Grâce à une combinaison de leviers pour la gestion des bioagresseurs, l’objectif du projet Dephy Minipest de réduire au maximum l’Indice de fréquence de traitement (IFT) a été atteint. Cette diminution est de 53,45 % entre l’itinéraire conventionnel (ITK référence) et l’itinéraire technique de réduction (ITK réduction) sur la période 2019 à 2023, culture par culture. Les réductions d’IFT sont, dans l’ordre décroissant, de 71,14 % pour la betterave, 66,27 % pour les pois, 59,97 % pour le blé, 57,48 % pour le colza et 45,22 % pour la pomme de terre (voir graphique des moyennes pluriannuelles par culture).
Contexte environnemental
Le site de Tilloy-lès-Mofflaines est situé sur des sols de limons argileux sur craie. Il comprend cinq cultures en rotation sur 6 ans avec blé, betterave sucrière, pomme de terre, blé, pois de conserve et colza. Les cultures sont disposées en doubles bandes de 30 mètres/18 mètres. Une première bande correspond à l’ITK référence régionale et l’autre bande à un système de culture en rupture, avec un IFT réduit au maximum sans compromettre le potentiel de rendement. Les conditions climatiques régionales engendrent une forte pression en ce qui concerne les maladies fongiques (mildiou sur pomme de terre, septoriose sur blé, mais aussi oïdium, rouille et cercosporiose sur betteraves). Les adventices comme les renouées liserons, chénopodes sont fréquemment observées ainsi que des vivaces, tels les chardons.
Enfin, pour les ravageurs, la pression dépend essentiellement du contexte météorologique de l’année : hiver froid ou non, pluviométrie annuelle, température estivale…
Le réseau Dephy Minipest à Tilloy-lès-Mofflaines
Le projet Minipest est le dispositif expérimental du réseau Dephy. Il vise à concevoir, tester et évaluer des systèmes de cultures fortement économes en produits phytosanitaires, dans l’objectif de minimiser l’utilisation de pesticides en système de grandes cultures et cultures légumières, en Hauts-de-France.
Le projet d’expérimentation du Nord-Pas-de-Calais comprend deux sites expérimentaux : un système de grandes cultures, dans lequel des cultures légumières de plein champ sont intégrées sur le site de Tilloy-lès-Mofflaines et un système légumier de plein champ, dans lequel des grandes cultures sont incorporées sur Lorgies. Toutes les cultures seront ainsi testées au moins une fois en parcelles « agriculteur » sur la durée du projet. Cette échelle permet de mieux appréhender la faisabilité et le transfert aux agriculteurs des leviers mis en œuvre dans les sites expérimentaux.
Compte tenu des acquis et du contexte, ce projet a pour ambition de répondre à trois objectifs :
1. Réduire à l’extrême l’utilisation des produits phytosanitaires tout en maintenant une bonne performance agronomique et économique des systèmes.
2. Transférer les connaissances vers les producteurs et les apprenants.
3. Mesurer l’acceptabilité au niveau des acteurs des filières.
Les partenaires du projet sont la chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais (chef de file), l’école Junia de Lille (chef de projet), le pôle légumes de la région Nord, le lycée agro-environemental de Tilloy-lès-Mofflaines, la Fredon (experte en santé des végétaux) du Nord-Pas-de-Calais, l’Unilet (interprofession des légumes en conserve et surgelés), l’Ulco (université du littoral Côte d’Opale) et l’Institut Technique de la Betterave.
L’objectif est d’avoir, pour chaque culture, la conduite IFT moyenne régionale. Les interventions s’appuient sur les préconisations des prescripteurs (distribution, instituts techniques et chambres d’agriculture).
Protocoles de l’itinéraire « IFT réduit »
L’IFT réduit est divisé au minimum par 2 par rapport au témoin sur l’ensemble du système de culture (SDC), en tenant compte des leviers disponibles et de la valorisation des cultures. Il est ajusté en cours de campagne suivant la pression annuelle des bioagresseurs. L’objectif est d’avoir une production commercialisable : c’est ce qui définit l’utilisation de produits phytosanitaires lorsque les autres leviers connus sont insuffisants.
