Trouver des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave : tel était l’objectif des trois années du programme du PNRI qui vient de s’achever.
Le lancement de ce plan, en septembre 2020, devait trouver des solutions alternatives en un temps record, avec 7 M€ de fonds publics pour un budget total de 20 M€, a rappelé le président de l’ITB, Alexandre Quillet. Et d’expliquer : « à situation exceptionnelle, solution inhabituelle. Nous avons répondu par une démarche innovante, en structurant un nouveau modèle de recherche : celui de faire travailler ensemble les recherches fondamentale et appliquée, le public et le privé, la science et l’économie ».
Comprendre le risque de jaunisse
La première étape a été de mieux comprendre les interactions complexes entre les 4 virus impliqués, le puceron vecteur et leurs plantes hôtes. Un décryptage qui a été confié à Véronique Brault, de l’Inrae de Colmar.
Dans cette lutte contre la maladie, l’identification des réservoirs de virus et de pucerons est essentielle pour élaborer des stratégies de gestion, en amont des phases de colonisation et de multiplication des pucerons dans les parcelles.
« Cette problématique est complexe, en raison du grand nombre de plantes hôtes pour les pucerons (jusqu’à 400 espèces !), a expliqué Jean-Christophe Simon, de l’Inrae de Rennes. Nos travaux ont révélé que le colza et les moutardes sont des réservoirs majeurs des clones de Myzus persicae colonisant les betteraves au printemps ». Le chercheur a ainsi souligné l’importance des betteraves porte-graines et des résidus de culture (cordons de déterrage, repousses), au sein desquels les virus et les pucerons peuvent se maintenir tout l’hiver. Les premiers résultats montrent aussi que certaines plantes, comme la phacélie, hébergent le puceron vert et certains virus provoquant la jaunisse.
Gestion des risques
Grâce au PNRI, nous disposons d’outils de modélisation et de prédiction du risque ainsi que d’éléments pour chiffrer le coût des solutions proposées par le PNRI. « Si l’on part du principe qu’on ne dispose pas d’une solution miracle traitant le problème de manière uniforme et pérenne, quelles que soient les conditions, il est essentiel de développer des outils d’aide à la décision adaptés à chaque contexte et dans des intervalles de temps adéquats », a déclaré Samuel Soubeyrand, de l’Inrae.
Ces OAD peuvent également intéresser les assureurs, afin d’évaluer a posteriori des dégâts.
« Le projet GREcoS a pour objectif de préfigurer un dispositif assurantiel ou indemnitaire pour atténuer les impacts économiques des pertes de rendement liées à la jaunisse virale », a présenté Alexis Patry, directeur de l’ARTB (Association recherche technique betteravière).
Plusieurs scénarios d’instruments financiers (assurances et fonds mutuels) ont été analysés, mais deux dispositifs ont été retenus pour gérer le risque : une assurance jaunisse associée à un contrat multirisques climatique et un fonds de mutualisation de type ISR betterave-sucre (Instrument de stabilisation du revenu). « Il faudra revoir la législation pour mettre en œuvre ces deux dispositifs ». Et tous les producteurs devront respecter des mesures de prévention pour garantir « l’assurabilité » du risque résiduel de jaunisse.
Contrôler la jaunisse à l’échelle de la parcelle
Le PNRI a identifié des solutions accessibles aux agriculteurs : des plantes compagnes, des produits de biocontrôle (par exemple des chrysopes ou des médiateurs chimiques) et des variétés tolérantes. Celles-ci présentent des comportements assez encourageants, mais il y a encore beaucoup de travail avant de pouvoir disposer de variétés commerciales.
Pour les médiateurs chimiques, la société Agriodor propose des allomones sous forme de granulés qui repoussent les pucerons. Tandis que M2i commercialise des phéromones qui attirent les prédateurs des pucerons.
L’efficacité de chacune des solutions a été testée, en conditions de plein champ, dans les Fermes Pilotes d’Expérimentation (FPE). « L’avoine en plante compagne affiche un pourcentage de réduction de pucerons évoluant entre 30 et 50 %, contre 70% pour la référence chimique dans nos conditions expérimentales (Teppeki). Les chrysopes ont un effet significatif, alors que le champignon L muscarium et l’huile de paraffine n’ont pas encore montré d’effet », a dévoilé Audrey Fabarez, chargée de la coordination des expérimentations du PNRI à l’ITB.
La stratégie consistera donc à combiner les différentes solutions qui seront étudiées par le PNRI-C, durant les trois prochaines années. Les fermes pilotes testeront des stratégies de protection classiques combinées avec l’utilisation de plantes compagnes, de phéromones, d’allomones et des variétés tolérantes. Il s’agit de « construire des stratégies qui sont acceptables au niveau du coût pour l’agriculteur », a expliqué Paul Tauvel, agronome à l’ITB.
