« Une partie de la sécurité alimentaire de la planète se joue sur la culture de la pomme de terre, avait déclaré Qu Dongyu, le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2022. Sa production devra doubler d’ici 2030 ». Elle atteindrait ainsi 750 millions de tonnes (Mt) en 2030.
« Le taux de contribution de la pomme de terre à l’alimentation mondiale passerait alors de 3,7 % à 6,4 % d’ici 2030, rapporte Diane Mordacq, l’auteure de l’article. La pomme de terre une valeur sûre de l’alimentation », paru dans l’édition Démeter 2024 (1).
Toutefois, la pomme de terre resterait le troisième aliment le plus consommé par l’homme sur la planète car les productions de blé et de riz sont aussi appelées à croître. À moins que la culture du riz soit délaissée en Asie, car trop exigeante en eau.
Pour produire dans le monde 750 Mt de pommes de terre d’ici à 2030, il faudrait en récolter jusqu’à 50 Mt de plus chaque année. Or en 2022, dernier chiffre connu, la FAO a estimé à 375 Mt la production mondiale de pommes de terre. Ces quatre dernières années, celle-ci n’a augmenté que de 10 Mt.
En fait, la croissance de la production mondiale de pommes de terre serait surtout chinoise.
« Le gouvernement de Pékin a l’intention d’imposer cette culture dans les régions du nord-est de l’ancien Empire du milieu », rapporte Diane Mordacq.
La Chine est actuellement le premier producteur au monde de pommes de terre (95,6 Mt en 2022 selon la FAO) avec 25 % de la production mondiale.
« La pomme de terre est de plus en plus cultivée aux dépens du riz dans les régions où la céréale est produite, précise encore Diane Mordacq. Mais l’Empire du milieu a aussi lancé sa production en Mongolie intérieure, dans le désert de Kubuqi ».
Dans le chapitre du « Cyclope 2024, les marchés mondiaux (2) », dédié à la pomme de terre, Félix Kane, son contributeur, reprend à son compte l’estimation du China’s Agricultural Outlook, à savoir que la consommation chinoise de pommes de terre atteindrait 128 Mt en 2032. Elle progresserait ainsi de 18,5 % par rapport à 2022.
Cette prévision préfigure une augmentation de la production de pommes de terre du pays dans les mêmes proportions, car la denrée n’est pas exportable en grande quantité sur de longues distances en l’état.
Dans les régions rizicoles
Hormis la Chine, la culture de pommes de terre est aussi appelée à s’étendre dans les régions rizicoles. « L’Asie représente d’ores et déjà 57 % des surfaces cultivées dans le monde et 53 % de la production du tubercule », souligne Diane Mordacq.
Ces cinq dernières années, la production de pommes de terre a notamment augmenté de 13 Mt en Inde (56,2 Mt ; 2ème pays producteur au monde) et au Bangladesh (10,1 Mt). Au Pakistan, elle a progressé de 70 % et a atteint 7,9 Mt.
Dans la plupart des pays où le tubercule est cultivé, les gains de productivité sont énormes. Par le passé, ce phénomène a déjà été observé dans les pays occidentaux. En Union européenne, la baisse de 75 % de surfaces cultivées au cours des 60 dernières années a été en grande partie compensée par la hausse des rendements. Au fil du temps, les pays émergents n’échapperont pas à cette évolution.
En fait, la culture des pommes de terre s’impose toujours d’elle-même pour réduire, là où c’est possible, la part de la population de la planète (9,2 % en 2022) confrontée à l’insécurité alimentaire.
« Entre 1961 et 2021, les surfaces dédiées à la culture de pommes de terre ont augmenté de 628 % en Afrique et de 339 % en Asie », souligne Diane Mordacq.
Dans les exploitations, la diversification des productions agricoles et l’introduction de la pomme de terre dans la rotation des cultures étoffent la variété des plantes cultivées et contribuent à renforcer la sécurité alimentaire des paysans.
Dans son article, Diane Mordacq rapporte différentes initiatives prises par quelques pays, où la production de pommes de terre est l’option retenue par les paysans pour se nourrir et pour se procurer des revenus supplémentaires en vendant leurs surplus.
En Afrique, le Nigéria sera le pays le plus peuplé au monde après la Chine et l’Inde. Il cultive des pommes de terre depuis soixante ans. En 2021, il en a produit 12 Mt.
« Afin de poursuivre ce développement, le pays s’est doté, en septembre 2023, d’un plan stratégique quinquennal pour la pomme de terre, dont l’objectif est d’assurer une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable », souligne Diane Mordacq.
Les grands pays « historiques » sur le déclin
À l’échelle mondiale, la production de pommes de terre ne décolle pas car elle régresse dans les pays industriels, bassins historiques de la culture du tubercule.
Hormis l’Ukraine en guerre, la FAO montre que les grands pays « historiques » producteurs de pommes de terre sont sur le déclin. La Russie (19 Mt) et les États-Unis (18 Mt) récoltaient en 2022 entre deux et trois millions de tonnes de tubercules de moins qu’en 2018.
Selon l’institut européen de la statistique Eurostat, la récolte de pommes de terre (y compris la production de plants) a atteint 46,3 Mt en 2023, soit le niveau le plus bas observé depuis le début du siècle.
Les conditions climatiques ne sont pas favorables durant la période de végétation. L’automne passé, l’Europe de l’Ouest peinait à achever la récolte de pommes de terre en raison des pluies abondantes. Le printemps dernier, une partie des terres trempées étaient impraticables. Par ailleurs, les agriculteurs manquent de plants.
En Ukraine, mêmes causes, mêmes effets. Le troisième pays producteur au monde de pommes de terre (21 Mt en 2022) a été confronté à une pénurie de tubercules de qualité. Les distributeurs et les transformateurs en ont importé, depuis l’Union européenne notamment.
La culture de pommes de terre résiste néanmoins aux affres de la guerre car il s’agit essentiellement d’une production familiale.
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(1) IRIS Editions / Club Démeter
(2) Sous la direction de Philippe Chalmin et Yves Jégourel. Editions Economica