Quelles conditions les pays doivent-ils réunir pour nourrir leurs populations ? Qu’est-ce qu’une bonne politique agricole et alimentaire ? Pour répondre à ces questions complexes, les auteurs ont analysé les réussites et les échecs de 30 pays sur tous les continents.
Philippe Ducroquet se pose notamment des questions qui le taraudent depuis longtemps : « pourquoi l’Afrique, qui dispose d’un potentiel agricole important, n’arrive-t-elle pas à endiguer la faim, contrairement à l’Asie qui est le continent où la sous-nutrition a le plus reculé ? Comment expliquer que la Chine surpeuplée, avec des surfaces cultivables limitées et saturées, soit parvenue à sortir de la sous-alimentation plus de 150 millions de personnes, alors que son voisin indien rencontre des difficultés dans ce domaine ? »
Selon lui, les choix politiques ont joué un rôle fondamental dans les succès ou les échecs respectifs. Par exemple, « la Thaïlande a une politique certes libérale, mais elle a beaucoup de prérequis : une politique stable, un État respecté, des infrastructures et des industries agroalimentaires. »
Pour chacun des 30 pays, l’atlas présente une carte des principales régions agricoles, les politiques successives, de nombreux indicateurs et un chapitre sur les perspectives. Ensuite, des tableaux synthétiques analysent les politiques agricoles depuis la fin de la seconde guerre mondiale et comparent les résultats obtenus.
On visualise ainsi facilement comment les différents pays ont déplacé le curseur – entre libéralisme et protectionniste – au fil du temps. Et l’on comprend qu’il n’y a pas de solutions uniques a priori et que les choix dépendent aussi des contextes historiques, socio-économiques, culturels et géopolitiques.
Libéralisme ou protectionnisme ?
« Vaut-il mieux appliquer une politique libérale ou protectionniste ? s’interroge Philippe Ducroquet. Acheter du riz pas cher en Thaïlande peut éviter les émeutes de la faim. En revanche, une politique protectionniste permet de développer l’agriculture. Je ne fais pas d’idéologie, les deux politiques peuvent fonctionner. » Mais finalement, la plupart des pays africains ont choisi une politique libérale.
Pour illustrer le fait qu’il y a des voies au-delà d’un choix binaire entre libéralisme ou protectionnisme, les auteurs rappellent l’évolution de la PAC. « Pour des pays encore peu performants, qui ont besoin d’une période de transition pour atteindre progressivement le niveau de développement et de compétitivité de leurs concurrents, le protectionnisme peut être aussi un moyen de développer leur propre agriculture. C’est ainsi que l’Union européenne a eu besoin d’environ 35 ans (1957-1992) pour devenir une grande puissance agricole. Cette solution, à base de protectionnisme temporaire, pourrait constituer une solution efficace pour l’agriculture des pays en développement, incapables de soutenir la concurrence internationale, et donc contraints de se protéger pendant un certain temps pour bâtir leur propre développement. »
L’importance des prérequis
Les auteurs ont aussi élaboré un tableau des prérequis pour qu’une politique agricole soit efficace : un pays stable (les contre-exemples sont Haïti et Madagascar), des outils de transformation (la Thaïlande a réussi, car il y a des routes en milieu rural et des industries). Ensuite, il faut des semences hybrides, de l’engrais et surtout des paysans organisés : « en France et aux États-Unis, le monde agricole et l’État ont travaillé ensemble depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En Afrique, ce n’est souvent pas le cas », constate Philippe Ducroquet.
Autre prérequis : le potentiel agricole. Mais il ne fait pas tout. « Ce n’est pas parce qu’un pays a des bonnes terres – je pense à la Zambie ou Madagascar – qu’il n’y a pas de sous-nutrition. Car la gouvernance n’est pas bonne. Dès que le Nigeria a eu du pétrole, cela a été la catastrophe. L’Algérie n’a pas très bien réussi par rapport au Maroc, qui a bien développé son agriculture », résume Philippe Ducroquet.
Cet atlas, qui nous emmène sur les 5 continents, présente également un classement comparatif des potentialités agricoles des différents pays sélectionnés. Il y a des gagnants et des perdants : l’Afrique devient de moins en moins autosuffisante et l’Europe de moins en moins exportatrice. Les forces aspirantes au niveau de la demande sont plutôt en Asie et en Afrique, tandis que les forces conquérantes, au niveau de la production, sont en Amérique latine et en Russie. Déjà premier exportateur de céréales, la Russie va profiter du réchauffement climatique !
Voici donc un ouvrage précis et plaisant à parcourir, que les décideurs français et européens seraient bien inspirés de lire avant de prendre des décisions.
Philippe Ducroquet, économiste, ingénieur en agriculture et ancien directeur général d’Unigrains, est issu d’une famille d’agriculteurs du Pas-de-Calais. Il est le frère de Dominique Ducroquet, ancien président de la CGB. Il a commencé à sillonner le monde (et surtout l’Afrique) quand il a travaillé avec Jean-Baptiste Doumeng, « le milliardaire rouge », avec qui il rencontre de nombreux dirigeants africains. C’est à partir de ce moment qu’il se pose la question : « qu’est-ce que je ferais à leur place ? »
Jean-Paul Charvet, professeur et docteur d’État en géographie, a notamment conçu une grille de lecture inédite permettant de décrire synthétiquement le potentiel agricole de chaque pays étudié, de même qu’un classement comparatif des facteurs qui conditionnent la réussite ou l’échec d’une politique agricole.
Philippe Ducroquet et Jean-Paul Charvet
Éditions du Rocher
248 pages, 25 euros.