Approche territoriale
Grâce au PNRI, nous comprenons également mieux le rôle des régulations naturelles, et des moyens de les mobiliser, pour limiter la pression de la jaunisse dans les paysages de grandes cultures. Olivier Therond, de l’Inrae de Colmar, a présenté des résultats de modélisation paysagère qui jouent sur deux leviers : « d’un côté, la diversification spatio-temporelle des cultures et les habitats semi-naturels favorisent les auxiliaires des cultures, augmentant le potentiel de prédation et de parasitisme. De l’autre, cette diversification induit une réduction et une plus grande dispersion des ressources pour les pucerons, limitant les risques de pullulation ».
Les réservoirs viraux ont aussi une grande importance dans cette approche territoriale. Le cas de la région Centre-Val de Loire est emblématique, puisque c’est la seule région où se côtoient des betteraves racines et porte-graines (sucrières, potagères). La superposition des cultures dans leur calendrier cultural écarte toute possibilité de limiter les réservoirs viraux par l’absence de betteraves cultivées durant une partie de l’année.
Un plan d’action a donc été mis en place pour protéger les deux cultures : les betteraves sucrières et les porte-graines en Eure-et-Loir. Fernand Roques, ingénieur à la Fnams, et Fabienne Maupas, responsable du département technique et scientifique de l’ITB, ont présenté ce plan qui met en place une protection renforcée des parcelles en complétant la protection aphicide avec des solutions testées au cours des 3 années du PNRI. Au total, 457 hectares de plantes compagnes ont été déployées, 280 ha de granulés Agriodor, sur 74 parcelles de betteraves sucrières.
Le directeur général de l’ITB, Vincent Laudinat, a insisté sur la gestion prophylactique à mener systématiquement sur l’ensemble du territoire betteravier français, même si la présence de jaunisse n’était pas identifiée localement l’année précédente, afin de « prévenir les rebonds épidémiques d’une campagne agricole à la suivante ».
Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture à l’Inrae, a conclu le colloque : « avec le PNRI, on a sorti l’artillerie lourde : on a étudié des dizaines de milliers de plantes et des centaines de milliers de pucerons et de virus… ». Le PNRI a été, selon lui, l’occasion de « grandes ruptures : sur la qualité de la modélisation, les pucerons, les paysages, les plantes de service, les auxiliaires, les composés organiques volatils, les variétés résistantes, la gestion des réservoirs viraux… ». Et Christian Huyghe d’insister sur la prophylaxie : « il faut travailler sur les repousses, les cordons de déterrage et la zone de production de porte-graines. Il ne faut rien lâcher là-dessus. La santé, c’est un bien commun, c’est un système qui ne supportera pas les passagers clandestins ».
Alors le PNRI 2020-2023 a-t-il atteint ses objectifs ? « Sans doute pas totalement, a répondu le président de l’ITB, car sinon le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau n’aurait pas lancé le PNRI-C, doté de 4 M€ de fonds publics pour les 3 prochaines années ».
Et Alexandre Quillet d’affirmer : « oui, nous avons plus de connaissances aujourd’hui sur les dynamiques de notre couple pucerons-virus, pour appréhender l’avenir avec plus de confiance que de désespoir. Oui, il existe maintenant des solutions qui baissent la pression des pucerons. Non, il n’existe pas aujourd’hui de combinaisons de solutions qui présentent une efficacité proche de celles des néonicotinoïdes en traitement de semences ».
Cyril Cogniard, betteravier dans le sud des Ardennes
« Je souhaite une solution préventive »
« Tout ce que j’ai entendu aujourd’hui ne m’a pas franchement rassuré. On vivra durablement avec de nombreux réservoirs de virus. Le PNRI a montré qu’il faudra casser ce cycle, mais pour l’instant on ne sait pas comment faire. On a vu qu’il est compliqué de repérer les pucerons : il faut se mettre à quatre pattes dans les champs. Les agriculteurs n’ont pas la capacité de faire un diagnostic précis et efficace. Je souhaite donc une solution préventive pour la première période de 40 à 50 jours après les semis : c’est-à-dire une solution en enrobage, pas forcément chimique traditionnelle ».
« Je n’ai pas résolu le problème »
« Être une ferme pilote d’expérimentation, c’est un travail phénoménal. Mon exploitation est très variée, et je remarque que les coccinelles sont mieux dans mes vignes que dans mes betteraves. J’ai tout fait pour lutter contre la jaunisse : des variétés, de l’avoine en plante compagne, Agriodor, des chrysopes … et quatre insecticides. Les semis sont du 21 mars, les levées le 8 avril, les pucerons sont arrivés le 10 avril et la jaunisse le 10 juin. Même en utilisant beaucoup de leviers, je n’ai pas résolu le problème. Depuis 15 jours, je ne dors pas bien ! »