« Vous avez connu 2022. Ce sera une année normale au niveau climatique en 2055. Et ce pour la prévision optimiste du Giec (RCP 4,5°C) », résume Serge Zaka. Cet agroclimatologue, éditeur de l’outil d’aide à la décision ITK, a présenté les prévisions d’évolution climatique pour la région des Hauts-de-France, lors de l’Agroforum organisé à Beauvais, en février dernier, par la coopérative Agora.
Et de rappeler que 2022, c’est déjà trois degrés de plus que la moyenne 1900-1930. 2022, c’est aussi la deuxième année la plus sèche depuis 1959 avec moins 25 % de pluviométrie. 2022, c’est encore des températures hors norme toute l’année, avec des douceurs hivernales et de la canicule estivale. Et les records d’aujourd’hui seront les normes de demain, selon le Giec.
Le cumul du manque d’eau et des hausses de températures en 2022 a engendré des chutes de rendement spectaculaires. Avec pour le maïs – 24 à – 35 % en Nouvelle Aquitaine, – 31 % en Alsace et – 53 % en région Paca. Avec – 7 % pour la Normandie et la Picardie et – 10 % en Nord-Pas-de-Calais, le nord-ouest de la France s’en sort mieux.
En blé d’hiver, le rendement a été plutôt stable dans le nord de la France. Mais la moitié sud enregistre des baisses de – 10 à – 17 %. Le Nord-Pas-de-Calais bénéficie de légères hausses de rendement pour les cultures d’hiver et d’une diminution pour celles de printemps par rapport à la moyenne quinquennale. Mais sa production d’herbe a chuté de 25 %.
Les records de sécheresse seront les normes de demain
Projetons-nous maintenant à Amiens en 2100. La capitale picarde recevra de 780 à 800 mm, selon les prévisions du Giec, contre 600 mm en 1900. Mais cette pluie supplémentaire tombera essentiellement … En hiver, au moment où le sol ne l’absorbe pas. L’été, au contraire, la pluie diminuera avec des sécheresses récurrentes. L’évapotranspiration augmentera en hiver et surtout en été. Les pluies n’arriveront plus à compenser l’ETP l’été. Il manquera 40 à 70 mm. L’hiver par contre, le cumul des pluies et moins d’ETP serait positif de 90 mm. Autre phénomène aggravant : le nombre de jours de pluie efficace diminue fortement. Enfin, chaque augmentation de 1°C de température entraînera une élévation de 9% de la vapeur d’eau dans l’air.
5 à 6 jours au-dessus de 40°C
« Nous avons déjà connu une forte croissance des températures », insiste l’agroclimatologue. La France enregistre un gain de + 1,9°C depuis 1959. Et, selon les prévisions, Beauvais devrait avoir le climat de Bordeaux en 2070 et Paris celui de Montpellier. La température annuelle d’Amiens gagnerait + 2°C ou + 4,5°C (RCP 4,5 et RCP 8,5).
Autre constat : les extrêmes de températures se normalisent. Entre 1976 et 2020, il n’existait pas de jours atteignant les 35 °C. Mais les prévisions indiquent des années avec plus de 16 jours dépassant ces températures, dont 5 à 6 jours avec + 40°C (RCP 8,5).
Les hivers devraient continuer à s’adoucir, avec une décroissance des jours de gel. Leur total a déjà été divisé par 2 à Cambrai, avec 30 jours aujourd’hui contre 60 en 1959. De même, le nombre de jours de gelées tardives (avril-mai) à Amiens devrait être divisé par deux, voire disparaître complétement.
Les rendements blé pourraient rester stables
Les incidences sur les cultures seront nombreuses. Jusque dans les années 1990, le blé a profité des progrès techniques avec des gains de rendements conséquents. Depuis, le progrès arrive juste à compenser les pertes de rendement dues au climat. Il n’empêche pas de grosses baisses selon les évènements climatiques. Le déficit hydrique pendant la montaison et le remplissage des grains et l’échaudage pendant ce remplissage expliquent 70 % des baisses de rendement national. Le reste s’explique par le changement de rotation (moins de légumineuses) et la désintensification, indique Serge Zaka.
