Face au développement des méthaniseurs dans les Hauts-de-France, la chambre d’agriculture régionale coordonne depuis trois ans le projet AD’Métha. « L’objectif est d’optimiser un approvisionnement régional durable tout en maximisant la biomasse », présente Virginie Metery, responsable expérimentation de la chambre d’agriculture des Hauts-de-France.
Plus de biomasse en changeant la rotation
Les agronomes du projet étudient plusieurs rotations avec un dispositif expérimental et un réseau d’agriculteurs dans l’Aisne et l’Oise. « Nous comparons des systèmes de culture biomasse avec une rotation témoin typique de la polyculture élevage bovins lait en Picardie (colza/ blé-cipan/ maïs ensilage/ blé) », détaille Virginie Metery. La première rotation étudiée conserve la vocation alimentaire et fourragère du témoin en remplaçant le Cipan par une Cive, culture intermédiaire à vocation énergétique. La seconde, en rupture avec les systèmes conventionnels, favorise les cultures fourragères et les Cive. Elle intègre une betterave fourragère, suivie par un sorgho et par trois années de prairies temporaires.
Les premières expérimentations (2020-2023) indiquent une augmentation de la biomasse générale, avec plus 8 % pour la modalité « priorité alimentaire » et plus 14 % pour le système « priorité biomasse » par rapport au système témoin.
10 t/MS pour les céréales immatures
Globalement, les rendements des Cive atteignent 10 t/MS, constate Virginie Metery. La difficulté reste de trouver le bon compromis pour obtenir un bon rendement de la Cive sans trop pénaliser la culture suivante. Le tout, sachant que le rendement des céréales immatures peut pratiquement doubler entre une récolte fin avril ou fin mai. Un report de 10 à 15 jours dans la récolte du seigle peut faire gagner 3 t de MS mais diminuer fortement le potentiel de la seconde culture.
Les semis fin septembre et les récoltes début mai pour le seigle, le triticale et l’escourgeon immatures apparaissent comme le meilleur compromis. « La date de semis influe peu sur le rendement jusqu’à début octobre. C’est le meilleur moment pour optimiser la quantité et le pouvoir méthanogène de la céréale, avec 10 t/ha de MS », constate l’agronome. Les dynamiques de pousse varient. L’escourgeon couvre plus vite le sol en automne, mais le seigle pousse très vite au printemps.
« Le réseau de parcelles des agriculteurs confirme le stade optimal de récolte à la chute des étamines, début floraison, soit 24 % de MS », détaille Thierry Seguin, chargé des études méthanisation à la chambre agriculture de l’Oise. Ce stade varie selon la température et le rayonnement en sortie hiver. La teneur en MS de la culture reste un bon indicateur de la valeur méthanogène de la récolte. Plus l’ensilage est sec, meilleure est la production de gaz, avec un optimum autour de 30 %. Aller au-delà de 30 % de MS augmente le temps de la digestibilité dans le méthaniseur, ce qui n’est pas rentable. Le conseiller préconise d’opter pour des variétés précoces.
Pénalisation des cultures succédant à la Cive de – 43 %
Reste que dans les parcelles suivies, les cultures succédant à la Cive accusent une perte moyenne de rendement de 43 % par rapport à une culture semée sans Cive. Soit -44 % après un maïs grain, -37 % après un maïs ensilage, – 35 % après un sorgho ensilage. Les résultats varient fortement selon les dates d’implantation (mi-mai, mi-juin) et l’eau disponible, avec de fortes variabilités interannuelles. En cas de printemps pluvieux (2021), l’impact d’une Cive sur la culture suivante s’avère faible, contrairement au printemps et à l’été secs de 2020, où l’impact est conséquent. Par contre, en cas de précipitations estivales faibles (2019), l’impact reste modéré. Dans les sols superficiels à faible réserve utile maximale (RUM), l’impact d’une Cive est fort dans tous les cas et dépend entièrement des précipitations printanières et estivales.
Avec un fort impact de la pluviométrie et de la réserve utile
Après la récolte d’une cive d’hiver, la réserve utile n’est que de 17 % à 34 % de la réserve utile maximale (RUM). Et ce sans différence observée entre les espèces. De plus, l’eau restant dans le sol se situe dans les horizons de surface (précipitation du mois de mai).
En 2022, la deuxième culture a été fortement pénalisée par le manque d’eau sauf pour le sorgho (Amiggo) qui a atteint 10 t de MS. Les betteraves fourragères, semées fin mai- début juin ont produit 10 à 11 t de MS contre 14 t dans un itinéraire classique. Le maïs et le sorgho ont souffert de la sécheresse.
Les agriculteurs du réseau confirment une perte de rendement de la culture succédant à la Cive de 40 % du rendement par rapport à une culture conventionnelle. Avec des baisses importantes pour le tournesol, le soja et les betteraves fourragères en cas de sécheresse, contrairement au sorgho.
Changement de flore adventice
Autre souci, le développement des adventices. Retarder les dates de semis des cultures de printemps favorise l’apparition de chénopodes, notamment dans le sorgho et les betteraves fourragères. L’introduction d’une prairie temporaire pendant 2,5 ans coupe le cycle. Le mélange ray-grass hybride, trèfle violet incarnat, a permis une récolte de 18 t en trois coupes en 2021 (10/5/3 t MS/ha) dans le nord de l’Aisne. Mais en 2022, avec la sécheresse, le rendement a été divisé par deux. Un autre mélange dactyle/ray grass hybride/luzerne/trèfle incarnat/trèfle violet semé mi-septembre est testé pour une meilleure résistance à la sécheresse estivale. Le défi est de garder un approvisionnement durable face aux évolutions climatiques.