Vingt-neuf ! C’est le nombre de bineuses, de herses étrilles et autres pulvérisateurs localisés, ou de robots qui s’élanceront à l’assaut des parcelles de betteraves pour la 8e édition de Désherb’Avenir en mai prochain au hameau de La Brosse dans le Loiret. « C’est la plus grosse édition », se réjouit son coordinateur, Ghislain Malatesta, par ailleurs directeur du département expérimentation et expertise régionale de l’Institut technique de la betterave (ITB). « Le désherbage mécanique est une technique en expansion, notamment depuis le printemps sec de 2022 qui a compliqué les traitements chimiques. C’est de moins en moins considéré comme une simple solution de rattrapage », explique l’agronome. L’objectif de l’événement est de montrer que ces techniques ont un réel intérêt, notamment pour la culture de la betterave. Pour les organisateurs, le chimique et le mécanique sont deux outils qui sont complémentaires et non opposés. « L’intervention mécanique permet de réduire l’Indicateur de fréquence de traitements (IFT) herbicides de la betterave jusqu’à -66 % sans passage manuel, en le combinant avec la pulvérisation localisée », explique Ghislain Malatesta.

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Tout ne dépend pas de la machine

« La qualité du binage, c’est avant tout la qualité d’un bon semis », explique Jean-Charles Lescieux, chef de produit chez Steketee (Lemken) dont plusieurs outils seront présentés lors de l’événement. Pour Ghislain Malatesta, c’est aussi le réglage de l’outil : « il ne suffit pas de reprendre les réglages de l’année dernière », précise-t-il. La réussite de l’opération est donc dépendante du sol. C’est pour cela que l’ITB s’est donné comme règle d’en changer les caractéristiques à chaque édition. Cette année, les parcelles à désherber auront volontairement un fort taux d’argile. « C’est un vrai challenge, surtout si la météo n’est pas clémente », prévient l’agronome de l’institut technique. Cependant, si la machine ne fait pas tout, l’arrivée sur le marché d’un certain nombre d’innovations participe pleinement au développement de ces techniques, et particulièrement celle du binage dont le suivi du rang demande plus de technologie.

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À chaque besoin son système de guidage

Au niveau des bineuses, les constructeurs observent toujours deux grandes tendances. Les agriculteurs bio ou ceux qui produisent des cultures spécialisées investissent dans des guidages par caméra en raison de la précision de ce système, mais aussi de la valeur ajoutée de leur production. On retrouve aussi dans ce groupe les agriculteurs conventionnels (souvent des jeunes) qui veulent travailler spécifiquement sur la réduction de leur IFT. La société Carré affirme vendre environ 40 % de ces bineuses avec caméra. Chez le constructeur Einböck, ce serait plutôt 50 %, et plus de 45 % pour Agronomic. Parmi les outils équipés de la sorte, l’entreprise vendéenne en vend 70 % à des agriculteurs conventionnels. « Nous ne pourrions pas vivre sur le seul marché du bio », explique Thierry Evelin, responsable marketing chez Carré. La fiabilité et la précision des caméras se développent rapidement avec les progrès du numérique. Par exemple, cette société annonce la commercialisation prochainement d’un système permettant de distinguer la culture et les adventices grâce à un réglage rapide de colorimétrie en cabine. Le marché de la caméra se partage principalement entre les constructeurs Claas et Tillett, explique Tim Vermersch, agent commercial de la société Agronomic qui propose les deux. Seule la marque Steketee fabrique sa propre caméra, affirme Quentin Viard. À noter que ce système de guidage devient inopérant à la fermeture du rang. Pour résoudre ce problème, certaines bineuses, comme la Transformeur VF de Horsch ou la Venterra de Schmotzer, disposent de palpeurs qui prennent appui sur les plants suffisamment développés pour guider la machine.

Faut-il sacraliser l’animal ?
Caméra de guidage Steketee. ©Steketee

La deuxième catégorie d’agriculteurs veut simplement remplacer ou compléter le dernier passage d’herbicide par un binage ainsi que profiter des autres intérêts agronomiques de cette technique. Ils se tournent davantage vers des systèmes de guidage moins onéreux (RTK déjà présent sur la ferme, roues coutres, trace effectuée dès le semis, joystick de guidage dans la cabine, présence d’une personne à l’arrière de la bineuse pour les outils d’occasion). La société Steketee exposera aussi une bineuse poussée, les 16 et 17 mai prochains. Pour Jean-Charles Lescieux, ce système apporte un vrai plus en termes de conduite et de guidage. « Je ne comprends pas pourquoi on n’y revient pas plus », s’étonne-t-il. Il explique aussi que les bineuses sans caméra se vendent à 100 % auprès d’agriculteurs en conventionnel.

Polyvalence

Afin de rentabiliser l’investissement souvent élevé, bon nombre des machines présentées s’adaptent non seulement aux différents écartements des cultures en ligne, mais aussi au binage des céréales. « 80 % des machines que l’on vend sont personnalisées », affirme Thierry Evelin en évoquant les différents écartements des cultures, mais aussi les modifications des semoirs à céréales permettant de marquer les passages de roue. À l’inverse, tout en conservant une certaine polyvalence entre les cultures, le constructeur Schmoter, fraîchement racheté par Amazone, mise plutôt sur les modèles industrialisables de la gamme Venterra pour les grandes cultures.

