« Le pire devrait être évité en 2023 mais l’engagement de compenser intégralement les pertes de rendement doit être respecté », explique la CGB dans un communiqué daté du 10 août dernier. En plein milieu de l’été, le syndicat n’a pas tardé à répondre au délégué interministériel pour la filière sucre, Henri Havard, qui avait envoyé trois jours plus tôt un courrier à tous les acteurs de la filière betteraves sucre pour annoncer « qu’en l’absence de crise de grande ampleur, il ne sera très vraisemblablement pas possible de justifier l’activation de l’article 221 de l’OCM », ce qui signifierait revenir au régime dit « de minimis ». Problème : ces aides sont plafonnées en France à 20 000 € par exploitation, sur trois années glissantes. Même si leur application en 2024, sur la base des pertes liées à la jaunisse en 2023 ne comptabilise plus l’année 2020 – ce qui met les compteurs à zéro – ces aides seront loin d’être suffisantes.
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Très mauvais souvenir
D’ailleurs le régime de minimis a laissé un très mauvais souvenir aux planteurs touchés par la jaunisse en 2020. C’est donc un peu la douche froide. Car tous les planteurs ont encore en tête la promesse faite par le ministre de l’agriculture, à la veille des semis, « qu’ils puissent être couverts intégralement des pertes qu’ils pourraient avoir du fait de l’apparition de la jaunisse par les pucerons », comme le déclarait Marc Fesneau devant l’Assemblée nationale. Une déclaration qui avait conforté les semis de betteraves, qui auraient sinon pu sérieusement diminuer.
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Après cette déclaration du ministre, les services de l’État avaient travaillé pour trouver le véhicule juridique adéquat en cas de pertes dues à ce virus. La solution trouvée était d’activer l’article 221 du Règlement européen portant sur l’organisation commune de marchés des produits agricoles. Mais il s’agit d’une mesure prévue pour les crises avérées et de grande ampleur.
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Faible pression au niveau national
De fait, l’ITB estimait le 9 août dernier, sur son site internet, que la pression jaunisse était « assez faible jusqu’à présent » et notait « une sévérité de la maladie faible comparée aux années précédentes ».
« Mi-juillet, seul un secteur très limité au sud-est de Chartres présente des symptômes prononcés de jaunisse, jusqu’à 40 % de surface touchée, poursuit l’ITB. Les premières analyses virales réalisées en juin en région Centre signalent une forte présence du virus BYV (jaunisse la plus grave), et dans une moindre mesure du BtMV. Depuis fin juillet, des symptômes prononcés apparaissent dans le secteur de Châteaudun ».
Si la pression est donc assez faible au niveau national, dans les régions Centre Val-de-Loire et Île-de-France, les agriculteurs concernés pourraient connaître des pertes très significatives de rendement.
Le président de la CGB est donc monté au créneau : « l’engagement du ministre et du gouvernement devant le Parlement de compenser intégralement les pertes de la jaunisse doit être respecté pour les agriculteurs concernés, quelle que soit l’ampleur de la jaunisse et quel que soit le dispositif d’indemnisation retenu, afin de préserver les surfaces betteravières pour les années à venir », a déclaré Franck Sander.
Les réunions se poursuivent entre les services du ministère de l’Agriculture, le délégué interministériel et les représentants de la filière sucre. Il reste plusieurs points techniques à régler, à commencer par la démarche à suivre pour que les planteurs concernés par un sinistre jaunisse se déclarent. En tout cas, la CGB met la pression sur l’administration afin qu’elle apporte vite les réponses attendues.
Décidément, le virus de la jaunisse n’en finit pas de jouer avec les nerfs des planteurs.
Témoignage de Alexandre Pelé, président de la CGB Centre Val-de-Loire
« La présence des pucerons a été faible pendant tout le printemps. L’année semblait calme jusqu’au 15 juin. Mais à partir du 1er juillet, on a commencé à voir quelques ronds de jaunisse et, au 15 juillet, certaines parcelles étaient très touchées. L’expertise sera importante pour expliquer l’apparition tardive des symptômes. Des outils de suivi ont été mis en place et les agriculteurs ont fait 3 ou 4 traitements insecticides. Ils ont donc fait le boulot. Chez moi une parcelle est touchée à 10 %, tandis que l’autre l’est à 50 %, avec le même itinéraire technique. Dans la région, il y a des parcelles touchées à 100 % et d’autres à seulement 5 % ou 10 %. Les solutions techniques à notre disposition ne sont pas satisfaisantes. Il est urgent d’apporter aux agriculteurs des solutions techniques complémentaires pour lutter efficacement contre les pucerons ces prochaines années ».
