« En Hauts-de-France, il ne s’est rien passé depuis 20 ans et soudainement, trois industriels projettent de construire trois usines pour y transformer jusqu’à 1,2 million de tonnes (Mt) de pommes de terre (3 x 400 000 tonnes) », s’étonne encore Bertrand Ouillon, délégué général du GIPT, le groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre. Il s’agit d’Ecofrost à Péronne dans la Somme, d’Agristo à Escaudœuvres (Nord) et de Clarebout à Saint-Georges dans la zone d’extension du grand port maritime de Dunkerque.

À ces projets de constructions s’ajoute l’agrandissement de l’unité de transformation de McCain à Harnes dans le Pas-de-Calais (300 000 tonnes par an).

Au total, ces usines transformeront jusqu’à 1,5 Mt de pommes de terre par an à l’horizon de 2027-2028 si elles sont construites à temps.

Le choix de la France

Les industriels belges ont choisi la France pour implanter leurs nouvelles usines, car leur pays ne dispose pas des surfaces suffisantes pour accroître la production belge de pommes de terre et ils n’envisagent pas de transporter, par camion jusqu’en Wallonie et en Flandre, les tubercules récoltés dans l’Hexagone.

Par ailleurs, la France a déroulé le tapis rouge pour rendre les projets de construction facilement réalisables. Deux des trois nouvelles usines seront édifiées sur des friches industrielles. Et surtout, le climat océanique en Hauts-de-France est très favorable à la culture de la pomme de terre. Mais pour en produire au moins 1,5 Mt par an, plus de 30 000 hectares devront être mobilisés.

Depuis quelques mois, des agents des industriels démarchent les planteurs pour les inciter à augmenter leur sole dédiée à la culture de pommes de terre en leur proposant des contrats. Ils tentent aussi de convaincre des agriculteurs de devenir patatier en réservant une partie de la surface de leur exploitation à cette activité aux dépens des céréales ou des oléoprotéagineux.

À Saint-Georges-sur-l’Aa, la société Clarebout a déjà contractualisé avec des planteurs l’équivalent de 4 000 hectares pour la prochaine campagne, afin d’approvisionner la première des deux chaînes de transformation de 200 000 tonnes, qui fonctionnera l’automne prochain.

En 2025 et les années suivantes, Ecofrost et Agristo vont à leur tour progressivement démarrer leurs activités au cours des prochaines années. Des agents de Plaine prospectent déjà pour recruter des planteurs susceptibles d’être intéressés pour contractualiser une partie de la production de leur ferme et sécuriser leur revenu.

Pour chaque tranche de transformation de 200 000 tonnes de pommes de terre, 4 000 hectares supplémentaires devront être mobilisés en Hauts-de-France notamment.

En Champagne-Ardenne, il n’est pas exclu que des planteurs de pommes de terre fécules, qui ont perdu leurs débouchés chez Tereos, soient approchés pour se convertir à la pomme de terre de transformation. Mais ceux qui irriguent leurs champs pour produire de la pomme de terre de conservation destinée à l’export ne sont pas prêts à renoncer à leur activité.

Offres attractives

Dans la plupart des cas, ces nouvelles plantations de pommes de terre vont concurrencer les autres productions. Dans les fermes, les patatiers vont être amenés à faire des choix et à ajuster leurs assolements en fonction de la rentabilité de leurs différentes cultures. De leur côté, les industriels seront contraints de faire des offres attractives pour les enrôler.

Mais les agriculteurs devront aussi respecter des règles d’agronomie pour maintenir la fertilité de leurs sols et réduire les risques phytosanitaires.

À l’échelle de la ferme France, les 30 000 hectares, qui seront convertis à la culture de pommes de terre seront autant d’hectares de céréales, d’oléoprotéagineux, de lin, voire de betteraves en moins qui seront cultivés.

Si ces terres converties à la pomme de terre étaient initialement dédiées à la culture du blé (8 t/ha), jusqu’à 2,4 Mt de grains en moins par an seraient alors récoltées en France !

