Pourquoi un planteur devrait-il venir à Betteravenir ?
Guy Paternoster : Les betteraviers y trouveront un concentré de technologie en matière d’arrachage, de tassement du sol et surtout, ils pourront s’informer sur les solutions recherchées pour lutter contre la jaunisse de la betterave.
Betteravenir donnera une large place aux programmes de recherche français et belge : le Plan National de Recherche et d’Innovation (PNRI) et Virobet-Virbicon. La jaunisse est le principal challenge actuel pour nos deux pays. Ce salon sera aussi l’occasion de rencontrer les ingénieurs de nos instituts, l’Irbab et l’ITB. Compte tenu de la localisation (à 100 kilomètres de la frontière), on espère avoir de nombreux planteurs belges. Toute l’équipe de l’Irbab sera présente pour les accueillir.
Alexandre Quillet : Aux planteurs les plus motivés qui attendent des résultats sur la jaunisse, je leur dis : venez rencontrer les chercheurs des 23 projets du PNRI. Ils vous expliqueront pourquoi certains projets ont fonctionné et pourquoi d’autres non. Ils vous diront lesquels vont continuer demain, et ceux que l’on va arrêter, et pourquoi.
Il y aura aussi l’habituelle démonstration d’arrachage de l’IIRB, qui a confié à l’Irbab et l’ITB la mission de réaliser « Beet Europe » en 2023. Il y a 25 ans, les planteurs venaient à nos démonstrations pour chercher les notations de l’ITB sur les automotrices. Aujourd’hui, les agriculteurs confient bien souvent les clés d’une intégrale à l’entrepreneur, mais cela ne leur interdit pas de juger la qualité de l’arrachage de leurs betteraves.
Tous les corps de métier de notre itinéraire technique seront présents : les constructeurs, les firmes phytosanitaires, les semenciers et les autres exposants concernés par notre filière. On attend 10 000 personnes. À Betteravenir, il y aura tout sur la betterave !
Selon vous, quelles sont les pistes les plus prometteuses parmi les solutions identifiées dans le cadre du PNRI ?
A.Q. : Depuis 3 ans que le PNRI a été mis en place, nous avons énormément progressé. Nous connaissons mieux les différents virus, leur cycle, leur capacité de multiplication et le comportement des pucerons. Ces connaissances fondamentales permettront de peaufiner la lutte contre les vecteurs et les viroses.
Par ailleurs, le rôle des odeurs attractives ou répulsives sur les pucerons est pour moi une découverte importante de ces trois dernières années, et nous ferons collectivement de leur odorat si développé, un atout.
L’année prochaine, nous allons mettre davantage de moyens financiers dans les 71 fermes pilotes d’expérimentation (FPE), qui testeront notamment la nouvelle génétique. Nous observerons la réponse des variétés, non pas dans un laboratoire, mais sur des parcelles de plusieurs hectares. Nous serons vraiment dans le concret.
Avez-vous un programme de recherche équivalent en Belgique ?
G.P. : La Belgique est un pays diversifié et on a la chance d’avoir deux programmes : Virobet pour la Wallonie et Virbicon pour la Flandre. L’Irbab est partenaire dans ces deux projets complémentaires, en partenariat avec les centres de recherche régionaux et des universités, dont l’Université Gembloux Agro-Bio Tech de Liège. Nous avons aussi des premiers résultats intéressants au niveau des plantes hôtes, mais il faut creuser la question pour éviter les compétitions avec la betterave. Nous voyons déjà qu’il n’y aura pas une seule solution, mais un ensemble d’outils que l’on devra utiliser, sans oublier toutefois la protection chimique.
Le problème de la jaunisse est-il le même en France et en Belgique ?
A.Q. : Il n’y a pas de frontière pour le puceron. Les différences se font au niveau des modalités de lutte. En 2019 et 2020, la France n’avait pas de néonicotinoïdes et la Belgique bénéficiait d’une dérogation. Mais, quand nous avions une dérogation en 2021 et 2022, nos successions culturales – que l’on trouvait déjà contraignantes – étaient beaucoup moins fortes qu’en Belgique. Aujourd’hui, la Belgique a, par contre, pu bénéficier d’une dérogation provisoire pour l’acétamipride, ce qui n’était pas le cas en France.
Sur quels sujets vos deux instituts de recherche portent-ils leurs efforts actuellement et quel est le prochain défi pour la betterave ?
A.Q. : Actuellement, c’est la jaunisse qui mobilise une grande partie de nos énergies. Je pense que la recherche organisée au sein du PNRI préfigure tout ce qui pourra se faire en Europe, en termes de besoin de recherche pour répondre aux attentes sociétales. On s’attend à devoir utiliser de moins en moins de produits phytosanitaires et d’engrais. La recherche va donc être très importante pour concevoir de nouveaux itinéraires culturaux. C’est pourquoi le salon Betteravenir va aussi exposer les recherches sur d’autres sujets, comme la cercosporiose par exemple.
