Force des leviers
Parmi les leviers testés, l’apport d’engrais organique et la substitution de son équivalent en apport d’azote minéral (entre 14 et 22 unités N) ressort comme la pratique qui contribue le plus efficacement à l’amélioration du bilan carbone betteravier avec un gain moyen, toutes régions betteravières confondues, de l’ordre de 1,5 tonne équivalent CO2 (teqCO2) par hectare de betterave et par an. C’est principalement l’apport de carbone de ce produit organique qui permet d’augmenter le stock de carbone dans le sol. L’utilisation, en tant que couvert d’interculture avant l’implantation des betteraves, d’un mélange contenant une légumineuse permet d’économiser 20 u/N d’engrais minéral apporté à la culture, entraînant une réduction des émissions liées à ce produit. L’introduction de ce mélange permet en outre d’augmenter la biomasse à hauteur de 0,5 t de matière sèche (MS)/ha, ce qui favorise l’apport supplémentaire de carbone dans le sol. Par conséquent, ce levier permet, en moyenne, d’améliorer le bilan carbone de 0,8 teqCO2/ha de betterave/an. Quant à la substitution de la solution azotée par de l’ammonitrate (engrais minéral moins émetteur de GES), il s’accompagne, en moyenne, d’un gain carbone de 0,2 teqCO2/ha de betterave/an. Au final et en moyenne, la combinaison de ces 3 leviers peut ainsi contribuer à une amélioration du bilan carbone de l’ordre de 2,3 teqCO2/ha de betterave/an.
A partir d’une méthodologie approuvée qui valorise les modifications de pratiques agricoles
Afin de quantifier la marge de progrès du bilan carbone (en tonnes de CO2 équivalent évitées ou bien séquestrées dans le sol) pour la betterave, l’étude s’est basée sur des fermes types d’Arvalis représentatives de certaines régions betteravières à savoir la Picardie, le Centre-Val de Loire, la Marne, l’Île-de-France et l’Yonne. Ces fermes types Arvalis ont été reprises dans le cadre du projet « DEFT (Durabilité Économique et Fermes Types) » rattaché au Plan National de Recherche et d’Innovation (PNRI) pour la lutte contre la jaunisse. Leurs systèmes de culture, pratiques agricoles, et les prix considérés (2022), ont fait l’objet d’un important travail de calibrage en recoupant plusieurs sources de données dont celles provenant du registre parcellaire graphique.
Les calculs de gain carbone ont été réalisés sur la base de la méthode Label Bas Carbone Grandes Cultures (LBC -GC*), l’application de cette méthode permettant d’obtenir un bilan carbone net de référence (émissions GES directes, indirectes et stockage de carbone) pour les cas types considérés. Pour ce faire, les systèmes de culture prédominants de la région (exemple Picardie – figure 1-A) et les pratiques associées ont été utilisés. Afin d’améliorer l’empreinte carbone de base (exemple Picardie – figure 1-B), le choix des leviers appropriés pour la betterave a été effectué sur la base de l’évolution des pratiques tout au long de sa campagne culturale.
Leviers retenus
Couverts d’interculture : la moutarde blanche correspond au couvert de référence dans l’itinéraire technique betteravier des cas types. La possibilité de le mélanger avec des légumineuses (la vesce commune en l’occurrence) permet de valoriser l’apport d’azote atmosphérique. Cette fourniture d’azote vient ainsi se substituer (et donc réduire) l’apport d’azote minéral nécessaire à la betterave à hauteur de 20 unités. Ce mélange d’espèces peut être par ailleurs plus exigeant vis-à-vis de la qualité et de la période d’implantation, surtout en conditions stressantes au semis ou en végétation mais permet une amélioration de la production de biomasse du couvert (+ 0,5 t MS/ha dans le cadre de cette étude). Cette productivité doit être assurée par des semis relativement précoces, et une bonne mise en terre.
Apport de fertilisants organiques : globalement, son intérêt est son potentiel de stockage de carbone dans le sol. Bien qu’il contribue aux émissions de GES, c’est à un degré globalement moindre que celui des fertilisants minéraux. Ce bénéfice doit cependant être nuancé car il est très dépendant des produits organiques utilisés. Le choix du produit organique utilisé pour la betterave se base sur les données d’enquêtes du Service de la statistique et de la prospective (SSP), 2017. À ce titre, la pratique la plus fréquente dans les exploitations betteravières – toutes régions confondues – concerne l’apport de vinasses. Toutefois et afin d’obtenir plusieurs résultats à partir de différents produits organiques, l’apport de 3,4 tonnes/ha de vinasses n’a été testé que dans le cas de la ferme type Marne – Aube. En Picardie, c’est l’utilisation de 22 t/ha de fumier de bovin qui a été retenue. En Centre-Val de Loire, un apport de 4 t/ha de fumier de volailles a été considéré tandis que pour l’Île de-France et l’Yonne, l’apport a consisté en l’ajout de 5 t/ha de fientes de poule sèches. Tous ces apports correspondent par ailleurs à une réduction de la dose d’engrais minéral azoté de 19 unités en moyenne.
