« Nous avons commencé les couverts dans les années 70 avec de la moutarde, alors que cette pratique n’était pas du tout obligatoire », se souvient Michel Caron, betteravier à Jouy-sous-Thelle (Oise), aujourd’hui avec son fils Benjamin. « On m’avait suggéré de faire cela en école d’agriculture », précise-t-il. À l’époque, il apportait même un peu d’azote sur le couvert à l’automne. Puis, dans les années 80, l’agriculteur a connu de gros problèmes d’érosion au printemps, particulièrement dans les champs de betteraves, avec l’apparition de rigoles créées par de gros orages. Michel Caron a essayé d’implanter du blé avec ses betteraves afin de tenir le sol et de freiner le ruissellement, mais il a préféré gérer le problème par la diminution drastique du travail du sol.
Les deux agriculteurs auraient bien voulu passer en semis direct pur, mais un certain nombre de problèmes les en a empêchés : « Ce qui nous oblige à maintenir un travail du sol, ce sont les mulots ainsi que les sangliers qui viennent les manger. Dès qu’on a un sol couvert et un travail simplifié, on a des campagnols », explique l’agriculteur, qui est confronté au risque d’abîmer son matériel dans les bauges de sangliers. « Ça nous arrive même de devoir reboucher les trous au télescopique ». Les deux agriculteurs ont donc résolu cette problème avec un usage fréquent du déchaumeur à disque indépendant Rubin. « On le fait travailler à 3 cm maximum. Quelques jours après, on ne voit même pas forcément qu’on est passé ».
Autre problématique, qui a empêché l’arrêt total du travail du sol : la gestion des pailles. Mal réparties en raison de l’ancienneté de la moissonneuse-batteuse, elles entravent le travail du semoir SD à disques. Enfin, la perte d’efficacité des herbicides de printemps pour blé a aussi poussé les agriculteurs à maintenir un léger travail du sol avant le semis. En effet, ils ont constaté une moindre efficacité des racinaires avec un couvert végétal développé, sauf si une pluie vient positionner le produit dans les premiers centimètres du sol.
Graminée ou limace ?
Les 2 agriculteurs se réjouissent de ne plus utiliser beaucoup d’anti-limaces. Dans les blés de colza, ils veillent soigneusement à garder des résidus de repousses de colza le plus tard possible, afin de nourrir les limaces : « si ton ennemi a faim, donne-lui à manger », scande sagement Michel Caron. Cependant, dans les parcelles très sales en graminées, il applique quand même du 2-4D 15 jours avant le semis afin de défolier le colza, d’éviter l’effet parapluie et de permettre au glyphosate qui suivra d’atteindre les feuilles des graminées adventices. « C’est toujours un dilemme entre les graminées et les limaces », précise-t-il.
La betterave est aussi implantée sur un travail très superficiel réalisé grâce à trois passages de Rubin entre janvier et le semis. « En année sèche, cette technique permet de garder l’eau dans le sol », explique Benjamin Caron. Cependant, le disque tasse un peu le sol. Cette année, il envisage un passage de vibro afin de ne pas accentuer ce défaut.
La culture du sarrasin dans l’Oise
Michel et Benjamin Caron cultivent du sarrasin depuis 20 ans, aussi bien en culture principale qu’en double culture. Cette année, ils ont récolté 28 qtx en culture principale et moitié moins en culture dérobée. La graine se valorise entre 500 et 800 euros/tonne. « En 2023, c’était ma meilleure marge », explique Benjamin Caron. L’implantation en double culture est réalisée derrière escourgeon, mais ne donne lieu à une récolte qu’environ un an sur deux. « Si on ne récolte pas, on a juste implanté un couvert », explique l’agriculteur en évoquant le faible coût de l’itinéraire technique. C’est la seule culture que les agriculteurs s’autorisent à stocker en raison de la forte volatilité des cours. En fonction de la météo et de l’avancement de la culture, les agriculteurs fauchent et endainent le sarrasin avant de le battre afin de hâter sa maturité. Attention, si cette culture permet de solubiliser du phosphore et de nettoyer le champ grâce à l’effet allélopathique, Michel et Benjamin Caron ont remarqué que c’était un mauvais précédent pour le blé.
La réglementation sur les Surfaces d’intérêt écologique (SIE) a récemment mis en échec la réussite de la culture dérobée, malgré son caractère vertueux. En effet, les agriculteurs ont dû implanter le sarrasin avec du trèfle et surtout ne pas le récolter avant le 10 novembre. Résultat : ils n’ont pas pu le récolter du tout… Curieuse réglementation que celle qui interdit à des agriculteurs de récolter leur culture quand elle est mûre.