Depuis 2022 et le début de la guerre, la production de sucre ukrainienne – éloignée des zones de guerre – amorce une montée en puissance qui effraie les filières européennes. Il faut dire qu’en une campagne, le pays s’est montré capable d’augmenter d’un tiers ses surfaces betteravières : un cas unique et qui n’est pas sans rappeler la fulgurante ascension de ce pays en ce qui concerne le maïs… D’où provient la force de ce pays sucrier ?

Tout d’abord, l’Ukraine est un grand pays agricole. Alors que sa superficie n’est que de 10% supérieure à celle de la France, sa surface arable est deux fois plus étendue que la nôtre. Mieux : 30 % de cette surface est constituée de tchernozioms, terres riches en humus particulièrement fertiles.

La culture de la betterave est concentrée sur les meilleures terres du pays. Celles-ci sont cultivées par des agro-holdings de plusieurs dizaines de milliers d’hectares : 21% de la SAU est détenue par 180 entités de plus de 10 000 hectares – dont la moitié (12 % de la SAU) par des exploitations de plus de 100 000 ha. La quasi-intégralité de la production betteravière provient de ces propriétés foncières, qui possèdent également les sucreries du pays. En fait, la filière sucrière ukrainienne repose sur sept d’entre elles. Ces agro-holdings sont la clé de voûte de la force de frappe agricole ukrainienne à l’export.

Ajustement rapide des surfaces

De 5 Mt de sucre produit par 190 usines sous l’ère soviétique, le pays produisait, à la veille de la guerre de 2022, entre 1 et 2 Mt dans une trentaine d’usines, pour une consommation moyenne de l’ordre de 1,4 Mt. Cette production est le fait de groupes industriels : le service statistique d’état ukrainien estime ainsi que 95 % de la surface betteravière (200 000 à 300 000 ha désormais) est détenue, et cultivée, par des entreprises intégrées – le recours à des planteurs indépendants ne semblant, finalement, que ponctuel et conjoncturel.

En mai 2022 et à la suite de l’invasion russe, la Commission européenne lève tous les droits de douane, sur tous les produits, en provenance d’Ukraine. Immédiatement – c’est-à-dire lors de la campagne 2022-2023, le surplus « structurel » de l’Ukraine, soit autour de 400 000 tonnes, est exporté vers les zones déficitaires de l’Union européenne. Entretemps, motivé par les prix du sucre sur ce nouveau débouché, le pays a augmenté ses surfaces de 36 % et plus de 700 000 tonnes devraient être exportées d’Ukraine vers l’Union européenne en 2023-2024. Suite à la mobilisation syndicale de l’automne dernier, la Commission européenne a inclus le sucre parmi les produits sujets à contingentement à partir du 5 juin 2024. Le seuil de 262 000 tonnes fixé par le nouveau règlement aurait été atteint avant même l’entrée en vigueur des mesures commerciales !

Cette épisode montre que le modèle de production intégrée ukrainien est capable de répondre rapidement au signal prix du marché européen.

Les principaux groupes industriels cultivent également de la betterave. L’agro-holding Astarta, cinquième agro-holding du pays (voir encadré), cultive au total 220 000 ha et possède 6 sucreries. L’agro-holding Radekhivskyi, à la structuration proche de la précédente (surface cultivée non communiqué), appartient au groupe allemand Pfeiffer & Langen depuis 2010, avec 6 usines (la dernière acquise en 2023).

Suivent ensuite les groupes Ukrpromoinvest (108 000 ha, onzième agro-holding du pays), qui possède 2 usines et Agrofirm Svitanok (100 000 ha) avec également 2 usines. Et des groupes de tailles inférieures : Panda groupe, qui cultive 59 000 ha, (3 usines), Aspik (surface inconnue, 2 sucreries) et Gal agro (35 000 ha et sucreries).

En étant à la fois propriétaire des terres et des usines, les agro-holdings ukrainiennes peuvent ajuster très rapidement la surface betteravière en fonction de la demande et du niveau des prix. Cela explique que les variations de surfaces, d’une année à l’autre, puissent être importantes, à l’image de la hausse de 36 % des surfaces betteravières entre 2022 et 2023.

Enfin, même si le rendement moyen ukrainien en betterave à sucre atteint 60 % de celui de la France, la filière ukrainienne peut compter sur 29 produits phytosanitaires aujourd’hui interdits dans l’Union européenne, dont des néonicotinoïdes.

_________

L’Association Recherche Technique Betteravière (ARTB) a publié une note complète sur l’Ukraine, disponible sur le site www.artb-france.com

L’agro-holding Astarta cultive 21 % des betteraves ukrainiennes

Premier producteur sucrier du pays fondé en 1993, le groupe Astarta est dirigé par l’oligarque Victor Ivanchik qui compte parmi les plus grosses fortunes du pays. Depuis 2006, le groupe est coté à la bourse de Varsovie et, à ce titre, publie ses comptes. En 2022, le groupe cultivait 220 000 ha dans sept régions du pays – ce qui en fait la cinquième plus grosse agro-holding du pays en terme de surface. Il produit, en rotation, des betteraves (1,8 Mt en 2022 soit 21 % de la production nationale), du maïs (0,3 Mt), du blé (0,2 Mt), du soja (0,1 Mt) et du tournesol (0,1 Mt) et a également une activité laitière (23 000 vaches laitières). Le groupe assure la transformation de ses produits (6 sucreries en activité), la logistique (capacité de stockage de céréales de 0,5 Mt) et le transport (200 wagons à grains en propre). En 2022, 52 % de son chiffre d’affaires total (510 M€) est réalisé dans l’Union européenne et en Suisse.