La production de betteraves sucrières a mis à l’abri de la faillite de nombreuses exploitations agricoles ukrainiennes. Cet automne, la sucrerie Ukrprominvest (UPI), située à Gaysin – région de Winniza- paie 50 € chaque tonne de betteraves récoltées par Johann Wenzl, fondateur de l’entreprise agricole Dukra Agro située à Rohy, région de Cherkazy (sud-ouest de l’Ukraine).
D’origine bavaroise, Johann Wenzl dirige une exploitation de 4 000 hectares où il y emploie 45 salariés en moyenne (jusqu’à 60 en été). La quasi-totalité des terres cultivée est louée 235 € l’hectare.
Johann est assisté par Velentyn Varenykov, agronome et par Oleksandr Popeluch, le directeur.
En Ukraine, le prix du sucre ne s’est pas effondré en 2022, lorsque la Russie a entrepris d’envahir son voisin. Le prix de la tonne de betteraves sortie-ferme payé à Johann Wenzl est même supérieur à celui perçu par les planteurs français. Et à Rohy, la sucrerie UPI, distante de 110 kilomètres, prend en charge 90 % des frais logistiques (15 €/t).
A contrario, les céréales étaient payées moins de 120 €/t au début du mois de novembre dernier, alors qu’elles valaient 260 €/t en 2021. Aussi, le chef d’entreprise ne parvient pas à couvrir ses charges sur les 2 300 hectares cultivés de blé et de maïs.
En fait, aucun producteur ukrainien de céréales n’a profité de la flambée des prix des grains récoltés l’an passé !
L’ensemble des agriculteurs était alors en état de sidération (alertes, missiles, mines, animaux abattus etc.). Les pertes s’accumulaient, alors que les prix des intrants flambaient. Un an plus tard, les chefs d’entreprise et leurs salariés ont appris à vivre avec le conflit en gérant, au jour le jour, leur exploitation, sans renoncer pour autant à saisir les opportunités qui s’offrent à eux.
Par exemple, le printemps dernier, Johann a décidé d’accroître sa superficie de betteraves de 130 hectares pour la porter à 460 hectares. Son exploitation est équipée des matériels nécessaires pour planter et entretenir une telle superficie. Et surtout, il a été encouragé par sa sucrerie à se lancer dans ce projet, car les betteraves allaient être bien payées. Le marché mondial du sucre est porteur !
Pratiques culturales allemandes
Pour cultiver ses betteraves, Johann Wenzl a importé une partie de ses pratiques culturales de Bavière, en Allemagne, où il produisait déjà des betteraves sur son exploitation de 80 hectares en Bavière, lorsqu’il a décidé de reprendre l’exploitation de Rohy en 2003.
En fait, Johann Wenzl est un précurseur. À son arrivée dans l’entreprise, il a insufflé un vent de modernité que l’on n’a observé que seulement 8 à 10 ans plus tard dans les autres exploitations agricoles ukrainiennes. Comme les prix des grains avaient alors flambé, les directeurs et les propriétaires des exploitations ukrainiennes avaient les moyens financiers pour investir massivement dans du matériel neuf.
Chaque année, les plantations de betteraves succèdent à des cultures de blé. Elles sont cultivées sur des parcelles d’au moins 100 hectares.
Johann a importé les pratiques culturales en vigueur en Bavière et a acquis des matériels « made in Deutchlands », pour être performant et compétitif.
« Avant de labourer en automne les parcelles de tchernoziom (terres noires), 120 unités de phosphates et 160 unités de potassium par hectare sont épandues », rapporte Velentyn Varenykov.
À la sortie de l’hiver, le lit de semences est préparé en deux temps. Les tracteurs ameublissent la terre avec un vibroculteur Kockerling Allrounder, puis ils affinent le sol en passant un Lemken Korund.
Semences traitées aux néonicotinoïdes
L’engrais azoté (120 à 140 kg/ha) sera épandu en plusieurs fois, avant puis après le semis, durant le cycle végétatif des plantes. Les semences sont enrobées de néonicotinoïdes.
Pour semer les champs, les ouvriers emploient un Monosem. Les semences Smart sont de plus en plus employées, car un seul traitement Conviso suffit.
Chaque été, un insecticide sera aussi épandu pour prolonger la vie des feuilles et des plantes afin que le développement des racines ne soit pas entravé par des parasites.
En Ukraine, produire des betteraves est une opportunité saisie par de nombreux directeurs d’exploitations qui n’en cultivaient pas jusque-là. Elles seront produites aux dépens des céréales qui ne sont plus rentables.
Frédéric Hénin
Au début du mois de novembre, six salariés ont déjà été mobilisés. Trois sont de retour et ont repris leur poste sur l’exploitation. Mais d’autres salariés sont susceptibles de partir au front.
En Ukraine, 20 % des hommes âgés de 18 à 60 ans sont mobilisables. Des exploitations agricoles peinent à trouver des ouvriers agricoles expérimentés pour remplacer leurs collègues mobilisés.
Johann paie un tractoriste 600 € à 670 € par mois, hors charges sociales. Il verse en fin d’année un intéressement à ses salariés. « Les ouvriers agricoles sont mieux rémunérés que les employés administratifs en ville », affirme Oleksandr Popeluch.
Ce dernier envoie des salariés dans des centres de formation afin d’apprendre la conduite de tracteurs équipés de GPS et d’outils d’aide à la décision.
Dukra Agro
Rohy (Ukraine)
SAU : 4 000 ha
Blé : 1 800 ha
Colza : 700 ha
Tournesol : 540 ha
Maïs : 500 ha