« La betterave sucrière est emblématique de notre région des Hauts-de-France. À travers notre projet de micro-sucrerie, nous cherchons à valoriser cette culture produite en agriculture biologique », explique Sébastien Lemoine, agriculteur et président de la coopérative la fABrique à sucre. Le permis de construire et le dossier ICPE ont été déposés en mai dernier. Le démarrage des travaux est prévu pour l’automne et l’ouverture de la micro-sucrerie en septembre 2025. Elle permettra l’embauche d’une dizaine de salariés, permanents et saisonniers.
Un process innovant
Cette réflexion aura mis du temps à aboutir et pour cause : tout le process se veut innovant, 100 % mécanique et 50 % moins énergivore qu’une sucrerie classique. Dans un premier temps, il est prévu de louer une chaudière à gaz en attendant d’utiliser une source de chaleur plus innovante. L’électricité sera produite à partir de panneaux solaires installés sur la toiture. L’eau de lavage proviendra de la récupération de la vapeur émise lors du process de fabrication du sucre. « De multiples essais ont été réalisés pour optimiser ce nouveau process qui diffère de celui d’une sucrerie conventionnelle, indique Sébastien Lemoine. Validé par des experts, il reste cependant tenu secret, le temps de déposer un brevet. »
La fABrique à sucre produira un sucre « brun », moins purifié que le sucre blanc. « Aujourd’hui, nous sommes en relation avec 150 acheteurs potentiels de ce sucre équitable produit localement dans l’hexagone », précise le président.
116 euros la tonne à 16° et 100 jours de campagne
Pour monter le projet, il a fallu créer une coopérative SAS (Société par Actions Simplifiée) avec une gouvernance partagée dont les planteurs adhérents représentent 51 % des votes. Le projet est soutenu financièrement par l’agence de l’eau, la Région des Hauts-de-France, le Fonds Avenir Bio et la Banque des territoires. « Le prix minimum d’achat est fixé à 116 euros la tonne de betteraves à 16°, précise Sébastien Lemoine. Celui-ci intègre une prime sociale, de l’ordre de 10 à 15 euros la tonne, uniquement rétribuée aux planteurs désherbant manuellement leurs parcelles. Elle permet de compenser un surcoût de main-d’œuvre que n’ont pas les utilisateurs de robot. »
La coopérative vise une première campagne de 100 jours, ce qui correspond à 350 hectares de betteraves bio collectées. 100 hectares supplémentaires pourraient s’ajouter prochainement. À terme, la sucrerie est prévue pour fonctionner avec 500 hectares. En moyenne, 250 à 300 tonnes de betteraves seront ainsi travaillées au quotidien. L’usine devrait donc transformer donc environ 25 000 à 30 000 tonnes de betterave par campagne, ce que transforme une sucrerie classique en 1 à 2 jours.
À ce jour, 50 agriculteurs se sont engagés pour livrer, chacun, cinq à six hectares de betteraves bio, enlevés en une seule fois et déterrés systématiquement pour optimiser le transport. Pour diluer les risques climatiques et sécuriser l’approvisionnement, la fABrique à sucre prévoit des enlèvements de betteraves sur un rayon de 100 km à la ronde.
« Cette idée de construction est courageuse », estime Guillaume Wullens, le président de la CGB Nord-Pas-de-Calais. « Je souhaite qu’elle réussisse ».
« Le coût d’investissement, par rapport aux volumes produits, explose tous les compteurs », estime Timothé Masson, chef du service économique de la CGB. En effet, selon lui, le modèle économique de ce projet ne serait pas viable sans financement public, alors même que le sucre produit s’adressera plutôt à des marchés de niche, en raison notamment d’un prix qui pourrait être plus élevé.
Il pointe du doigt l’enveloppe de 3,1 millions d’euros d’argent public que cette sucrerie recevra de la région Hauts-de-France, des agences de l’eau Artois-Picardie et Seine-Normandie et de l’agence bio, soit environ un quart des dépenses du projet. « Cela représente 6 200 euros par hectare, ou 38 750 euros par planteur (planteur qui, de son côté, investira 2 500 € par hectare) ! Et c’est sans compter un ensemble de prêts à taux nul de la région Hauts-de-France, de la banque des territoires et de Biocoop… Nous suivrons ce projet avec intérêt évidemment mais nous avons des doutes sur le fait qu’il incarne un modèle duplicable au plan économique », affirme Timothé Masson.
La rédaction