« Les pucerons verts aptères sont déjà arrivés en plaine sur les semis du mois de mars de toutes les régions betteravières, affirme Ghislain Malatesta, le responsable de l’expérimentation et de l’expertise régionale de l’ITB, le 16 avril au petit matin. Les hautes températures du week-end des 13 et 14 avril ont été favorables à leur activité, bien que le rafraîchissement qui a suivi ait freiné leur développement ». Lors de la triste année 2020, les pucerons étaient arrivés à la même date, alors qu’ils ont commencé à piquer les betteraves 10 jours plus tard en 2021 et 2022 et 15 jours plus tard en 2023. Pire, la campagne qui débute est marquée par un retard des semis. Les pucerons vont donc arriver sur des betteraves très jeunes, voire pas encore levées. Et plus la betterave est jeune au moment de la contamination, plus l’impact de la jaunisse est fort. Si Ghislain Malatesta précise qu’on ne connaît pas encore l’abondance de ces pucerons ni leur charge virulifère, la situation est quand même préoccupante.

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Faut-il sacraliser l’animal ?
Les pucerons verts aptères sont déjà arrivés en plaine, sur les semis du mois de mars de toutes les régions betteravières. ©Bayer

« Le risque jaunisse en 2024 sera extrêmement élevé et les solutions à notre disposition aujourd’hui ne permettent pas de garantir une protection optimale », affirme Franck Sander, président de la CGB, le 16 avril sur X (ex-Twitter). Prévoyant cette situation, la CGB avait alerté les politiques dès le 25 mars sur le risque de jaunisse très important pour 2024. Elle avait demandé l’autorisation d’utilisation de deux molécules efficaces contre les pucerons et utilisées par nombre de nos voisins européens, à savoir l’acétamipride (en pulvérisation foliaire) et la flupyradifurone (en enrobage de semence). Mais force est de constater que les betteraviers n’ont pas encore été entendus.

Le Movento n’est pas la solution

Lors de son déplacement dans le Nord le 5 avril dernier, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Agriculture, a annoncé qu’une dérogation serait octroyée afin que les betteraviers puissent utiliser le produit Movento (spirotétramate) pour lutter contre les pucerons : trois traitements et, si la situation le justifie, deux passages supplémentaires seront autorisés. Mais pour la CGB, le compte n’y est pas ! « Madame Pannier-Runacher nous propose seulement de reconduire la même boîte à outils, alors que nous en connaissons les limites et que le risque de jaunisse est élevé en 2024, proche de celui de 2020. Au moins en 2023, l’engagement avait été pris d’indemniser l’intégralité des pertes liées à la jaunisse. Depuis, il s’est écoulé plus d’un an et rien n’a bougé », a déclaré Franck Sander.

En effet, le syndicat rappelle que le Movento présente une efficacité limitée en cas de forte infestation pour un coût élevé, surtout si 5 passages s’avèrent nécessaires. Par ailleurs, il alerte sur le risque d’apparition de résistances lié à une utilisation répétée du même produit ou mode d’action : « diversifier les moyens d’action à disposition des planteurs est la seule réponse agronomiquement cohérente et responsable », affirme-t-il dans un communiqué de presse daté du 5 avril. À noter que l’apparition de résistances chez des insectes a déjà été observée sur plusieurs cultures : c’est le cas du puceron vert sur betterave à sucre, devenu résistant aux pyrèthres et carbamates (Karaté K ou Mavrick Jet) mais aussi pour d’autres cultures, notamment le colza dans le cadre de la protection contre les altises ou les méligèthes.

Des interdictions sans solution

Le 5 janvier, au micro de France Bleu Nord, Agnès Pannier-Runacher déclarait : « rien ne serait pire que de s’empêcher de produire en France pour importer des produits qui seraient produits avec des pesticides et un vrai impact environnemental à l’étranger ». Mais quelques minutes plus tard, elle admettait que les agriculteurs n’ont pas encore de solutions : « la difficulté que nous avons, c’est que nous n’avons pas tout de suite les solutions de remplacement, et que nous avons un temps intermédiaire de tâtonnement, d’innovation, de recherche que nous faisons avec les agriculteurs dans les fermes tests ». Donc rien ne serait pire que de laisser les agriculteurs sans solution, mais on les laisse sans solution. Le « en même temps » dans toute sa splendeur… Pourtant, des molécules efficaces existent bien, et sont utilisées par nos voisins européens.

Faut-il sacraliser l’animal ?
Faut-il sacraliser l’animal ?

La CGB réitère donc sa demande au gouvernement de supprimer les distorsions de concurrence qui pénalisent la filière betterave/sucre, mais aussi de nombreuses autres productions agricoles : fruits (pommes, poires, cerises, etc.), légumes (navets, plants de pomme de terre, etc.), noisettes et semences en particulier. En effet, les molécules de la famille des néonicotinoïdes ou assimilés étaient utilisées sur plusieurs cultures, et le sont encore chez nos voisins européens. « Ce que nous revendiquons, c’est d’avoir les mêmes conditions de production que nos homologues européens avec des produits ciblés qui sont l’acétamipride et la flupyradifurone qui nous permettraient de lutter efficacement contre ces pucerons vecteurs de la jaunisse », affirme Franck Sander.

