« Les solutions alternatives ne se décrètent pas, elles s’inventent et elles se valident ! », introduisait Gilles Robillard, président de Terres Inovia, le 30 mai lors de la journée de restitution des résultats de la plateforme Syppre* de Monchy-Lagache dans la Somme. Trois instituts techniques la pilotent : Arvalis, Terres Inovia et l’ITB. Ils s’entourent de partenaires locaux (Cérésia, Unéal, Comité Nord Plants de pommes de terre, Agrotransfert…).

Ainsi, comme les quatre autres dispositifs Syppre, celui de Picardie doit relever le défi de produire mieux en qualité et quantité, avec moins d’intrants. S’ajoutent les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’amélioration de la fertilité des sols. Compte tenu de son sol en limons profonds, la réduction du tassement et de la battance est prise en compte.

Surtout, les leviers doivent être transmissibles pour maintenir la rentabilité du système en comparaison avec le témoin. Ce dernier, déjà optimisé par les instituts techniques, est rentable. « Dans le système innovant, c’est donc plus difficile d’atteindre la même performance économique », souligne Domitille Jamet, chargée d’études système chez Terres Inovia.

Rotation sur 9 ans ajustée avec les apprentissages

La rotation du système innovant s’étale sur neuf ans. L’assolement se différencie par l’insertion de deux colzas, du maïs et de la féverole d’hiver. Les intercultures, optimisées pour produire de la biomasse, se glissent entre le blé et la betterave, le blé et le maïs puis le colza et la pomme de terre. De plus, le colza et le blé sont semés en direct dans du lotier ou du trèfle blanc nain.

Systématiquement, des légumineuses sont insérées dans les couverts ou dans le colza pour apporter de l’azote. Le deuxième colza remplace les légumes d’industrie depuis 2022 en raison des échecs liés aux dégâts d’oiseaux.

Les pommes de terre de consommation et féculières tolérantes au mildiou ont été abandonnées en 2020. Seules persistent des variétés féculières classiques. Les raisons de ce changement résident dans d’importantes pertes de rendement et de l’absence d’irrigation sur la plateforme.

Un bon chasseur sait chasser avec son chien
Un bon chasseur sait chasser avec son chien

37 % de perte de rentabilité

La performance du système innovant se mesure en pourcentage de celle du témoin. « Le système innovant obtient une meilleure performance environnementale mais pèche sur les critères économiques malgré deux colzas », indique Domitille Jamet. En effet, le différentiel pour la performance économique est de 37 %. Les échecs en cultures industrielles l’expliquent en grande partie.

De plus, les cultures très rémunératrices sont diluées dans la rotation. Quant à la performance de celle de diversification (féverole d’hiver), elle est moindre.

En revanche, en blé et colza, de bons scores de marge directe, aides incluses, sont relevés. En blé, la marge dépasse même de 20 % le témoin. Cela s’explique par une baisse des achats d’engrais. Une économie de 60 unités d’azote découle des précédents en légumineuses et du pilotage des apports d’azote avec l’OAD CHN (Carbone, hydrogène, azote).

Développé par Arvalis et toujours en phase de test, il suit en temps réel l’indice de nutrition azotée du blé. En colza, là encore, la baisse des achats d’engrais améliore la marge. La plante valorise bien l’azote qu’apporte le précédent féverole.

Toutefois, en 2022, les dégâts de mulots en semis direct ont conduit à une perte de peuplement. Conséquence : l’impact sur la marge est de 18 %. Le témoin, en techniques culturales simplifiées, n’a pas été attaqué.

Bons points pour l’environnement

Plus globalement, sur l’ensemble de la rotation innovante, 30 % d’engrais azoté est économisé par rapport au témoin. L’apport moyen annuel est de 100 unités d’azote/ha contre 150. Autre critère environnemental, l’Indice de fréquence de traitement (IFT) diminue de 22 %. Cependant, le repli est de 58 % comparé à la moyenne régionale.

« La diversification avec des espèces moins exigeantes en protection phytosanitaire explique l’écart avec le témoin », précise Domitille Jamet. Le pilotage avec les OAD pour déclencher les traitements, le choix de variétés tolérantes, l’association avec des biocontrôles (soufre, micro-organismes) s’appliquent sur toute la plateforme.

« Pour l’avenir, nous faisons le pari que les services fournis vont améliorer les performances des cultures industrielles », conclut-elle. Il n’est pas non plus exclu que, pour la deuxième rotation, le système innovant soit repensé en profondeur sous l’angle de la rentabilité.

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*Syppre : systèmes innovants et performants.

Betteraves, le TCS plutôt que le strip-till en limons profonds

En sol limoneux, l’itinéraire innovant de la plateforme Syrppe avec le strip-till n’a pas fait ses preuves. Le but de cette technique est d’éviter le travail sur l’inter-rang et d’avoir un travail superficiel sur le rang. Yoann Debeauvais, ingénieur à l’ITB, revient sur les raisons de cet échec et les partis pris.

Le premier itinéraire testé sur la campagne 2020/2021 consistait en un semis d’une culture pivotante et gélive (phacélie, trèfle d’Alexandrie, moutarde) sur les rangs de strip-till en fin d’été. Ensuite, un disque ouvrait le rang au printemps. « Après une levée homogène, la croissance des betteraves s‘est bloquée pendant 1,5 mois en raison d’un sol insuffisamment réchauffé, témoigne -t-il. De plus, le taux de betteraves fourchues se situait autour de 7 %, la terre n’étant pas assez fine sous la graine ».

La perte de rendement est conséquente : 76,7 t/ha pour l’itinéraire en strip-till contre 108,5 t/ha pour le témoin. Changement d’outil au printemps 2022, le Comdor line entre en scène. La levée s’est améliorée car la terre est plus fine. Toutefois, des problèmes d’enracinement sont survenus en raison de la sécheresse. « Le passage du strip till laisse un inter-rang non travaillé et plus haut que le rang de semis, explique-t-il. De plus, ce décalage a créé des difficultés de binage, avec un risque de recouvrement des betteraves. La technique du strip-till demande aussi un désherbage plus précoce. L’IFT pour les deux campagnes est de 4,3 et 4,5 contre 2,4 et 3 dans le témoin. Aussi, nous sommes passés en techniques culturales simplifiées en 2023 avec des rendements plus probants et plus proches de ceux du témoin », précise Yohan Debeauvais. Le couvert d’interculture est maintenu mais implanté classiquement en TCS.

Pommes de terre, rentables avec le pré-buttage

Sur la plateforme Syrppe, le pré-buttage de pommes de terre donne des résultats assez satisfaisants, depuis 2020. Réalisé fin août à début septembre, il permet de se passer du labour en hiver et évite un affinement excessif au printemps. Après un travail assez profond avec l’outil à dents et un passage de herse rotative, le semis couvert végétal intervient juste avant le pré-buttage. « Notre objectif est de faire travailler le sol avec ce couvert pendant l’hiver, indique Solène Garson d’Arvalis. Le mélange est gélif (féverole, tournesol, phacélie, avoine). Après destruction, une reprise du sol au vibroculteur finalise les interventions. Résultat : la structure du sol et la porosité s’améliorent. Outre une meilleure rétention de l’eau, le système racinaire colonise mieux le sol (60 %. de densité racinaire à 70 cm contre 40 %). Un apport régulier de matière organique et le précédent colza concourent à une baisse des achats d’engrais (40 unités d’azote contre 30 unités). En 2022-2023, la marge (avec aides) de cet itinéraire en pommes de terre fécule est de 3478 €/ha versus 3303 €/ha pour un rendement similaire de 40 t/ha.