Un tassement profond généré à la récolte de betterave va-t-il induire une perte de rendement importante sur les cultures suivantes dans la rotation ? Telle était la question posée en amont des expérimentations mises en place dans le cadre du projet Prévibest (*). Deux systèmes de cultures, dont les rotations sont présentées dans la figure 1, ont été mis en place et livrent leurs premiers résultats. Au démarrage du dispositif, ces deux systèmes ont été subdivisés pour distinguer, dans chacun d’eux, une modalité « tassée » et une modalité « non tassée ». La modalité « tassée » correspond à un tassement initial avant implantation du blé (assimilable à une récolte tardive de betteraves en conditions dégradées) et la modalité « non tassée » correspond à une récolte initiale de betteraves en conditions sèches, ne générant pas de tassement. Pour le premier système, le tassement est réitéré à chaque betterave dans la modalité « tassée » du système. Dans l’autre système, on laisse la structure se régénérer sans nouveau compactage, avec des cultures sans récolte tardive non génératrices de tassement.

La structure d’un sol tassé se régénère après plusieurs années

L’expérimentation conduite dans la durée permet de suivre l’évolution de la structure de sol des modalités tassées en l’absence de réitération d’une récolte dégradante. Les deux sites illustrent des conditions de sols fréquentes en régions betteravières, limon moyen sur substrat calcaire (Chevrières, Oise), limon plus argileux profond (Boiry, Pas-de-Calais). Dans les deux sites (figure 2) le compactage initial est volontairement sévère, avec des zones tassées (mottes « Delta ») qui représentent plus de 40 % du volume de sol. Même si le volume initial compacté est important en profondeur, il tend à diminuer relativement rapidement sur ces deux sites. Le délai nécessaire est quand même de plusieurs années. Il est possible d’y voir un effet favorable, dans ces situations expérimentales, d’une succession avec deux céréales à paille successives et un enracinement performant, sans doute aussi un effet positif du climat estival très sec en 2020. Cette évolution n’est que partielle et tend à marquer un seuil pour le site de Chevrières. Il est logique de constater une évolution plus forte à Boiry, dont la texture de sol est plus argileuse et la structure plus réactive aux alternances d’humectation – dessication. Ces résultats ne peuvent être extrapolés à des sols de limons fins ou de limons sableux, peu actifs, et pour lesquels un tassement profond risque de se maintenir plus longuement, sachant que c’est l’activité des lombrics qui y contribuera pour beaucoup.

Des effets constatés variables selon les années

Les rendements en blé de la rotation blé-betterave entre modalités tassée et non tassée sont comparés dans la figure 3. Alors que le tassement est volontairement entretenu à chaque betterave pour les besoins de l’expérimentation, en maintenant un état structural dégradé, les résultats sont contrastés d’une année à l’autre, alternant des différences de rendements marquées (-10 q/ha en 2019) ou pas de différence (+0,7 q/ha en 2021). Le blé est une culture considérée comme peu sensible au tassement (contrairement à d’autres cultures comme le lin ou le maïs), mais les résultats ici tendent à l’infirmer. La variabilité des résultats peut s’expliquer par la variabilité du climat, susceptible d’aggraver l’effet du tassement, soit en limitant la prospection racinaire, soit en limitant la circulation de l’eau. Des variabilités ont été observées au niveau des composantes de rendement du blé avec moins d’épi/m² et moins de biomasse aérienne produite, bien que les différences ne soient pas statistiquement significatives.

La figure 4 permet d’apprécier la différence de densité racinaire de la culture de betterave entre les modalités tassée et non tassée du système blé-betterave à Boiry. Au-delà de 30 cm de profondeur, on mesure un écart de 10 à 20 % de densité racinaire entre la modalité tassée et la modalité sans tassement. Cet écart est marqué jusqu’à 80 cm de profondeur. Pour l’année 2022, le tassement sévère en profondeur effectué en année 2020 a donc des répercussions négatives sur l’exploration racinaire en profondeur. Cet effet n’est pas constaté pour les 30 premiers centimètres de sol qui ont été travaillés mécaniquement pour rattraper le tassement. Concernant l’autre système de culture (rotation sans tassements répétés), les densités racinaires des blés se rejoignent dans les couches de sol profondes, observation cohérente avec l’observation des profils et la mesure des volumes tassés : pour le site, en 4 ans après le tassement initial, le sol s’est régénéré en profondeur et présente des caractéristiques structurelles similaires au sol non tassé.

_______________

(*) Previbest : projet ITB, AgroTransfert, Tereos, « anticiper les risques de tassement en récolte betteravière », lauréat de l’appel à projet outils et modèles FranceAgriMer 2019.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Les expérimentations tassement présentent une grande variabilité dans leurs résultats en raison des nombreux facteurs expérimentaux qui peuvent les impacter.

Les tassements profonds ont des conséquences sur le développement racinaire des cultures et sur la disponibilité en nutriments.

Même la culture de blé, a priori peu sensible, peut être affectée par un tassement sévère.

La régénération de la structure est un processus long, de plusieurs années dans les cas les plus favorables.

3 questions à Francis Bazelaire, Tereos, Chargé de développement agronomique

Quelles ont été les motivations pour mettre en place les expérimentations sur les sites de Tereos ?

Tereos souhaitait travailler la question du compactage des sols, et a eu un rôle moteur dans le montage du projet. L’expérimentation avait deux objectifs :

– acquérir des références sur les conséquences du tassement pour les cultures, afin d’intégrer ce paramètre de sensibilité du système dans le diagnostic et la prise de décision.

– fournir des données utiles dans des actions de sensibilisation des acteurs, agriculteurs, entreprises, Cuma, et sucreries.

Comment avez-vous sélectionné les différentes mesures pour évaluer les effets du tassement ?

Les effets du tassement sont multiples : obstacle à l’enracinement, obstacle à l’activité faunistique, limitation de la circulation de l’eau et de l’air et, in fine, productivité des cultures. Pour les appréhender, il a donc fallu déployer un ensemble d’outils et de mesures complet : profils de sols, pénétrométrie, perméabilité à l’air, densité racinaire, et mesures des composantes du rendement des cultures.

Quels sont et comment avez-vous construit les différents systèmes de cultures étudiés et modalités pour évaluer les aspects tassement et régénération du sol ?

Nous avons mis en place deux systèmes très contrastés, pour répondre à la fois aux besoins du projet et suffisamment parlants pour les agriculteurs : un système de culture avec tassement cumulatif et un système propice à la régénération assez rapide de la structure du sol.