À noter aussi que cette situation intervient seulement quelques semaines après la crise agricole du début d’année durant laquelle les responsables politiques avaient fait un certain nombre de promesses qu’Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, a qualifiées de « clairement pas concrétisées » dans les colonnes du JDD le 12 avril. De fait, sur le volet phytos, rien de concret n’a encore été mis en œuvre, aboutissant à un décalage complet entre les déclarations de l’exécutif (Président de la République et Premier ministre) et les mesures prises.

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Teppeki et Movento

Malgré cette situation difficile, il faut quand même utiliser le peu de moyens que les agriculteurs français ont pour protéger les betteraves. La première recommandation de l’ITB est de gérer les réservoirs viraux (voir interview de Fabienne Maupas ci-dessous). L’institut technique conseille ensuite de suivre la carte alerte pucerons disponible sur internet (voir page 15 du journal) et bien sûr de surveiller l’arrivée de ces ravageurs dans les champs.

Dès que les seuils sont atteints, Cédric Royer, le responsable de la protection des cultures au sein de l’ITB, conseille d’utiliser le produit Teppeki (flonicamide) et le produit Movento (spirotétramate). Seuls ces deux produits permettent une diminution du nombre d’aptères verts, précise-t-il en ajoutant que le Karaté K et le Mavrik Jet ne sont pas efficaces, en raison de phénomènes de résistance avérée.

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Malgré les politiques publiques difficilement compréhensibles, il faut tout faire pour sauver la betterave.

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Seuls le Teppeki et le Movento permettent une diminution du nombre d’aptères verts. ©M.-P. Crosnier
Les régles d’application des aphicides

Une seule application de Teppeki par an est autorisée, l’ITB conseille de le positionner à partir du stade deux feuilles des betteraves. Le mélange avec un herbicide est possible. Par la suite, les différentes applications possibles de Movento apporteront une protection complémentaire, avec un mode d’action différent. Ce produit peut être positionné du stade deux feuilles au stade couverture du rang. Le mélange avec les produits herbicides n’est possible qu’avec les molécules suivantes : phenmédipham, éthofumésate, métamitrone, lénacile, thiencarbazone méthyl et foramsulfuron. Pour chacun de ces deux produits, l’ajout d’un litre d’huile (Actirob B) à la bouillie améliorera son efficacité.​​​​​

Avis d’expert : La gestion des réservoirs viraux est une priorité

Fabienne Maupas, directrice du département technique et scientifique de l’ITB

Quelles sont les recommandations de l’ITB concernant les réservoirs viraux ?

La gestion prophylactique de la jaunisse est vraiment le premier levier. Elle passe même avant l’utilisation d’aphicide. On sait que le cycle épidémique de la jaunisse peut se faire au sein de la seule culture de la betterave. En effet, après l’arrachage des dernières betteraves sucrières, le virus peut se conserver dans les repousses de betterave ou sur les betteraves porte-graines qui sont cultivées à contre-saison. Les tests que nous avons faits montrent que, cette année, au moins 11 % des repousses de betteraves sont contaminées par la jaunisse. L’ITB, mais aussi les sucriers et la CGB, recommandent vivement de détruire les repousses de betteraves dans les parcelles ou sur les cordons de déterrage. Les pucerons viennent s’y alimenter, acquérir le virus et le transmettre à une parcelle voisine. Les parcelles de betteraves qui n’ont malheureusement pas pu être récoltées peuvent aussi abriter les virus et doivent également être détruites rapidement.

Et pour les porte-graines, que peut-on faire ?

Pour ce qui est de la gestion des porte-graines, nous avons mis en place cette année un plan d’action avec l’ensemble des deux filières. Concrètement, les semenciers ont demandé aux producteurs de porte-graines d’appliquer un Teppeki lors des premiers vols de pucerons et les producteurs de betteraves à sucre seront appelés à mettre en place des mesures à l’automne afin de protéger les betteraves porte-graines. Par ailleurs, nous mettons à disposition des planteurs situés à moins d’un km des parcelles de porte-graines des moyens supplémentaires financés par le PNRI afin qu’ils apportent une meilleure protection à leurs parcelles. En effet, il semble y avoir une vraie corrélation entre la proximité avec les parcelles de porte-graines et le niveau de contamination.

Est-ce que d’autres plantes cultivées peuvent aussi héberger le virus de la jaunisse ?

Nous nous sommes rendu compte que la phacélie était une plante hôte des virus de la jaunisse. Nous recommandons donc maintenant d’éviter cette espèce dans la composition des bandes fleuries et de s’assurer de leur destruction complète avant les semis de betterave. À noter que le colza est un réservoir à pucerons mais qu’il n’héberge pas les virus de la jaunisse.

Propos recueillis par Renaud d’Hardivilliers

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