Modéliser la cercosporiose pour mieux alerter
Le projet Cercocap « pilotage de la cercosporiose de la betterave par couplage entre modèle agroclimatique et capteurs connectés » vise à développer un outil d’aide à la décision, pour anticiper le développement de la maladie et prodiguer des conseils adaptés. Pour cela, il est nécessaire de prévoir l’évolution des symptômes, notamment l’augmentation du pourcentage de feuilles touchées (fréquence) au cours du temps. Cette démarche s’appuie sur les expérimentations menées par l’ITB et sur les compétences en science des données de l’Acta. Des centaines d’essais ont été compilés sur une période de 15 ans, pour étudier l’impact des conditions météo et des pratiques agronomiques sur les épidémies de cercosporiose. Des millions d’observations météo sont également mobilisées avec la meilleure résolution spatiale possible. Ainsi, pour chaque observation de la maladie, sont calculées près de 500 covariables potentielles telles que la température moyenne de la semaine écoulée, l’hygrométrie, la vitesse du vent, etc. Les méthodes de modélisation sont aussi très importantes pour obtenir la meilleure précision de prédiction possible. Les derniers travaux de l’Acta ont ainsi montré que les modèles historiques les plus simples ne sont pas assez robustes, et que le volume de données disponible est insuffisant pour utiliser des approches plus complexes, comme les désormais médiatisés réseaux de neurones. Le modélisateur s’est donc focalisé sur une méthode intermédiaire mais éprouvée : les arbres de décision (figure 1). La technique « LightGBM » a été retenue pour sa précision correcte et stable au fil des campagnes, ainsi que sa rapidité d’exécution.
Une procédure de validation exigeante
Tous les modèles doivent être validés après leur entrainement pour s’assurer que leurs prévisions ne seront pas trop éloignées de la réalité. Pour Cercocap, la méthodologie de la validation croisée est utilisée. L’utilisation du modèle est simulée dans les conditions d’une nouvelle campagne inconnue, en l’entrainant avec toutes les années disponibles, sauf l’année pour laquelle on cherche à prévoir l’évolution de la fréquence de cercosporiose. L’opération est renouvelée pour chaque campagne du jeu de données. Cette méthode permet ainsi d’évaluer la stabilité du modèle au fil du temps ; d’identifier des années particulièrement difficiles à prédire pour lui ; et de chiffrer la qualité globale du modèle qui sera utilisé. Les résultats montrent que les arbres de décision assimilent efficacement les covariables et sont capables d’extrapoler une nouvelle campagne. La précision augmente davantage lorsqu’une donnée d’observation des semaines précédentes est fournie (tableau figure 3).
L’assimilation de données pour gagner en précision
L’évolution de la cercosporiose étant complexe à modéliser au cours de la campagne, un des objectifs de Cercocap est d’améliorer la précision des modèles grâce à des données d’observation antérieures. Concrètement, la saisie d’une observation au champ le jour J pourra alimenter le modèle et améliorer la précision de la fréquence prédite pour le jour J + 7. La technique est similaire à celle utilisée par Météo France pour améliorer ses prévisions, en y joignant les mesures des stations, des radars, des satellites, etc. Pour la cercosporiose, le but est de mettre au point un système polyvalent capable d’intégrer les notations réalisées dans le cadre du Bulletin de Santé du Végétal (BSV) ou par le futur réseau de capteurs autonomes. Les modèles statistiques classiques ont donc dû être laissés de côté au profit de techniques plus modernes, autorisant l’utilisation de données d’observation antérieures.
