Première tendance partagée par Christine Le Souder, ingénieur R&D Arvalis spécialisée en fertilisation : depuis la première réforme de la PAC en 1992 et selon la base de données des analyses de terre (BDAT) pilotée par l’Inrae d’Orléans, la teneur en phosphore baisse dans les sols français. « Les agriculteurs ont tendance à faire l’impasse sur cet élément nutritif pour réaliser des économies, souligne-t-elle. Si à court terme, cela ne se voit pas sur le rendement en blé par exemple, à plus long terme, le stock s’épuise inévitablement. » En rotation betteravière, c’est moins le cas car la racine, classée très exigeante vis-à-vis de cet élément nutritif et du potassium, reçoit plus régulièrement de la fumure de fond. « Les sols limoneux des zones du nord sont plutôt bien entretenus, indique-t-elle. Se pose plutôt la question de savoir si des économies en fumure de fond sont possibles au sein d’une rotation betteravière. »
Comment alors déterminer les besoins ? Une méthode a été mise en place par le Comifer depuis les années 90. Toujours utilisée, elle s’appuie sur une base de données spécifique, inédite à la France, élaborée à partir de plus de 200 essais de longue durée menés, pour la plupart, de 1970 à 1990. « L’objectif de cette méthode est de déterminer si un apport est nécessaire pour ne pas perdre en rendement et stabiliser la teneur de phosphore ou de potassium dans le sol sur le long terme et non de l’accroître », rappelle l’experte. Quatre critères sont alors pris en compte : l’exigence de la culture, les teneurs du sol en P et K, l’historique récent de la parcelle en fertilisation et la restitution ou non au sol des résidus de la culture précédente.
Trois classes d’exigence selon les cultures
Clé d’entrée du raisonnement : l’exigence des cultures, réparties en trois classes (voir tableau des exigences). Certaines espèces répondent plus vite et plus fortement à l’absence de fumure que d’autres. Betteraves et pommes de terre appartiennent à cette catégorie. Le colza aussi, mais uniquement pour le phosphore. Ces cultures peuvent perdre jusqu’à 50 % de la production en cas de carence. Les doses élevées leur sont réservées. À l’inverse, le blé, moins exigeant, va peu réagir à un déficit en PK ou avec une faible perte de rendement, de l’ordre de 10 %.
Ensuite, l’analyse de sol donne une indication sur la disponibilité de ces nutriments, mais sa lecture s’effectue toujours en fonction du niveau d’exigence de la culture.
Deux normes d’interprétation sont établies par la grille du Comifer, par classe d’exigence des cultures : T impasse (seuil haut) et T renforcé (seuil bas). Les valeurs de ces seuils ont été déclinées dans seize régions*. En dessous de T renforcé, mieux vaut renforcer la fertilisation. Entre ces deux seuils, l’entretien du sol est à assurer, avec une quantité proche des exportations. Au-dessus de T impasse, la fertilisation n’est pas nécessaire. Ceci est à combiner, bien sûr, avec les autres critères.
Estimer l’exportation des cultures
L’essentiel du phosphore prélevé par la culture est présent dans le grain et donc exporté. En revanche, la majorité du potassium (80 à 90 %) prélevé dans le sol migre dans les tiges et les feuilles, sous une forme très soluble. Un blé de 80 q/ha restitue plus de 100 unités de K2O/ha par les pailles et chaumes. Par contre, les cultures fourragères exportent jusqu’à 200 à 300 kg de K2O/ha « il faut alors surveiller les apports et les teneurs du sol dans ces situations », ajoute Christine Le Souder. Ainsi, selon les cultures, les pratiques agricoles et la teneur du sol, l’apport en fumure pourra être nul ou équivalent à deux ou trois fois les exportations.
Côté produits, elle préconise la forme la plus rapidement disponible : « Du superphosphate ou une formulation PK 18 – 46 (phosphate d’ammoniac), du chlorure de potassium…, sans oublier les apports d’amendements organiques, les boues, les effluents d’élevage… ». Le recyclage des effluents est d’ailleurs un sujet abordé en recherche. Ces pondéreux sont souvent difficiles à déplacer hors de la ferme. Des procédés de traitement des effluents sont à l’étude, comme la production de struvite, riche en phosphore disponible.