Changement de la forme d’engrais minéral azoté : le gain carbone calculé provient de la différence d’émissions de GES « amont » lors du process de fabrication de ces différentes formes d’engrais, ainsi que de la différence observée lors de la volatilisation ammoniacale de ces produits au champ. L’ammonitrate est un engrais azoté qui émet ainsi moins de GES en amont par rapport à la solution azotée. De fait, la dose totale de solution azotée apportée à la betterave a été remplacée par de l’ammonitrate.
Chaque levier a été évalué séparément pour mesurer son potentiel d’amélioration de l’empreinte carbone betteravière. La combinaison des trois leviers a également été testée. (Exemple Picardie – figure 2). L’application de la méthode LBC-GC vise à améliorer le bilan carbone au niveau du système, c’est-à-dire pour la plupart ou idéalement pour toutes les cultures présentes dans l’exploitation. Cette étude vise à obtenir un ordre de grandeur du gain carbone des leviers applicables sur la betterave à sucre uniquement, tout en estimant le coût économique des leviers appliqués.
Coûts des leviers/ha de betterave
Le coût de l’évolution des pratiques culturales (prix 2022) qui permettent d’améliorer le bilan carbone de la betterave à sucre a été évalué comme suit :
Mélange de couverts : la dose moyenne de semis du couvert d’interculture (moutarde blanche) est de 6,2 kg/ha. Dans tous les cas, le levier consiste à remplacer la moitié du couvert de moutarde par de la vesce commune. Ce mélange de couvert contenant des légumineuses est, dans nos estimations, moins coûteux que la moutarde et permet une réduction des charges d’engrais minéraux grâce à une diminution de l’apport de solution azotée pour la betterave de 20 unités N. Par conséquent, ce levier permet une économie moyenne de 37,4 €/ha de betterave (la variation autour de cette valeur moyenne allant de 35 à 41,6 €/ha – cf. exemple Picardie figure 3).
Changement de la forme d’engrais minéral azoté : la solution azotée à 39 % est l’engrais minéral utilisé dans tous les itinéraires techniques betteraviers de référence des cas types. À ce titre, la totalité de ce produit a été remplacée par de l’ammonitrate à 33,5 %. Ce dernier étant plus coûteux, ce levier engendre un surcoût moyen de 98 €/ha de betteraves (variation comprise entre 84,8 et 102,7 €/ha).
Produits organiques fertilisants : le coût de l’application de produits organiques fertilisants dépend de la nature du produit considéré sur chacun des cas types ainsi que du prix de l’épandage et du transport du produit en question. Dans tous les cas, l’apport organique sur betterave remplace son équivalent en apport d’azote minéral (l’économie d’azote minéral varie entre 14 et 24 kg/ha). En moyenne, la quantité épandue pour les 4 types de produits considérés est de 8,6 t/ha avec une variation d’entre 3,4 à 22 t du produit. Le coût moyen de ces amendements organiques est de 242,6 €/ha (le coût tient compte du prix de chaque produit, l’épandage et l’économie d’azote) et varie entre 48,8 €/ha et 397,4 €/ha.
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* Voir le cahier technique du Betteravier français n° 1150.
La méthode LB-GC a été élaborée par les instituts techniques de grande culture et Agrosolutions. Elle propose un cadre complet et rigoureux pour le montage et la conduite de projets visant à améliorer le bilan carbone de tout ou partie de l’exploitation, projets qui pourront être financés par des tiers privés engagés dans des démarches volontaires. Elle quantifie les émissions de Gaz à effet de serre (GES), dont l’essentiel se produit sous forme de protoxyde d’azote (N2O), soit en amont (phase de production d’engrais minéraux ou d’élaboration d’engrais organiques), soit au champ (émissions directes ou pertes par volatilisation et lessivage de l’azote, émissions par les résidus de cultures et de couverts). Elle quantifie également l’effet des pratiques sur le stock de carbone stable du sol. Un gain de stockage sera quantifié positivement, mais les pratiques peuvent être « destockantes » et jouer négativement. C’est l’addition de ces deux composantes, émissions et stockage, positives ou négatives, qui établit le bilan global carbone des pratiques. Il est exprimé en « tonnes d’équivalent CO2 » : l’effet GES d’une molécule de N2O équivaut à celui de 298 molécules de CO2.