« Les filières endive et chicorée sont dans l’impasse ». C’est le cri d’alarme de Yannick Delourme, le responsable agronomie de l’interprofession de la chicorée. En effet, le retrait de la benfluraline (Bonalan) voté en décembre 2022 au niveau européen supprimait une des deux principales molécules du programme de désherbage de cette culture. « Les pays européens qui utilisent la benfluraline sont peu nombreux. Pour les autres, son retrait n’avait aucune conséquence », explique Olivier Deneufbourg, le directeur général de Gowan, la société qui commercialise ce produit.
Cette décision fait suite à un rapport de l’Efsa, l’agence de sécurité alimentaire européenne. « Cependant, à partir de ce rapport, deux pays ont intégré dans l’analyse du risque des mesures comme des bandes tampons, des zones de non-traitement (ZNT) et des buses anti-dérives : ils sont parvenus à la conclusion que l’Efsa avait été trop rapide dans son analyse et que la molécule pouvait être réhomologuée », explique Damien Ronget qui précise que la France n’a pas refait ce travail. Autre problème : l’analyse de l’Efsa s’est basée sur une utilisation à 8 litres / hectare alors que le plafond est à 6 litres / hectare en France.
Le 13 octobre dernier, les États membres ont enfoncé le clou en actant la fin du Safari l’autre herbicide majeur des deux cultures jumelles.
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Une interdiction sans solution
« Le Bonalan est la base du désherbage » explique Yannick Delourme. Incorporé au sol avant le semis de manière analogue à l’Avadex en betterave, il permettait de lutter contre les chénopodes, mais aussi contre beaucoup d’autres adventices « que l’on ne soupçonne pas ». De façon analogue à l’Avadex commercialisé par la même société, le produit est incorporé avant le semis par un travail du sol en raison de sa photolabilité. Mais le produit n’a pas d’alternative chimique, et le désherbage mécanique des chicorées et des endives est particulièrement délicat en raison de la faible profondeur de semis et de la fragilité des jeunes pousses : « pour produire de la chicorée, il faut être jardinier dans l’âme », affirme Yannick Delourme. Du côté de l’association des producteurs d’endives français (Apef), on réfléchit à des alternatives. Les producteurs d’endives biologiques utilisent depuis longtemps le désherbage thermique (avec du gaz naturel) grâce à la capacité de la plante à repartir après avoir été brûlée. « Mais, à l’heure du réchauffement climatique et de la décarbonation, est-ce que cette technique est vraiment plus écologique ? », s’interroge Régis Catteau, le directeur technique de l’Apef. Par ailleurs, il met en garde contre les risques d’incendie ou d’accident liés à cette technique. Enfin, il précise que le désherbage thermique est une opération délicate et que le redémarrage des plants d’endive peut être facilement compromis. Autre possibilité, le désherbage chimique de précision avec des outils comme le pulvérisateur Ara d’Écorobotix. L’adaptation des robots de désherbage utilisés aujourd’hui en betterave bio est aussi à l’étude. Mais quoi qu’il en soit, Regis Catteau est catégorique : « il n’y a pas d’alternative viable et opérationnelle à l’heure actuelle, et encore moins à un coût abordable ».
« Devant la situation d’impasse, les producteurs de chicorée, culture historiquement plus rémunératrice, vont se rabattre sur la betterave », s’inquiète Yannick Delourme. Il explique qu’une interdiction du Bonalan sans solution reviendrait à tuer les deux filières, qui, comme la betterave, sont liées à des outils industriels. En effet, les chicorées sont transformées dans une des quatre usines du Nord-Pas-de-Calais, et les endives sont forcées en endiveries. « 7000 emplois locaux sont en jeu », explique l’agronome.
Comme dans toutes les situations de distorsion de concurrence, la production locale sera remplacée par des importations. « Dans le cas de la chicorée, les importations viendront d’Inde, où les standards de production ne sont pas du tout les mêmes », explique l’agronome. Pour ce qui est de l’endive, la situation est plus complexe. Selon Régis Catteau, 50% de la production mondiale est faite en France, et 75% en Europe car c’est là aussi que se fait la consommation. Pourrons-nous donc acheter ce légume aux nombreuses vertus alimentaires en 2026 ? Quel pays les produira, et à quel prix ? Autant de questions qui restent en suspens.
Quelles perspectives ?
La société Gowan n’entend pas baisser les bras. Elle envisage de déposer une nouvelle demande d’homologation pour ce produit en enrichissant le dossier. « Nous estimons que le dossier était suffisamment proche de l’homologation pour le redéposer après l’avoir amélioré », explique Olivier Deneufbourg. Mais il prévient qu’une nouvelle autorisation n’interviendra pas avant 2030. Que va-t-il se passer durant ce laps de temps ? Les filières de l’endive et de la chicorée envisagent de demander une dérogation. Mais après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 janvier dernier sur les néonicotinoïdes, cette demande sera-t-elle recevable ? Marie-Sophie Lesne, la vice-présidente de la région Hauts-de-France, en charge de l’agriculture, a alerté Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, le 25 octobre, à l’occasion de l’inauguration du salon Betteravenir : « les producteurs d’endives et de chicorée vont faire des recherches accélérées cet hiver (…), mais je peux vous dire que s’ils n’y arrivent pas, en 2025, ce sera véritablement une hécatombe ».
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