Il manquerait, selon les deux scénarii, 30 à 60 mm durant l’épiaison pour couvrir l’ETP. De plus, les températures seront trop élevées. Le stress thermique, avec des températures supérieures à 25 °C de l’épiaison à la floraison du blé (en avril mai juin), atteindrait 10 à 15 jours à Amiens d’ici 2100.
Mais le rendement en blé devrait pouvoir rester stable dans le nord de la France, rassure Serge Zaka. L’augmentation du taux de CO2 favorise le rendement.
Le maïs, dont le rendement augmentait régulièrement, devrait atteindre un plateau. Par contre, la productivité des pois protéagineux pourrait encore chuter. Les fruitiers auront 60 % de risques de subir du gel. Pour les prairies, la saisonnalité va varier avec + 30 % de production au printemps et – 30 % l’été, avec des prairies paillasson. Autre souci : l’augmentation de jours stressants pour les bovins entraîne une baisse de production laitière (- 5 % en 2022 à Lille !).
Pour s’adapter, outre l’atténuation du dérèglement climatique, Serge Zaka cite l’amélioration génétique avec l’adaptation aux sécheresses et aux canicules, la culture de nouvelles espèces et le développement de nouvelles filières (mil, millet, sorgho, pistache…). Il prévoit aussi une évolution des itinéraires techniques : date de semis, technique de conservation des sols, gamme de précocité…), des techniques (retenues d’eau…) et l’emploi d’Outils d’aide à la décision (OAD), notamment pour gérer l’irrigation.
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*Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
La betterave sera pénalisée par l’évolution climatique sur deux critères : les températures et la disponibilité en eau. Elle a besoin d’une température minimale de 5°C pour se développer. Elle atteint son optimum de croissance à 25,3°C. Dès 35°C, elle stoppe sa croissance. Or, le nombre de jours supérieurs à 25 °C va considérablement augmenter. De même, les déficits hydriques vont aussi se généraliser, notamment en été.
Autre phénomène aggravant, l’accroissement de la pression pucerons. Avec 20 jours supplémentaires dépassant les 4°C, leur précocité va gagner 20 jours en 40 ans. De plus, leur survie hivernale sera facilitée par la baisse des jours de gel, avec un cycle de reproduction accéléré. L’augmentation de 2°C de température accroît le nombre de générations annuelles de pucerons (passage de 18 à 23). De même, de nouvelles espèces vont apparaître (plus 20 % d’espèces détectées en 30 ans). Seul avantage, les températures supérieures à 22°C l’été ralentiront leur activité.
Concrètement, Serge Zaka estime que la betterave a atteint son pic de production en Île-de-France vers 2012. Son potentiel de production pourrait diminuer de 20 % (hors évolution génétique, hors jaunisse et contexte socio-économique). En 40 ans, de 1970 à 2010, le rendement moyen de l’Île-de-France a pratiquement doublé (de 45 à près de 90 t/ha). Outre le progrès génétique (tolérance au stress hydrique, tolérance aux ravageurs), il a bénéficié de l’amélioration des techniques culturales, mais aussi des hausses de températures et du CO2.
Depuis 2010, la betterave a subi de nombreux problèmes climatiques : températures supérieures à 25°C et à 35°C, sècheresse, gel tardif et aussi interdiction de certains moyens de production comme les néonicotinoïdes. Ces dérèglements climatiques, avec hausse des températures excessives et sècheresse, vont s’accentuer et seront couplés avec une pression plus intense des ravageurs.
Gageons que la filière trouve des solutions, tant au niveau génétique que dans l’exploration de voies nouvelles (betteraves d’hiver ?). De plus, la betterave peut aussi apporter des solutions au défi climatique. Elle fixe 40 tonnes de CO2 par hectare, contre seulement 2,3 tonnes émises pour sa culture.
