Vienne La tricherie a investi dans un outil de transformation SCIC Ielo, en 2021. Cette société fabrique un isolant 100 % paille de blé sans additif, compostable et biodégradable. Sa mise en œuvre par insufflation, déversement et soufflage est très facile car elle utilise des techniques et du matériel déjà employés dans le bâtiment. Il est possible aussi d’isoler en comblant des parois verticales et des murs à ossature bois.
La première ligne a été mise en route en 2023 à Bonneuil-Matours. La chaîne accueille la paille en grosses balles, qui sont déficelées, nettoyées, broyées, dépoussiérées et ensachées en sacs de 15 kg. L’objectif est d’aller vers du vrac afin de baisser l’empreinte carbone. D’autres ateliers de production sont prévus, pour rapprocher la production de la consommation. Ielo s’est fixé pour objectif que la paille ne parcoure pas plus de 250 km, du site de production jusqu’à l’atelier du charpentier ou jusqu’au chantier.
Depuis 2023, 20 tonnes de paille ont servi pour l’isolation dans 20 projets. Ileo forme les artisans qui emploient des techniques similaires. Un des projets est l’isolation de la crèche de Moreuil (80).
L’absence de certification Atex en cours pénalise le produit. Il faut en effet convaincre les assureurs.