Les leviers actionnés pour l’ITK réduction
Pour atteindre les résultats présentés dans cet article, plusieurs types de leviers ont été mis en œuvre sur les différentes cultures de la rotation. Tout d’abord le choix variétal, notamment pour la résistance à certaines maladies (la septoriose pour les blés, la cercosporiose pour les betteraves, le mildiou pour les pommes de terre). Ensuite, le désherbage mécanique a été utilisé pour toute la rotation ITK réduction (passage de bineuse, herse étrille, buttage…). La stratégie du faux semis est appliquée quand c’est possible. Des outils d’aides à la décision sont également mis à contribution (Miléos® pour les pommes de terre, méthode Intensité pression maladies pour la betterave). Des produits de biocontrôle à base de phosphonate de potassium (lutte contre le mildiou) ou de phosphates ferrique (anti-limaces) sont utilisés. Enfin, des stratégies d’évitement sont mises en place, à savoir le décalage des dates de semis, l’association de variétés pour le colza afin de lutter contre les méligèthes.
Focus sur les leviers utilisés pour la culture de la betterave
Sur les betteraves, plusieurs leviers ont été utilisés pour diminuer au maximum l’IFT dans la conduite de réduction. Le premier est l’usage du désherbage localisé, en parallèle du tout chimique, dans l’itinéraire classique. Les quatre passages de l’ITK référence ont été remplacés par deux passages localisés pour ne traiter que sur le rang de betteraves, un passage de herse étrille Treffler et deux passages de bineuses à moulinets (à partir de quatre feuilles des betteraves) sont réalisés pour détruire les adventices restantes et les nouvelles levées. La localisation des traitements suffit à elle seule à réduire l’IFT de 68 %.
Ensuite, pour optimiser la gestion des maladies du feuillage, la parcelle de l’itinéraire de réduction est implantée avec une variété tolérante à la cercosporiose et à l’oïdium, ce qui permet de diminuer l’IFT d’au moins un traitement (généralement composé de deux triazoles). Dans les deux cas, le déclenchement des traitement se fait au seuil établi par la méthode Intensité pression maladies.
Enfin, il est à noter que sur l’ensemble de l’expérimentation, aucun traitement de semences néonicotinoïdes n’a été utilisé, soit du fait du retrait de leur autorisation d’usage, soit des contraintes rotationnelles liées à leur utilisation. Les traitements sont appliqués en végétation, au seuil, c’est-à-dire à partir d’un puceron pour dix betteraves. Dans le cas de l’ITK réduction, si plusieurs passages d’insecticides sont à réaliser, le premier est appliqué en traitement localisé, ce qui permet de réduire de 66 % l’IFT.
Indicateurs technico-économiques
Différents indicateurs économiques ont été calculés via l’outil Systerre (voir tableau indicateurs technico-économiques). La marge brute est en léger recul ; en effet, le rendement obtenu en ITK réduction est généralement en baisse par rapport à l’ITK référence avec, bien sûr, des variations selon les cultures et selon les années. Le colza et les betteraves sont les deux cultures qui subissent les plus lourdes pertes de rendements (respectivement de 16,48 % et de 6,45 %) ainsi que le deuxième blé semé après les pommes de terre (- 10 %).
L’impact économique de l’itinéraire de réduction reste problématique : si les charges liées aux intrants diminuent (avec de fortes volatilités selon les années), les charges mécaniques (carburant et temps de travail) sont quant à elles en augmentation en raison de l’utilisation du désherbage mécanique, voire du désherbage manuel dans certains cas. Il est bien entendu qu’il s’agit d’un essai réalisé en micro-parcelles de 540 m2 dans une région donnée et une succession donnée, et que ces résultats ne sauraient être extrapolés à l’ensemble des régions en conditions de production.
L’objectif de réduction de moitié de l’IFT est atteint ; il se situe à moins 53,45 % sur l’ensemble de la rotation.
Sur les betteraves, ceci a été possible grâce à la combinaison de plusieurs leviers :
– Le choix d’une variété tolérante aux maladies et le suivi IPM.
– La combinaison du désherbage chimique et mécanique.
– Les traitements herbicides et insecticides réalisés en localisé.
Les résultats technico-économiques de l’ITK réduction sont globalement en baisse par rapport à l’ITK référence. Ceci est dû à une légère baisse du rendement et à une augmentation des charges, notamment carburant et mécanisation.