Cultiver des vignes en pleine Beauce céréalière, le pari aurait pu sembler un peu fou mais le changement climatique amène à élargir ses horizons quand il s’agit de diversifier une exploitation agricole céréalière, dont 60 hectares sont consacrés à la betterave. C’est donc cette voie qu’a décidé d’emprunter Rodolphe Couturier, installé dans la ferme familiale depuis 2006. « L’objectif, en plantant un premier hectare de vignes en 2018, était d’ajouter une corde à l’arc de l’exploitation », explique l’agriculteur. Après une année 2016 délicate pour les grandes cultures, l’idée était donc de pouvoir trouver une nouvelle production capable d’assurer une autre source de revenu en cas de mauvaise récolte de céréales. « J’aimais bien le vin, et contrairement à la bière, il n’y a pas de concurrence dans mon secteur géographique, précise Rodolphe Couturier. Et puis la vigne n’occupe pas la main-d’œuvre au même moment dans l’année par rapport aux céréales. Enfin, le fait de m’orienter vers un produit qui permet d’aller jusqu’au bout de la chaîne, et donc d’échanger avec les consommateurs, m’a convaincu de mettre en place cette diversification, qui permet en outre de capter la marge ». Pour autant, l’agriculteur n’a pas foncé tête baissée dans ce nouveau métier de viticulteur ; il a au préalable bien mûri son projet. Ce dernier s’est concrétisé en deux fois : la première plantation a été suivie d’une seconde en 2022, soit 2,5 hectares de vignes sur une SAU totale de 308 ha. Ayant choisi une production de A à Z, Rodolphe Couturier a donc investi dans tout le matériel nécessaire pour la vigne, comme le tracteur, le pulvérisateur, ou le sécateur électrique, mais aussi pour la transformation, comme le pressoir, et le matériel d’embouteillage et d’étiquetage.
Un suivi par une œnologue
Économiquement, si Rodolphe Couturier reconnaît que le marché du vin n’est pas dans une phase favorable, il peut compter sur la rareté du vin produit en Beauce pour le commercialiser. « C’est d’abord l’effet de surprise, la curiosité, qui fait vendre mon vin. Puis la qualité : les clients reviennent s’approvisionner, c’est un produit local et atypique ici. Je propose du rouge mais aussi du blanc et, depuis cette année, du rosé, qui sont plus faciles à boire dans un cadre convivial, pour la découverte, alors que le rouge nécessitera plus de temps pour être prêt à consommer ». Pour assurer une qualité de produit, ce n’est pas tant le choix d’un cépage adapté au terroir et au climat qui fait la différence, mais bien la transformation, qui représente un risque important. « Une œnologue me suit, confirme l’agriculteur. Pendant la transformation, on peut tout rater en l’espace d’une demi-heure si la cuve se trouve au contact de l’air. Toutes les manipulations sont donc très importantes ». Impossible donc de s’improviser vigneron. En outre, l’aspect commercialisation ne doit pas être négligé dans la réflexion pour ce type de projet. « Un quart du temps pour la vente, un autre quart pour le chai, et la moitié du temps pour le travail de la vigne », estime Rodolphe Couturier, qui précise que la vendange manuelle n’est pas comptabilisée dans le temps de travail, étant effectuée par une équipe de trente à cinquante bénévoles le temps d’un week-end. Le reste de l’année, l’itinéraire technique de la vigne est assuré par l’exploitant agricole, épaulé par son salarié. L’une des périodes délicates est le printemps, avec les gelées tardives, qui peuvent s’avérer destructrices. « Nous avons toujours des coups de gel autour des 4 et 5 avril, remarque Rodolphe Couturier. En 2021, le système antigel a même fonctionné pendant 12 nuits ». Tout comme les grandes cultures, l’adaptation au changement climatique est donc de mise pour la vigne.
L’exploitation de Rodolphe Couturier a intégré le réseau des fermes pilotes d’expérimentation dans le cadre du PNRI (Plan National de Recherche et Innovation) intitulé « Vers des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière ». Des essais sont donc menés sur ses parcelles pour évaluer différentes techniques afin de réduire le risque de jaunisse. « Le challenge est important ici car nous sommes dans un secteur compliqué, explique le betteravier. Le risque lié aux nématodes implique des choix variétaux et il faut également tenir compte de la cercosporiose ». Pour Rodolphe Couturier, si l’intérêt d’intégrer ce réseau des fermes pilotes ne fait aucun doute, il faut néanmoins se rendre disponible. Sans compter qu’il doit également satisfaire aux autres missions qui lui sont confiées. L’agriculteur d’Eure-et-Loir est en effet membre du conseil coopératif et président de la section sud de Paris de Tereos, mais aussi élu membre du bureau au sein du CerFrance Alliance Centre.