« Plus un paysage est complexe, plus il favorise la multiplicité de la biodiversité, a expliqué Caroline Gibert, chargée de mission agriculture et biodiversité chez Solagro, lors d’une conférence organisée par l’association Symbiose pour des paysages de biodiversité à la foire de Châlons (Marne). Il rend le système de production plus résilient ». Elle dénonce les remembrements historiques qui ont causé l’arrachage des haies et des arbres, soit 75 000 hectares en 40 ans rien que pour le département de la Marne. Aujourd’hui, l’arbre est remis au cœur des préoccupations agricoles pour les bénéfices qu’il apporte. L’agroforesterie, avec sa gestion intra-parcellaire, en est une illustration. Elle apporte des services écosystémiques maintenant reconnus par la Politique agricole commune (PAC).
Définir les espèces à planter en fonction du projet
Agriculteur à Sommepy-Tahure dans la Marne et président de l’association agroforesterie du Nord-Est, Jean-Bernard Guyot a planté ses 15 premiers hectares d’arbres en 2015, puis a poursuivi en 2020 et 2021. « L’arbre représente le meilleur investissement actuel, car il apporte de la biodiversité et des engrais et offre un parasol climatique à la culture », indique-t-il. L’agriculteur marnais a choisi de planter du bois d’œuvre pour espérer valoriser au mieux ce capital. Le retour sur investissement sera long, il en est conscient. « Il faut bien définir son objectif final pour choisir les espèces adaptées, prévient-il. Dans le cas d’une plantation, les arbres appartiennent au propriétaire foncier. Il convient alors d’établir des avenants aux baux avec celui-ci pour bien stipuler le rôle de chacun, quant à la gestion de l’arbre et son avenir à la fin du bail ». En 2015, il a bénéficié d’un financement de la Région Nord-Est à hauteur de 80 % du montant du projet. Aujourd’hui, cette subvention n’est plus, mais le programme « Plantons des haies » permet de profiter d’une même aide financière. « On peut penser que c’est insensé de planter des arbres dans une parcelle de grandes cultures, signale Jean-Bernard Guyot. Pourtant, les infrastructures agroécologiques, et particulièrement l’agroforesterie, sont adaptées pour répondre aux enjeux du futur. Elles participent au stockage du carbone, au ralentissement du cycle de l’eau au sein même de la parcelle, à l’apport de minéraux, à la préservation de la biodiversité, etc. ».
L’agroforesterie contribue au stockage de carbone du sol
« L’arbre est un puits de carbone, affirme Jean-Bernard Guyot. À lui seul, il produit 100 kg de feuilles par an, ce qui représente, à l’échelle d’un hectare, de grandes quantités d’éléments minéraux assimilables par les cultures. Ses racines apportent également de la matière organique et donc du carbone dans le sol ». Via l’agroforesterie, l’agriculteur marnais cherche à maximiser la photosynthèse et à optimiser la production agricole. « Les arbres protègent la culture de la chaleur, explique-t-il. En absorbant l’eau en excès et en transpirant, ils créent un microclimat favorable à la croissance des végétaux ». Caroline Gibert partage cet avis et précise que « les arbres offrent des bénéfices agronomiques face au changement climatique. Ils sont également au service de l’agriculture grâce à la mycorhization, une alliance entre le champignon et la plante qui stimule la croissance et favorise le développement rapide des racines ».
L’agroforesterie, même si elle présente de nombreuses vertus, n’est pas une diversification sans contrainte. « Avec ce système, nous multiplions les bords de champs avec, pour conséquence, un enherbement plus important et une perte de production, souligne Jean-Bernard Guyot. Durant les 15 premières années, il faut aussi veiller à entretenir les arbres, une tache annuelle de trois à cinq heures de travail par hectare ».
Caroline Gibert souligne que « l’agroforesterie réduit de 50 % la dérive des produits phytosanitaires et favorise la présence des auxiliaires, alliés de l’agriculture. Ces insectes sont en déclin du fait de l’agriculture intensive. Les populations d’oiseaux et de chauve-souris sont aussi moins nombreuses, c’est un indicateur ». Et Benoît Collard de poursuivre : « c’est un fait mais, en parallèle, nous assistons à l’arrivée de nouvelles espèces en lien avec plus de production de plantes messicoles. La Marne, malgré ses grandes parcelles et ses multiples intrants, représente un secteur très productif de miel, signe d’une biodiversité abondante. En revanche, quid du nombre de haies détruites à cause de l’urbanisation ? »
En 2013-2014, soucieux de son empreinte carbone, Jean-Bernard Guyot, agriculteur et brasseur, équipe sa microbrasserie d’Orgemont de panneaux photovoltaïques. Intéressé par les pratiques agroécologiques, il décide en 2015 de se diversifier et d’investir dans l’agroforesterie. En 2018, il commence sa conversion en bio et cultive du houblon entre les linéaires d’arbres de sa parcelle d’agroforesterie. Il modifie également son assolement pour produire de l’orge brassicole bio. Aujourd’hui, il est fier de dire que sa microbrasserie opère une transition agroécologique, en partie rendue possible par l’agroforesterie, et qu’elle tend à être autonome grâce à son exploitation agricole qui fournit les matières premières.