« Le paysage agricole va changer », soutient Sabine Vajou, présidente de la société Culture Pom, spécialisée dans l’export (voir page ci-contre). Ces nouvelles usines vont offrir de nombreuses possibilités aux planteurs pour valoriser leur production de pommes de terre, sur le marché français ou à l’export.

Comme les agriculteurs chercheront à maximiser leur chiffre d’affaires à l’hectare, une nouvelle hiérarchisation des cultures va s’opérer, probablement au détriment des céréales si les prix restent bas.

« Même si les industriels sont belges, les contrats qu’ils signeront en France avec les planteurs seront régis par le Droit français, précise Bertrand Ouillon. Ils devront entre autres respecter l’accord interprofessionnel du GIPT (groupement d’interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre) et la loi Egalim. Or, cet accord interprofessionnel stipule qu’une production ne peut être exigée à un planteur qui n’a pu la produire. Mais il appartiendra à ce dernier de prévenir à temps l’industriel », ajoute le délégué général.

En Belgique, les planteurs sont souvent contraints d’acheter sur le marché libre ce qu’ils nont pas pu livrer.

Quant à la loi Egalim, les contrats conclus entre les planteurs et les industriels devront être négociés sur la base d’indicateurs pour prendre en compte les coûts de production. Mais la profession s’est entendue pour renégocier ces contrats tous les ans, alors que la loi Egalim impose une contractualisation trisannuelle.

Autre spécificité française, la fourniture de plants aux agriculteurs. En amont, les industriels devront livrer à leurs planteurs contractuels des pommes de terre semences. Aussi, ils devront contractualiser avec les sélectionneurs et les multiplicateurs la production de plants certifiés pour sécuriser l’approvisionnement, alors que le secteur est en crise, faute de producteurs et de rentabilité.

Pour convertir jusqu’à 30 000 hectares de pommes de terre, ces contractualisations vont exacerber la concurrence entre les trois nouveaux groupes belges industriels, mais aussi avec leurs concurrents déjà implantés en France, ou basés en Belgique et qui contractualisent leurs collectes de pommes de terre avec des producteurs français. « Aussi, l’attractivité des contrats ne reposera pas seulement sur les prix des pommes de terre mais aussi sur un ensemble de conditions liées aux contrats conclus, précise Bertrand Ouillon. Le diable est dans les détails ».

Une fois signés, les planteurs veilleront à ce qu’ils soient bien respectés. Les grilles de qualité devront être réalistes et les tares terre ne pas être abusives.

Pour certains planteurs, les démarchages et les tours de plaine seront une opportunité pour changer de partenaire industriel mais dans l’ensemble, le taux de fidélité reste important (95 %). Pour cultiver les pommes de terre, toutes les formes d’organisations de chantiers sont possibles.

Des planteurs ont la capacité d’accroître leur surface de pommes de terre, car ils sont déjà équipés, d’autres acquerront de nouvelles machines après avoir l’assurance que leur production contractualisée soit rentable. Les industriels pourraient aussi proposer aux planteurs des prestations : plantations et arrachages, charges aux patatiers d’entretenir leurs parcelles. Mais les producteurs de pommes de terre pourraient aussi confier à des entreprises de travaux agricoles leurs chantiers de pommes de terre.

Quelques points à vérifier avant de signer un contrat

La première chose à faire est de s’informer sur l’entreprise, notamment sur sa notoriété et sa solidité financière.

Par ailleurs, il est intéressant de regarder comment sont définis (ou non) les cas de force majeure, dans les cas où l’on serait dans l’incapacité de livrer les quantités contractées.

Les périodes et les règles relatives au planning de livraison et au transport sont mentionnées dans le contrat. Il faut notamment regarder qui est responsable en cas de retard d’enlèvement de la marchandise.

Les conditions de réception, les critères de qualité auront une incidence sur le prix. Quels sont ces critères et comment sont-ils mesurés ?

Ce prix peut être fixe, ou dépendre d’indicateurs. Sur quelle base ces derniers sont-ils définis ?

Le plant peut être fourni par l’acheteur : dans ce cas il faut regarder quelles sont les variétés, le calibre, la période de livraison et son prix.

Enfin il peut être utile de contacter le groupement de producteurs, s’il y en a un.