Comme en équitation, il existe plusieurs écoles de dressage. Pour les chevaux, le dressage dit « à l’allemande », très apprécié chez nos voisins, cadre la monture avec le maximum de fermeté. C’est une école de soumission. Le cheval obéit au cavalier au doigt et à la jambe. Cette technique est très efficace, notamment en concours hippique, où il faut régler l’allure du cheval au millimètre. Le dressage du chien de chasse peut s’imprégner de cet esprit. L’auxiliaire obéit alors à la voix ou au sifflet d’une manière automatique. C’est évidemment reposant pour le maître. Il ne passera plus sa journée à rappeler Ophélie de la Combe-aux-Lutins ou Ziggy lancés ventre à terre dans les betteraves. Cela posé, l’obéissance excessive peut être un carcan. Je me souviens d’Isis, une chienne labrador un peu fantasque que j’avais récupérée d’une connaissance. Celle-ci m’avait dit que la chienne, extrêmement timide, ne lui étant d’aucune utilité, il me la donnait volontiers.

C’était une belle chienne, noire avec des reflets bleutés, solidement bâtie, avec une tête carrée et des yeux noisette. On sentait vaguement le désir de bien faire. Seulement voilà, d’un tempérament timide et sensible, elle avait été rabrouée, sévèrement corrigée. Cassée. Donc elle marchait sur mes talons, la queue entre les jambes. Que faire ? J’avais ma propre chienne labrador, Ursule, plus mince, vive et active. Je ne l’avais pas soumise à l’éducation classique – c’est-à-dire au seul rapport – et donc elle était requérante tout en restant, à peu près, « dans la main ».

Pendant des semaines, Isis nous suivit, toujours collée à mes bottes. Mais peu à peu, entraînée par l’autre, elle commença à s’ébrouer, flairer les chardons, dresser la tête au coup de fusil, faire de petites incursions sous un roncier. Un jour, je tirai un lièvre. Touché mais pas coulé. L’oreillard disparut dans un couvert. Ursule l’avait suivi mais revint rapidement bredouille. Je poursuivis ma billebaude quand, tout à coup, je réalisai qu’Isis avait disparu. Bigre ! Était-elle brusquement retournée à la voiture ? Je m’égosillai. En vain. Pas de chienne à l’horizon. Après avoir erré un moment, la voiture me sembla la seule option raisonnable. Je fis demi-tour. Au bout d’une centaine de mètres, je sentis un choc mou contre ma botte. Je me retournai : c’était Isis, avec le lièvre dans la gueule. À partir de ce jour, elle devint aussi bonne que l’autre, plus calme, plus raisonnable, enjouée et conquérante.

Pénibles zigzags

C’est difficile de dresser un chien de chasse. Il faut de la patience, de la détermination et une juste autorité. Chaque auxiliaire demande une attention particulière. Chaque race aussi. On ne dresse pas de la même manière un griffon Korthals ou un braque allemand – des gaillards qui exigent de la poigne – et un labrador, un golden retriever ou un setter anglais. Bien sûr, dans chaque race, il y a des individualités. Mais des constantes aussi.

Le chien doit certes obéir au rappel, autrement la partie de chasse vire au supplice. Le retriever doit aussi rapporter sans tortiller du train ou faire ces pénibles zigzags qui le conduisent parfois à une pause « plumage », voire à une dégustation.

Pour le reste, il faut lui laisser de l’initiative pour une raison simple : son nez et son instinct sont supérieurs au vôtre.

L’arrêt, par exemple, est inscrit dans ses gènes. On l’a développé chez les chiens dits « d’arrêt », mais il est naturel pour la plupart des races. Un springer ou un labrador peut marquer un temps d’arrêt avant de bondir. Vous observerez dans les films animaliers que les félins, eux aussi, se figent avant de s’élancer. C’est la loi du prédateur. Cette immobilité leur permet sans doute de mieux calculer la précision de l’assaut.

La petite étincelle de la passion

On doit aussi apprendre au chien à se coucher ou à se tenir assis. Pour le repos du maître et celui de sa famille.

En règle générale, la complicité doit dominer et pas seulement l’obéissance automatique. À l’état sauvage, le chien chasse pour lui ; domestiqué, il chasse pour l’homme. Mais il ne faut pas que cela devienne une corvée ! Il doit chasser gaiement avec suffisamment de liberté pour que, lui aussi, prenne du plaisir. Les meilleurs chiens de chasse sont ceux qui aiment leur métier. On peut les encadrer, les corriger, mais se garder d’éteindre, dans leurs yeux, la petite étincelle de la passion.

Vous noterez que c’est la même chose pour les chiens de berger. Observez un border collie à l’œuvre, voyez comment il fonce rameuter une brebis égarée, force celle-ci à marcher droit, en récupère une autre, mordille la patte d’une indisciplinée, tout cela en jetant des coups d’œil complices à son maître. La fine équipe !

Alors ? Le dicton « Un chasseur sachant chasser sait chasser sans son chien » est-il vrai ? Pas chi sûr…