« Une réforme pensée et conçue pour les agriculteurs, afin qu’ils soient mieux protégés face au changement climatique », annonçait le ministère de l’Agriculture, lors de la promulgation de la loi le 2 mars 2022 à l’issue des travaux du Varenne de l’eau et du changement climatique.
Quatre experts ont fait un premier bilan, le 10 octobre dernier, lors d’une table ronde organisée par l’Association française des journalistes agricoles (AFJA).
« Le régime des calamités était à bout de souffle, lance Franck Laborde, président de la Commission de gestion des risques de la FNSEA. La profession a donc fait des propositions : défendre une politique de prévention des risques, développer une garantie universelle et ouvrir l’assurance à tous les secteurs ». Mais aussi « bien définir et partager les responsabilités entre l’agriculteur, l’assureur et l’État ». Et, enfin, « mettre en place une protection minimale, y compris pour les non-assurés que nous souhaitons amener vers l’assurance ».
Premiers résultats positifs
Nadia Roignant-Creis, directrice du marché agricole de Groupama annonce « 9 000 exploitants supplémentaires couverts cette année, ce qui représente 1 million d’hectares protégés. On a réussi à protéger les éleveurs, notamment au nord de la France. 7 000 éleveurs ont souscrit un contrat prairie pour la première campagne. En grande culture, les surfaces assurées totales sont passées de 29 % à 34 %. On a beaucoup plus progressé en viticulture avec 44 % assurés (+14 %) et chez les éleveurs (9 % contre 1 % l’année dernière) ».
Chez Pacifica « on est passés de quasiment rien à 1 million d’hectares en assurance prairie. On atteindra l’objectif de 30 % de surface assurés en 2030. En fruits déjà, 18 000 ha sont assurés, soit 10 % en 1 an. En viticulture, 35 % des surfaces sont déjà assurés et en grandes cultures, on passe de 31 à 35 %. Ce premier essai est transformé dans un laps de temps très court », estime Jean-Michel Geeraert, directeur du marché de l’agriculture et de la prévention chez Pacifica.
Convaincre les non-assurés
« Il y a encore 75 % des surfaces non assurées. Il faut encore convaincre, estime Nadia Roignant-Creis. On doit expliquer que l’on peut accéder, pour un coût modéré, à la prise en charge totale du fonds de solidarité nationale. Car, pour les non-assurés, cette solidarité nationale va se réduire progressivement jusqu’à 35 % en 2025. Pour quelques euros, on peut bénéficier de la couverture à taux plein ». Jean-Michel Geeraert ajoute : « certes, le fonds de solidarité national est gratuit mais très peu protecteur ».
« Nous considérons que cette réforme va dans le bon sens, même si les taux de pénétration sont encore modestes », déclare Franck Laborde. « Avec 70 % de subvention, la réforme atteint l’objectif de proposer une meilleure assurance, à un coût moindre. Mais l’assurance ne se raisonne pas en termes de coût. Il faut aussi prévoir le coût de la non-assurance, qui peut mettre l’exploitation en grande difficulté. Lorsque j’ai des problèmes de trésorerie, je rogne sur d’autres dépenses, comme les engrais de fonds pendant un an ou deux, mais pas sur l’assurance ».
Assurances moins chères
« Les tarifs ont baissé, car les pouvoirs publics ont pris en charge les risques extrêmes : ceux au-delà de 50 % de pertes pour les grandes cultures et la viticulture, ce qui représente 15 % d’économie de cotisations, explique Jean-Michel Geeraert. Pour les producteurs d’herbe et de fruit, c’est entre 30 et 50 % de diminution de cotisation. Les pouvoirs publics n’ont pas lésiné sur les moyens pour prendre en charge les risques extrêmes et faire en sorte que tous les exploitants agricoles aient les moyens de se sécuriser, et d’acheter le niveau de franchise qui leur convienne ».
Quelles pourraient être les améliorations possibles ?
« À l’avenir, le progrès serait que le taux de prime soit précisément lié au risque porté par l’agriculteur. Celui-ci peut faire baisser ce risque en améliorant l’itinéraire technique. Si cette offre s’adapte à cette demande, on arrivera à une couverture économiquement valable, avance Jean Cordier, professeur émérite à l’Institut Agro Rennes.
Autre sujet, qu’est-ce que l’on assure ? « Un chiffre d’affaires ou des coûts de production ? Ce qui intéresse l’agriculteur, c’est la variabilité de la marge par hectare », déclare Jean Cordier. « C’est une véritable attente des agriculteurs, confirme Jean-Michel Geeraert, mais aujourd’hui nous n’avons pas le produit, on travaille dessus ».
Financement pas suffisant
Les pouvoirs publics n’ont pas lésiné sur les moyens en mettant 680 M€ par an. Est-ce que ce sera toutefois suffisant ? Jean Cordier répond : « les risques climatiques augmentent, donc la prime de risque augmente. Or, qui paie le risque ? L’agriculteur avec les surprimes, le Feader qui finance la subvention et la solidarité nationale qui indemnise en cas de coup dur. D’après mes calculs, si l’on envisage d’assurer 70 % des grandes cultures et un peu moins en arboriculture, on arrive à environ 1,3 milliard, contre 680 M€ aujourd’hui. Avec des accidents qui vont se multiplier, il faudra doubler les taxes parafiscales, la contribution de l’agriculteur, la solidarité nationale et l’apport de Feader, c’est-à-dire prendre l’argent sur les aides directes et le mettre sur la gestion des risques. Il faut avoir cette réflexion, car la partie financement n’est pas finie si l’on arrive à mieux couvrir la ferme France ».