La volatilité des cours du sucre s’est rappelée au bon souvenir des planteurs en pleine assemblée générale de la CGB. Alors que les prix étaient au plus haut ces deniers jours, l’analyste de marché du groupe Sucres & Denrées (Sucden), Olivier Crassard, a annoncé en direct « un brutal décrochage » causé par une décision du gouvernement indien.
Au lieu de transformer sa canne en éthanol, l’Inde choisit désormais de la conserver pour faire du sucre ! Il n’en fallait pas moins pour réveiller les spéculateurs « La valeur du sucre, sur le marché mondial, a toujours été très volatile, et la période actuelle ne fait pas exception, a expliqué Timothé Masson, économiste à la CGB. Cela s’explique notamment par le fait qu’il y a finalement très peu de pays structurellement exportateurs de sucre. En effet, 70 % des exportations mondiales viennent de deux grandes régions : le Brésil, et l’Asie du Sud-Est – c’est-à-dire l’Inde et la Thaïlande. Et ces régions ont plusieurs points communs ; d’une part, le climat y est capricieux et, d’autre part, les politiques publiques sont bel et bien au service des filières sucrières ».
Cette concentration des acteurs, c’est ce qui frappe Sébastien Abis, le directeur du Club Demeter (voir tribune). « La moitié à deux tiers des volumes mondiaux est produite par 3 à 6 producteurs », indique-t-il. Le spécialiste de la géopolitique met aussi en garde sur l’arrivée de « la Russie qui sera demain le premier producteur mondial de sucre issu de betterave. Dans 10 ans, la Russie fera sur le sucre ce qu’elle fait aujourd’hui sur le marché du blé : elle sera un acteur très influent ! » La volatilité des prix à la baisse inquiète particulièrement Guillaume Gandon, vice-président de la CGB et président de CGB Aisne. « Je regarde avec attention le prix mondial qui supporte le prix européen ». En tant que paysan, il serait intéressé de retourner sur le marché mondial à condition d’avoir une pleine visibilité sur les prix. « On pourrait s’appuyer sur le marché à terme ou un autre dispositif qui permettrait de s’assurer que le marché soit le moins volatil possible, esquisse-t-il. Sinon il y aura un décalage entre la décision d’emblavement et le positionnement de la commercialisation des acteurs. »
Aux Pays-Bas aussi Arwin Bos, président de la coopérative néerlandaise Cosun, confirme que « le prix de vente est important dans la décision de planter »
Filet de sécurité
Le vrai danger est que les prix descendent au-dessous des coûts de production. « Nous n’avons plus de filet de sécurité en Europe, se désole Guillaume Gandon. Le ministère de l’agriculture devra être vigilent dans la construction de la nouvelle PAC pour que l’on ait un outil pour ne pas aller au casse-pipe demain. Sinon ce sera la fin de l’industrie sucrière européenne. » Pour soutenir les cours européens du sucre, Olivier Crassard estime qu’il « ne faut surtout pas faire de l’export structurel, c’est-à-dire dimensionner notre outil de production pour vendre tous les ans sur marché mondial. Ce serait un risque trop grand, car il est foncièrement instable et il pourrait se retourner si la production augmente. »
Timothé Masson explique que lorsque l’on manque de sucre en Europe, celui-ci bénéficie d’une prime, par rapport au marché mondial, de 150 à presque 500 €/t, selon l’ampleur du déficit anticipé. « Si on reste toujours déficitaire, on gardera la prime européenne, a insisté l’analyste de Sucden. En revanche, si l’on augmente fortement notre production jusqu’à couvrir notre demande interne européenne, on va perdre la prime européenne. » Stefan Streng, président de la Confédération des Planteurs de Betteraves du sud de l’Allemagne (VSZ) abonde : « Face à la variabilité accrue de la production mondiale à cause du changement climatique, chaque région du monde doit avoir un niveau d’autosuffisance dans production alimentaire ». Comme toujours en économie, c’est la maitrise de l’offre qui soutient les prix !
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Stefan Streng, président de la Confédération des Planteurs de Betteraves du sud de l’Allemagne (VSZ) et l’association économique du sucre (WVZ)
« Les conséquences du Green deal seront un renchérissement de nos coûts de production agricole, estime Stefan Streng, qui cultive 50 ha de betteraves en Bavière. On demande aux autorités de ne pas exagérer et de trouver un rythme de transition raisonnable. »
Arwin Bos, président de la coopérative néerlandaise Cosun
Sur la décarbonation, « il faut garder des usines efficaces », estime Arwin Bos, qui est producteur de pommes terre, mais aussi de betteraves dans la région d’Admsterdam.
« Dans le passé Cosun a pu donner des bons prix de betterave grâce à sa diversification. La décarbonation sera le défi clé que nous ne pourrons relever qu’avec l’aide de la technologie.
Les agriculteurs veulent bien verdir leur production, mais ils ont besoin d’argent pour investir et de temps. »