Après le bio et la Haute valeur environnementale (HVE), un nouveau concept commence à faire parler de lui : l’agriculture de régénération. Appelée aussi agriculture régénératrice ou régénérative, elle est de plus en plus présente dans la communication des géants de l’agroalimentaire tels que Danone, Nestlé, McDonald’s, McCain ou Pernod Ricard.
Quelles sont les exigences agronomiques de ce concept ? L’agriculture de régénération vise à placer le sol au cœur du système de production, afin d’en améliorer la qualité, tout en préservant la biodiversité. Le sol est ainsi vu comme un élément de résilience de la production et comme un véritable puits de carbone.
Les deux grands groupes sucriers français Cristal Union et Tereos ont annoncé cet automne qu’ils allaient rentrer dans cette démarche.
Tereos avec Vivescia
Tereos a rejoint le programme Transitions aux côtés du groupe Vivescia en septembre dernier, pour une mise en application concrète auprès de ses coopérateurs à partir des semis 2024. À cette occasion, le président de Tereos, Gérard Clay, déclarait : « Tereos est doublement intéressé par ce programme. Tout d’abord, par le déploiement des techniques agricoles sur la betterave et la luzerne produites par ses coopérateurs, pour transformer directement de la matière première agricole issue de ce programme. Ensuite, Tereos aura à cœur de transformer également des céréales cultivées selon les principes de ce programme et de proposer à nos clients des produits amylacés issus de cette agriculture régénérative. À ce titre, Tereos s’est engagé à acheter au cours des 3 prochaines campagnes du blé Transitions ». Cette démarche implique un accompagnement technique et le versement d’une prime pour valoriser les efforts consentis par les agriculteurs engagés. Le sucrier ne peut pas en dire plus aujourd’hui et exposera plus concrètement ses avancées en matière d’agriculture régénératrice mi-février. En tant que partenaire du programme Transitions, Tereos peut s’appuyer sur le socle agronomique développé par Vivescia.
Savine Oustrain, directrice de recherche et agronomie de Vivescia, apporte des précisions sur le programme Transitions. « Nous proposons un accompagnement global pour une agriculture régénérative bas carbone, respectueuse de la biodiversité et de la santé des sols. Cette approche fédère des filières végétales et céréalières de l’amont à l’aval. Notre socle agronomique a été construit selon des référentiels scientifiques solides, avec des partenaires comme l’Inrae et l’ONG Earthworm. Il s’appuie aussi sur des indicateurs de résultats, avec une traçabilité robuste des données ».
La valorisation réalisée auprès de différents clients peut générer une prime allant jusqu’à 150 €/ha par an, sur les productions collectées par Vivescia, comme les céréales, le pois, le colza et le maïs. « Transitions n’est pas un énième cahier des charges dédié à une culture ou à une parcelle, mais bien un socle technique systémique qui s’applique à toute l’exploitation », ajoute Savine Oustrain. Les agriculteurs-coopérateurs Vivescia cultivant des betteraves bénéficieront donc d’un accompagnement agronomique global sur leurs pratiques agricoles. Près de 200 agriculteurs se sont engagés sur 3 ans pour la récolte de 2024, et l’objectif est d’atteindre 1 000 exploitants d’ici à 2026.
Des betteraves RegAg pour Cristal Union
Le groupe Cristal Union a lui aussi annoncé, lors du salon Betteravenir le 25 octobre dernier, le lancement d’une démarche agroécologique rémunérée. Les efforts des coopérateurs engagés dans la mise en œuvre des meilleures pratiques de l’agroécologie et du bas carbone, seront rémunérés, dès cette récolte 2023, par le versement d’une prime spécifique agroécologie RegAg (voir article ci-contre).
Cette démarche est valorisée commercialement par la filiale de Cristal Union, Cristalco, avec la première offre européenne de sucres et d’alcools agroécologiques et bas carbone Amplify à laquelle plusieurs clients du groupe, pour le sucre comme pour l’alcool, ont déjà adhéré.
Rappelons que la coopérative, engagée avec l’association Pour une Agriculture Du Vivant (PADV) depuis cinq ans, proposait déjà depuis 2015 un référentiel de durabilité Cristal Vision smart sugar beet pour une production betteravière plus durable, et une prime Haute valeur environnementale (HVE) depuis 2021.
Pour une Agriculture Du Vivant
Cristal Union a travaillé avec l’association Pour une Agriculture Du Vivant, qui se définit comme un tiers de confiance de la transition agroécologique.
Cette association a structuré un projet collectif réunissant des partenaires de l’amont à l’aval, dans les filières pommes de terre et betteraves, avec son programme de cultures d’industrie sur sol vivants (CISV). Lancé en 2019, ce programme s’est terminé fin 2023. Il réunit notamment Cristal Union pour la betterave, Les 3 laboureurs et Pom’Alliance pour les pommes de terre. Des acheteurs d’alcool et de sucre sont aussi présents, comme Pasquier, Danone, Chanel, Pernod Ricard et les sirops Monin.
