Le milieu est directement responsable de la bonne santé d’une espèce. C’est ce que rappelle l’Office français de la biodiversité (OFB) dans un article sur la tourterelle des bois. Cette étude intitulée « Habitats, agricultural practices, and population dynamics of a threatened species: the European turtle dove in France » a été publiée dans la revue Biological Conservation. Elle concerne donc un petit gibier migrateur, qui était abondant jusque dans les années 1980 en dépit d’une chasse de printemps autorisée en Gironde. Malheureusement, depuis cette date, les effectifs sont en chute libre. Ils ont même chuté de 80 % alors que la chasse de printemps est interdite, que la période d’ouverture recule constamment et que les prélèvements sont minimes. Cette diminution est suffisamment importante pour que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ait ajouté l’oiseau à la liste des espèces classées « vulnérables » à partir de 2015.
Pourquoi cet effondrement ? Le fusil est hors de cause. La tourterelle des bois ne fait plus partie des espèces gibier. Mais même quand on pouvait la tirer, la majorité des oiseaux, à l’ouverture, étaient déjà repartis en Afrique du Nord. Quant à la pression de chasse au Maroc, rappelons qu’elle ne porte pas sur notre migratrice mais sur une cousine qui, elle, niche là-bas. Rappelons aussi que, depuis plusieurs années, l’ouverture de sa chasse a été reculée de plusieurs semaines. Quand on peut la tirer au Maroc (à partir du 16 juillet), toutes nos migratrices sont au nid en Europe.
Chose intéressante : une cousine, la tourterelle turque, prospère. Pourquoi ? Parce que son habitat ne bouge pas, qu’elle est sédentaire, niche dans tous les villages, roucoule en ville et qu’elle trouve sa nourriture plus facilement. Les effectifs de la tourterelle turque explosent. On voit ainsi combien l’habitat joue un rôle déterminant dans la prospérité des espèces.
Un oiseau de bocage
La tourterelle des bois vit, elle, dans le bocage. Elle aime se reproduire dans les haies, les lisières, les boqueteaux. Elle se nourrit de graines d’origine agricole (blé notamment) mais aussi de graines sauvages qu’elle picore dans les champs ou sur les prairies. Tant qu’il y avait des haies, du bocage et de petites exploitations, ce colombidé trouvait son bonheur. À partir du mois de mai, on pouvait le voir, souvent par paire, filer de ce vol rapide et capricieux. À partir du mois de juin, la tourterelle des bois roucoulait dans toutes les haies. Aujourd’hui celle-ci a disparu, les superficies cultivées sont immenses et l’espèce n’y trouve plus son compte.
« L’intensification des pratiques agricoles aboutit à un recul marquant de la biodiversité. Parmi l’ensemble des espèces concernées, les plus inféodées aux habitats agricoles sont particulièrement mises à mal et ce sont elles qui montrent logiquement les plus forts déclins, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord », notent les auteurs de l’étude.
Pénalisé par les surfaces dédiées au fourrage
En France, pays accueillant la deuxième plus grande population en Europe après l’Espagne, un Plan National de Gestion a été rédigé en 2021. Il a fallu affiner le dossier. On n’a trouvé aucune corrélation positive entre les surfaces en céréales et l’abondance de l’oiseau.
On pense que l’effet positif des chaumes de céréales est contrebalancé par leur enfouissement rapide juste après la moisson.
L’oiseau est aussi pénalisé par les surfaces dédiées au fourrage (maïs, prairies de fauche…) : peu de ressources alimentaires et un accès limité par la densité et/ou la hauteur des cultures.
En revanche, les jachères favorisent l’espèce. Elles sont faciles d’accès et très riches en nourriture.
L’importance du linéaire de haies et de lisières est aussi un point capital. En effet, plus il y a de haies, plus les oiseaux peuvent nicher.
Ce travail révèle le rôle très important des jachères dans la conservation des populations de tourterelles des bois en Europe. Il faut rappeler que ces jachères favorisent une large gamme d’espèces et qu’elles contribuent donc fortement au maintien local de la biodiversité.
La tourterelle des bois, comme la caille ou la perdrix grise, a donc été frappée de plein fouet par l’évolution des paysages. Elle ne s’est pas adaptée au nouveau décor. Certaines espèces montrent davantage de souplesse. Le pigeon ramier – un colombidé lui aussi – vit aussi bien en ville qu’à la campagne ; il niche dans les chênes comme dans les platanes des jardins publics et même, en ville, entre les immeubles. C’est une espèce conquérante qui s’adapte en permanence. Et les populations explosent.
Beaucoup plus sélective et donc plus fragile, la tourterelle des bois ne niche plus si elle ne trouve pas de haies.
Mais la nature a du ressort. Si le milieu renaît, les espèces qui lui sont inféodées reviennent. Le travail en cours pour restaurer les paysages pourrait donc, à terme, porter ses fruits.