G.P. : Il y a un défi plus large : la décarbonation de notre production. Car, si l’on considère la production sucre, une partie significative des émissions de CO2 vient de l’agriculture. Même si, par rapport à toutes les autres espèces végétales cultivées, la betterave est sans doute la plus efficiente, puisqu’un hectare de betterave équivaut à 4 hectares de forêt en termes d’absorption de CO2, celui-ci est très vite relâché lors de la consommation du sucre.
Il faut donc améliorer le bilan entre la captation du CO2 de la betterave et les émissions que la culture va générer à partir des énergies fossiles utilisées. Les grands responsables sont l’azote et le carburant des machines. Si l’on veut améliorer le système, nous arrivons très vite aux problématiques du sol : la fertilité, le cycle de l’humus, le rôle des légumineuses et la préparation du sol.
Les rendements betteraviers stagnent depuis quelques années. Pourquoi ? Et faut-il l’accepter ?
G.P. : Il faut d’abord rappeler que les rendements ont fortement progressé chaque année pendant 20 ans. Aucune culture n’a fait ce gain de productivité. Si le rendement stagne aujourd’hui, c’est que la sélection se concentre sur d’autres critères, comme la résistance à la jaunisse et à la cercosporiose. Quand on intègre d’autres paramètres dans la sélection, cela s’accompagne souvent d’une perte de rendement. Et puis, nous n’avons plus la protection des néonicotinoïdes.
Nous savons tous que le potentiel de productivité de la betterave est beaucoup plus élevé, mais aujourd’hui il y a un plateau qu’il faut accepter, car nous cherchons dans d’autres directions que le rendement.
A.Q. : C’est exact, le potentiel continue d’augmenter. Chaque année, nos variétés témoins dans nos essais sont plus performantes que celles de l’année d’avant. Le climat joue aussi un rôle. Avoir des températures plus élevées au printemps fut un avantage indéniable au début des années 2000, cela nous a permis de semer plus tôt, et d’optimiser la croissance de la plante. Je vous donne un exemple concret : nous produisions 8 t/ha de sucre dans les années 85-90, dont 4 tonnes avant le 31 juillet et 4 tonnes après. Dans les années 2010-2015, nous produisions 14 t/ha, dont 9 tonnes entre le semis et le 31 juillet, et 5 tonnes après. Aujourd’hui il y a souvent des problèmes de sécheresse au printemps ou en été qui compromettent le rendement, mais la betterave reste une plante exceptionnellement résiliente car elle repart après une canicule, du fait de son caractère bisannuel. Cette faculté représente toujours un énorme espoir de progression.
Certaines molécules très utilisées sur betteraves sont sur la sellette. Comment anticipez-vous cela ?
A.Q : On nous a retiré plusieurs triazoles ; et les strobilurines ne sont plus efficaces. Or, le gouvernement français a lancé un plan stratégique pour l’anticipation du retrait de substances actives et le développement d’alternatives. Ce plan a inscrit des insecticides, des herbicides et des fongicides essentiels pour la betterave dans une liste de produits, que le gouvernement voudrait voir disparaitre. Il y a notamment la seule triazole qui fonctionne encore : le Difenoconazole. Si on nous retire le Lénacile (Venzar) ou le Phenmediphame, là c’est la mort du désherbage. Et la Flonicamide (Teppeki) et le Spirotétramate (Movento) sont les deux molécules pivot dans la lutte contre le puceron vert.
Le ministre dit qu’il n’y aura plus d’interdiction sans solution. Mais il faut voir quelles sont les solutions proposées. Pour nous, une alternative est quelque chose d’économiquement viable et applicable de façon réaliste.
G.P : Tous les instituts européens travaillent pour construire des alternatives. Ces alternatives utilisent souvent l’intelligence artificielle, qui a fait des progrès majeurs depuis 10 ans, par exemple pour cibler les mauvaises herbes. Mais cela a un coût, que le client final devra assumer.
Des responsables politiques viendront à Betteravenir. Quel sera votre message ?
A.Q : Monsieur Marc Fesneau, notre ministre français de l’Agriculture devrait inaugurer le salon le 25 octobre. Il a déjà évoqué publiquement une consolidation du PNRI pendant 3 années supplémentaires. Nous attendons et espérons une annonce plus officielle devant la filière réunie à l’occasion de l’inauguration de Betteravenir. Nous souhaitons aussi que la betterave serve d’exemple aux autres filières, pour faire travailler ensemble la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les entreprises privées.
Nous espérons aussi la présence du président de la région, Xavier Bertrand, des députés et sénateurs. Les messages seront très politiques. Face à l’idéologie et au dogmatisme, nous demandons aux élus du courage pour orienter la politique. Si le ministre nous déclare « les produits phytosanitaires entrent aussi dans la boîte à outils », nous aurons convaincu.