« On propose aux adhérents de les accompagner dans leur transition et de construire avec leurs fournisseurs un modèle économique pour compenser les surcoûts de l’agroécologie », explique Juliet Carceles, cheffe de projets grandes cultures et cultures d’industrie de l’association Pour une Agriculture Du Vivant.
Cette démarche se concrétise par un outil : l’indice de régénération. Les agriculteurs sont évalués sur une note de 100 points (voir tableau). « Il n’y a pas de cahier des charges. On reste pragmatique par rapport au contexte pédo-climatique », insiste Juliet Carceles.
L’indice de régénération mesure la technicité de l’agriculteur sur 3 niveaux agronomiques : le sol, la plante et le paysage. À noter qu’une version gratuite est accessible à tous les agriculteurs pour les éclairer dans leur réflexion ou leur transition (https://agroecologie.org).
On peut donc déjà se tester pour voir si l’on est bien dans les clous !
William Huet, responsable du département agronomie de Cristal Union, explique comment sera calculée la prime RegAG. « Cristal Union a trouvé des points d’accord avec ses clients autour des leviers qui ont un effet sur la réserve en eau, la structuration des sols, la matière organique et le carbone. Ils concernent notamment la gestion des résidus, l’implantation d’un couvert avec plusieurs espèces, la réduction du travail du sol et l’utilisation de forme d’engrais à faibles émissions de NOx. La prime a vocation à financer tout ou partie des investissements consentis par les agriculteurs en matière d’équipements et d’approvisionnement. Un couvert multi-espèces, c’est 80 €/ha au lieu de 20 €/ha pour la moutarde. Certains clients sont prêts à accompagner financièrement les agriculteurs dans leur transition. Mais en contrepartie, ils veulent des garanties.
L’agriculteur devra répondre à un référentiel, qui intègre une cinquantaine de questions sur la biodiversité, l’assolement et le carbone. Cristal Union va calculer un score agroécologique individuel allant de 0 à 100, qui donnera accès à trois paliers de primes RegAg. Les coopérateurs ayant une note au-dessus de 40 toucheront quelque chose.
En fonction de l’argent collecté auprès de nos clients et de l’impulsion que l’on veut donner à nos agriculteurs, on va répartir les seuils de manière à embarquer le plus de tonnage possible. Le montant de la prime sera défini par le conseil d’administration en fin de campagne, en fonction du score agroécologique atteint et de la valorisation obtenue auprès des utilisateurs de sucres et d’alcools qui ont adhéré à cette démarche. Les premières primes agroécologiques concerneront les betteraves 2023 ».
Chez McCain, l’agriculture de régénération s’appuie sur un volet économique (engagement à long terme de 6 ans, prime, solution de financement) et un volet technique (formation, accompagnement technique, fermes pilotes). « 130 agriculteurs sont engagés dans cette démarche sur les 750 livreurs de McCain en France, explique Charles Dezitter, responsable agriculture de régénération de McCain. Le contrat de 6 ans est assorti d’une prime de progrès de 5 € à la tonne livrée ».
Au niveau financier, McCain a construit un partenariat avec le Crédit Agricole et le GAPPI (Groupement d’agriculteurs producteurs de pommes de terre pour l’industrie) pour proposer des prêts sans frais de dossier et sans devoir fournir de garantie. Un taux préférentiel est appliqué à ces financements, dont les intérêts sont remboursés par McCain.
Avec ses 8 fermes pilotes en France, McCain mesure déjà les premiers bénéfices de l’agriculture de régénération sur la culture des pommes de terre. Ces fermes déploient des pratiques innovantes en matière d’agriculture de régénération, notamment les couverts végétaux multi-espèces, la localisation de l’azote, des réductions d’azote minéral en ajoutant des solutions foliaires ou des acides aminés. Les oligo-éléments et les enrobages de plants sont également testés. Une étude est menée sur la réduction du travail du sol avec des tests en buttes d’automne, en non-labour avant pommes de terre. Cette pratique met en évidence un gain moyen du rendement de l’ordre de +11%.
Point de vue de Cyril Cogniard, président de la commission économique de la CGB
L’agriculture bas carbone doit maintenant entrer dans nos pratiques, mais sans que cela réduise nos rendements. Notre profession agricole s’est dotée d’un outil pour pousser cette transition, avec le label bas carbone des grandes cultures, mais la rémunération des efforts réalisés par les agriculteurs s’avère très complexe. L’idée que les acheteurs financent les efforts des agriculteurs va donc dans le bon sens. C’est plus simple et cela permet de valoriser les bonnes pratiques déjà en place sur les exploitations. Cela montre aussi que l’agriculture est une solution pour séquestrer le carbone.