« La vie est menée par l’énergie, introduit Isabella Tomasi, ingénieur agronome, chercheuse en biomédiation des sols et microbiologiste. Dans le sol, nous la mesurons avec le potentiel redox (réduction et oxydation). La réduction est le fait de gagner des électrons. Une molécule à l’état réduit est riche en électrons. Plus il y a de liaisons dans les cellules, plus il y a d’énergie stockée. L’énergie que nous mangeons est cette énergie stockée ».

De l’importance du potentiel redox

Le potentiel redox optimal pour les plantes se situe autour de 430 millivolts. À 550 mv, les arbres des vergers sont malades, détaille la chercheuse. Plus le redox est bas, plus le milieu est réduit. Plus il est élevé, plus il est oxydé. En général, les sols agricoles sont trop oxydés.

Un sol bien structuré, avec une activité biologique et un taux de carbone élevé, ainsi qu’un taux d’argile équilibré, contribue à un potentiel redox favorable aux plantes. Comme le pH, le potentiel redox a une importance pour la disponibilité des nutriments et leur assimilation dans la plante.

Un des meilleurs indicateurs pour savoir si le sol dispose d’un bon potentiel redox est son odeur quand la pluie arrive. Comme en forêt, le sol s’ouvre et dégage du gaz avec des composés volatils.

Il faut apprendre à cultiver les microbiomes*

Les sols agricoles sont en général trop oxydés à cause d’une mauvaise structure. Pour améliorer le potentiel redox, il faut favoriser les micro-agrégats (argile/matière organique de 20 à 250 microns). À l’intérieur de ces micro-agrégats, il n’y a pas d’oxygène. Le potentiel redox est beaucoup plus bas et convient aux bactéries.

La chercheuse propose de ne plus labourer les sols pour préserver les strates et d’améliorer le potentiel redox des sols en le réduisant. Pour cela, elle conseille divers types d’amendements minéraux et de matière organique.

Préparations lacto-fermentées

« L’apport de produits réduits augmente la porosité des sols, sans que cela soit expliqué », indique la spécialiste. Les macérations lacto-fermentées (bactéries en anaérobie sur des sucres) de résidus de fruits, de légumes ou de céréales sont très adaptées avec leur pH très bas (3,5 voire 4). Quand on acidifie un environnement, on l’oxyde. Mais les bactéries font le contraire. En fait, les lacto-fermentés fournissent aux plantes ce qu’elles doivent produire après un stress oxydatif (acides aminés, acide gamma-amino-butyrique, vitamines, anti-oxydants et polypeptides).

La microbiologiste préconise d’épandre ces produits réduits au moment du travail du sol. « C’est une vraie stimulation bactériologique pour construire des micro-agrégats ». Dans les vergers, l’apport de 25 l/ha chaque semaine d’une solution lacto-fermentée dans l’eau d’irrigation a permis d’améliorer la porosité du sol très rapidement, cite-t-elle.

Le fumier est aussi un magnifique ferment redox, comme les mélanges de fumier et de déchets verts ensilés, les composts Walte Witte (composts conduits comme un ensilage) ou encore les digestats de méthanisation. De même, les préparations à base de consoude ou d’ortie sont efficaces. L’ingénieure cite aussi la vinasse. Elle préconise les thiosulfates pour des résultats rapides.

La biomasse des couverts apporte aussi des matières organiques intéressantes. Si la biomasse aérienne garde un sol plus chaud, la souterraine, en quantité aussi importante que l’aérienne, augmente les exsudats racinaires (voir encadré). Ces exsudats transforment le sol et améliorent la porosité. « C’est la plante qui construit le sol », conclut-elle.

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Intervention réalisée dans le cadre de l’Agroforum 2024 organisé par la coopérative Agora.

*Communauté de différents micro-organismes avec des interactions entre eux.

Les bactéries sont au service des plantes

Isabella Tomasi propose de considérer le monde des bactéries comme un seul et unique corps qui enveloppe toute la planète. Elles sont à l’origine de la vie sur terre, il y a quatre milliards d’années. Après trois milliards d’années d’évolution, elles ont atteint leur maturité génétique depuis… un milliard d’années.

Le biofilm des micro-organismes fait qu’ils sont liés entre eux. Les bactéries et les levures ont un noyau sans membrane. Elles échangent du matériel génétique entre elles, via les plasmides qui évoluent dans les milieux aqueux. Grâce à ses feuillets qui stockent l’eau, l’argile joue un rôle énorme dans la vie et l’évolution des micro-organismes.

Ces échanges de matériel génétique créent des évolutions permanentes avec de nouvelles fonctions. Le mycélium transforme les bactéries du sol. Les endobactéries vivent à l’intérieur des cellules d’autres organismes, généralement en symbiose. L’exemple le plus fréquent se trouve dans des interactions plantes-bactéries.

Dans le sol, les bactéries sont en mouvement perpétuel. Elles entrent et sortent des racines des plantes. Les bactéries entrent par l’apex de la radicelle et ressortent par les poils absorbants grâce aux exsudats. Ce phénomène apporte de l’information et du matériel génétique à la plante. Un organisme entré par l’apex et ressorti par les poils absorbants ne sera plus le même. Les bactéries répondent au besoin du champignon et de la plante.