Reportage – Henri Prévosteau, agriculteur à Sours en Eure-et-Loir
Coopérateur pour la sucrerie d’Artenay, les trois frères Prévosteau ont signé de nouveau pour 5 ans avec Tereos l’hiver dernier. À l’époque ils pensaient qu’ils pourraient ensemencer des betteraves traitées. Malgré les attaques de jaunisse, ils ne regrettent pas. « On a la betterave dans le sang, déclare Henri Prévosteau. Nous savons qu’il y aura quelques années tendues. On attend les améliorations variétales et des progrès dans la protection phytosanitaire. On espère aussi bénéficier des mêmes produits que nos voisins européens ».
La Société civile d’exploitation de l’Aval (SCEA), céréales, blé dur, maïs, pommes de terre de consommation, a toujours cultivé des betteraves. « C’est une culture très importante dans notre assolement ». Les 71 hectares de betteraves sont irrigués (il y a eu 2 tours d’eau cette année) et affichent un rendement historique de 92 t/ha. « L’année dernière, nous avons fait 95 t/ha et même 102 t/ha en 2014. Globalement, il n’y a pas de souci pour cultiver cette plante, nous n’avons pas de forte rhizomanie et les terres sont profondes ».
Alors, pourquoi les frères Prévosteau ont-ils subi des attaques de pucerons ? Un passage de drone effectué par l’ITB a montré certaines parcelles avec 50 à 60 % de betteraves atteintes et d’autres de 10 à 20 %. « Nous avons surveillé l’arrivée des pucerons dès le stade cotylédon et nous avons fait trois traitements avec une cadence tous les 10 jours. Le quatrième n’a pas été nécessaire car les betteraves couvraient le sol. On n’a pas lésiné sur la protection insecticide pour protéger des betteraves mieux payées qu’en 2020 », indique Henri Prévosteau. « Début juin, on se disait : on est sauvés. Et puis fin juin, les premières taches jaunes sont apparues ».
Dommage, car les betteraves ont été semées en 5 jours début avril dans de bonnes conditions, les parcelles étaient propres, la cercosporiose maîtrisée. Toutes les conditions étaient réunies pour avoir une bonne année.
Henri Prévosteau a encore en mémoire l’année 2020 et son rendement moyen de 44 t/ha. Les 3 frères étant en société (elle compte pour une entité contrairement aux Gaec), ils n’ont touché que 20 000 € d’aides de minimis. Le montant de l’indemnisation n’a couvert qu’une toute petite partie des pertes.
« Cette année, avec des betteraves payées 50 €, si l’on perd 10 % de rendement, cela représente déjà 33 000 € de pertes. On ne sait pas comment on va être indemnisés. On parle encore de plafond de minimis. J’ai entendu le ministre déclarer que nous serions indemnisés sans franchise et à 100 %. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ce sont des paroles en l’air et que nous allons être encore floués ».
Les attaques de jaunisse sont très localisées. Pourquoi ? Mystère. L’institut a donc mis en ligne un questionnaire sur son site internet afin de recueillir des informations sur les pratiques culturales réalisées par les betteraviers de la région Centre-Val de Loire et rechercher les différentes causes de jaunisse. L’ITB a cartographié un secteur au sud de Chartres où la pression jaunisse atteint de 10 à 100 % de la surface des parcelles.
« Dans le périmètre impacté, nous souhaiterions le plus grand nombre de participation, avec des parcelles sans jaunisse et des gradients différents, explique Claire Brigand, technicienne d’expérimentation pour la délégation ITB du Centre-Val de Loire. Si pour la même exploitation, vous avez des parcelles indemnes ou touchées à plus de 50 %, votre contribution pour chacune de vos parcelles est très utile ».
Les renseignements demandés portent autour de l’itinéraire technique, des variétés semées, de la situation de la parcelle, des aménagements et des traitements insecticides appliqués (produits, date, conditions météos…). Toutes ces données permettront de mieux comprendre pourquoi certains champs sont davantage touchés que d’autres.