Les teneurs minérales des feuilles évoluent depuis 35 ans en France, a déclaré Alain Kleber, le référent en nutrition végétale du laboratoire d’analyse et de conseil en agro-environnemental Auréa, lors de l’Agroforum de la coopérative Agora en février dernier. Sur les céréales à paille, les analyses réalisées de mars à mai montrent une baisse significative du potassium, du manganèse et du bore depuis 1986. L’azote et le fer chutent aussi, mais avec beaucoup de variabilité. La teneur en cuivre reste stable, tout comme celle du magnésium et du zinc, mais avec, pour ces deux éléments, de la variabilité. La teneur en calcium, en revanche, augmente significativement. De même que celle du phosphore, mais avec une forte variabilité.
Des éléments moins assimilés avec le stress hydrique
Les éléments à tendance baissière (azote, potassium, manganèse et bore) rentrent par les racines d’une manière passive en suivant le flux hydrique. La régularité de ce flux explique la présence de l’élément minéral dans le végétal pour 65 à 85 %. Dès que les stomates se ferment (vent, température élevée…), les éléments ne passent plus dans le végétal. Une bonne réserve utile et un taux adéquat de matière organique améliorent l’absorption de ces minéraux, tout comme une bonne alimentation hydrique. Vu l’évolution climatique, les conditions d’absorption par le flux hydrique deviennent de plus en plus compliquées. Dans le sud-ouest de la France, les agriculteurs apportent du manganèse sur les feuilles, car les sécheresses ne permettent plus un bon flux hydrique racinaire.
Le phosphore, le calcium, le magnésium, le zinc et le fer ont une voie d’entrée racinaire active. Ils doivent être accolés à la matière organique pour être assimilés. Cette voie active fonctionne d’autant mieux que la rhizosphère (région du sol située sous les racines des plantes et soumise à leur influence directe) est performante. Son efficacité dépend de la texture, du pH et de l’aération. Elle explique 60 à 80 % de l’absorption de l’élément minéral dans la plante. Augmenter le taux de MO est le levier principal pour agir. Le soufre et le cuivre ont un comportement intermédiaire entre la voie racinaire active et la voie passive.
Cultiver une plante, c’est cultiver la rhizosphère
Pour étudier la nutrition des plantes par les éléments minéraux, il faut observer leur présence dans le sol, leur disponibilité et leur assimilation, détaille l’expert. L’analyse de terre reste incontournable pour quantifier la présence de l’élément. Ensuite, le pH, le manque d’oxygénation, l’apport de calcaire et les antagonistes renseignent sur leur disponibilité. Sur les terres d’Agora (Oise), 60 % des sols ont des pH supérieurs à 8 %, avec 15 % des sols calcaires à très calcaires. Ce qui indique des risques de blocage du phosphore et des oligo-éléments. De même, les terrains limoneux (75 % des sols de la coopérative) augmentent les risques de manque de porosité du sol. Ce qui peut pénaliser la vie rhizosphérique. Et cette situation entraîne une baisse de disponibilité du phosphore et de certains oligo-éléments, comme le fer. Ce risque est plus faible en sol caillouteux.
Enfin, l’assimilation de l’élément dépend de la climatologie, de l’aération du sol et de l’effet racinaire. L’efficacité des racines varie selon le volume, la profondeur, la répartition de la terre et la vie des micro-organismes. Cultiver une plante, c’est cultiver la rhizosphère. La nutrition minérale stricte n’existe pas. Elle passe forcément par la vie biologique.
Une bonne nutrition minérale passe par une bonne nutrition organique
L’amélioration de l’absorption du phosphore passe par une amélioration de la vie rhizosphérique. Dans l’Oise, la teneur moyenne en MO est de 2,25 %. 60 % des terres ont une teneur en MO inférieure aux références, avec une moindre capacité de régularité de nutrition en éléments N, K, Mn et B. Seules 15 % des terres ont une teneur élevée en MO.
Des équilibres entre éléments à préserver
Enfin, il faut veiller à l’équilibre entre les éléments dans la plante pour éviter les antagonismes entre eux. Pour l’azote, il faut veiller à 5 équilibres fondamentaux (N/P, N/K, N/Ca, N/Mg, N/S). Un excès instantané d’azote va pénaliser l’assimilation et la fonctionnalité interne du phosphore. Il faut éviter des apports trop importants d’azote au moment de l’absorption du phosphore. Une forte teneur en phosphore dans la sève, au contraire, indique que la plante a été déficitaire en azote à un certain moment.
Une croissance efficace nécessite un apport N/Ca correct. Le calcium est indispensable à la structuration et à la résistance physique des organes. L’azote intervient sur l’élongation et s’assimile plus facilement que le calcium. Dès qu’il a une croissance intensive (sol chaud), il existe un risque de croissance non structurée qui va apporter une fragilité physique à la plante (entrée des maladies, verse).
De plus, il faut raisonner les éléments en groupes fonctionnels (fonction floraison, photosynthétiques…). Si l’un des éléments est déficitaire, il bloque l’efficacité fonctionnelle globale.
Un déficit foliaire de manganèse de 70 % bloque l’efficacité de l’azote à 30 %. Lorsque l’on voit la carence en manganèse, il en manque déjà 50 % dans le végétal. Mais avant, l’efficacité de l’azote a déjà été réduite. De même, une teneur limitante en magnésium et en fer limite la valorisation de l’azote.
Autre antagonisme : l’apport simultané du manganèse et du magnésium va saturer les vacuoles de la plante. De même, il faut éviter de mélanger fer et manganèse. Leurs rôles sont proches et l’excès de l’un gêne l’autre. Bref, la nutrition est une affaire d’équilibre d’éléments, d’une rhizophère à développer et bien sûr… D’alimentation hydrique.