De nouveaux capteurs pour suivre la cercosporiose au champ
Déjà familiarisé avec les caméras connectées lors des précédentes campagnes, l’ITB a pu profiter d’une nouvelle gamme d’appareils pour suivre le développement des symptômes en 2023. La détection automatisée des symptômes de maladie au champ pose en effet de nombreux défis techniques. Tout d’abord, la petite taille des lésions de Cercospora beticola et le grand nombre de feuilles requis par la méthodologie IPM nécessitent de prendre en photo une surface de feuillage assez grande, tout en maintenant une résolution élevée afin de pouvoir distinguer avec certitude la maladie. Cette année, de nouveaux capteurs de 8 Méga Pixels ont permis de mieux capturer l’apparition des taches sur les feuilles. Des boitiers étanches transmettent les images, de manière autonome plusieurs fois par jour, tout au long de la campagne via le réseau téléphonique 4G. Cette programmation a plusieurs avantages : les observations sont disponibles sans avoir à se déplacer et sont très rapprochées dans le temps. Il est ainsi possible de suivre à distance la progression de la maladie, sans relever régulièrement sur place les photos acquises par les appareils. A l’avenir, ce mode de fonctionnement devrait être intégré au système d’information de l’ITB et complétera les observations humaines du réseau de Suivi Biologique du Territoire.
Des algorithmes plus perfectionnés pour quantifier la cercosporiose
L’ITB travaille en partenariat avec l’Université d’Angers depuis 3 ans pour développer des méthodes automatisées de détection de la cercosporiose. Des milliers de photos ont été acquises au champ à l’aide d’appareils variés : caméras connectées, robot, smartphone, etc. Puis, celles-ci ont été annotées afin de constituer une base d’apprentissage et de référence pour de futurs algorithmes. Les chercheurs ont notamment travaillé à diminuer la durée et la pénibilité de l’annotation lors de la première année du projet. Ils ont ensuite entrainé un premier réseau de neurones convolutif, spécialisé dans la reconnaissance de couleurs et de formes complexes. Puis, au fil des ans, les modèles utilisés ont été perfectionnés et complexifiés, pour identifier le plus précisément possible les minuscules symptômes de cercosporiose et atteindre aujourd’hui jusqu’à 60 % de réussite. Des techniques dites d’augmentation ont également été appliquées aux images pour rendre l’algorithme plus tolérant à des variations de luminosité, de contraste ou d’angle de prise de vue. Le panel d’entrainement a aussi été artificiellement élargi en synthétisant de nouvelles photos des betteraves malades à partir d’une combinaison d’images de feuilles saines et de taches fongiques. Enfin, courant 2023, des travaux ont été menés pour valider la robustesse du modèle face aux images issues de nouveaux capteurs. L’analyse préliminaire a montré que le catalogue d’image dont dispose l’ITB est suffisamment varié et représentatif des conditions de prise de vue au champ. Le réentrainement du modèle ne sera donc pas nécessaire chaque année. Cependant, les recherches se poursuivent pour améliorer sa précision.
La cercosporiose, associée historiquement aux étés des climats continentaux, gagne en importance depuis plusieurs années dans des régions où elle était jusqu’alors minoritaire. Bien que toujours préoccupant en région Centre et en Champagne, le champignon atteint désormais la bordure maritime. Cette année, les températures chaudes et l’hygrométrie matinale ont été favorables au développement de la cercosporiose qui est apparue fin juin au sud de Paris. Les Hauts-de-France ont été touchés, avec plusieurs semaines de décalage, fin juillet. La Normandie présente, elle, une situation intermédiaire avec une date de premier traitement assez tardive ; mais une progression rapide conduisant à une date de troisième traitement similaire aux régions du sud. Le maintien de conditions météo propices à la maladie a entrainé le renouvellement des fongicides : jusqu’à 4 applications pour les zones les plus atteintes. Ces statistiques sont issues des observations réalisées sur le terrain, par les observateurs du Bulletin de Santé du Végétal qui ont réalisé des comptages hebdomadaires sur 100 feuilles, afin de quantifier précisément la pression. Ces données sont valorisées : en temps réel par l’outil Alerte Maladies ; et par la modélisation, notamment dans le projet Cercocap.