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Bineuse Venterra de Schmotzer. ©Schmotzer

Certaines sociétés commercialisent aussi une interface équipée d’une caméra qui s’attelle entre le tracteur et la bineuse. Elle permet d’utiliser plusieurs bineuses différentes avec le même système de guidage, et s’adapte également sur une bineuse d’occasion, si celle-ci n’a pas trop de jeu.

Par ailleurs, la bineuse Chopstar-Verso de Einböck a retenu notre attention, puisqu’elle est une des premières bineuses adaptées aux TCS, voire au semis direct, c’est-à-dire à la présence de débris végétaux importants. « Depuis deux ans, elle représente 80 % de nos ventes », explique Morgan Estienne, technico-commercial au sein de l’entreprise autrichienne.

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Bineuse Chopstar-Verso d’Einböck. ©Einböck

Intervenir sur le rang

Si la gestion de l’inter-rang est maintenant assez bien maîtrisée, plusieurs constructeurs se lancent à la conquête du désherbage sur le rang. En effet, le désherbage manuel reste encore le principal frein au développement de la betterave biologique. Historiquement, les solutions les plus avancées étaient la présence de doigt Kress ou d’élément de roto-étrille.

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©Schmotzer

Puis, certains constructeurs se sont inspirés du maraîchage pour intervenir de façon séquentielle entre les plants. C’est le cas du robot Farmdroid qui se base sur l’enregistrement de la position GPS de chaque graine semée, et qui a connu un certain succès.

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Les 16 et 17 mai prochains, la société Steketee présentera l’IC-Weeder, une bineuse équipée d’un système de deux lames, commandées pneumatiquement, qui effectuent un double recouvrement sur le rang. Utilisée actuellement en maraîchage, la machine pourrait intervenir en betterave grâce à un système d’intelligence artificielle capable de différencier un jeune plant de betterave d’une adventice de la même taille et de la même couleur. « Cette machine est plutôt destinée au marché de l’agriculture biologique, vu son débit de chantier et son prix », explique Quentin Viard, de l’entreprise Lemken. En effet, l’outil de 3 mètres de large vendu à plus de 100 000 euros ne peut dépasser les 2 km/h et désherbe 0,5 à 0,8 ha/h. « Pour l’instant, nous ne commercialisons pas ce modèle auprès des betteraviers : nous voulons vérifier les performances que nous annoncerons », explique Quentin Viard. Si l’IC-Weeder a l’avantage de pouvoir intervenir sur des parcelles implantées par tout type de semoir, il nécessite quand même un tracteur et donc un chauffeur pour évoluer. À noter que ces solutions ne sont pas adaptées à la présence trop importante de cailloux.

Les autres matériels (houe rotative, herse étrille et roto-étrille) connaissent moins d’innovation, puisqu’ils interviennent « en plein » et n’ont pas la contrainte du rang. On peut cependant noter que la majorité des constructeurs de herse étrille commercialisent un modèle de précision (réglable par câble ou par ressort), concept initialement développé par la marque Treffler (Stecoma). La marque Carré a développé un module supplémentaire, avec des ressorts de torsions, pour parfaire encore la régularité de l’agressivité de chaque dent.

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Herse étrille Cura 12 ST de Horsch. ©Horsch

Désherbage mécanique et désherbage chimique

Des solutions de robotique et de désherbage chimique localisé seront également présentées lors de l’événement (voir page 17 et 18). Plusieurs constructeurs proposent aussi de coupler leur bineuse avec des cuves ou des trémies frontales pour réaliser un désherbinage, une fertilisation ou un semis en même temps que le binage. La bineuse Schmotzer sera par exemple associée à la cuve autonome FT-P de son propriétaire Amazone, lors de l’événement de l’ITB. Elle peut l’être aussi aux trémies frontales vendues par cette marque. À noter cependant que le désherbinage n’est pas recommandé par l’ITB. En effet, les conditions météorologiques nécessaires à ces deux interventions ne sont pas souvent réunies en même temps. Si le désherbage mécanique doit être privilégié quand l’hygrométrie est importante, l’intervention mécanique nécessite de grandes plages horaires par temps sec. Le temps propice à un bon désherbage est donc plus limité.

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©Carré
Un marché très dépendant des subventions

Si ces outils semblent intéresser de très nombreux producteurs, on observe que la conjugaison de leur coût d’achat et des besoins de main-d’œuvre supplémentaires freinent souvent les ardeurs des plus écologiques. Au cours des dernières années, le marché des outils de désherbage mécanique a profité de plans de subvention importants. Tous les constructeurs témoignent que les commandes se sont concentrées autour de ces enveloppes. « Mais depuis que les subventions gouvernementales ont pris fin, le marché est devenu relativement atone », explique Thierry Evelin, qui précise que les agriculteurs attendent une nouvelle aide ou se rabattent sur le marché de l’occasion. Il reste encore les PCAE, mais ceux-ci sont très variables d’une région à l’autre.

Concernant les aides d’état, les constructeurs soulèvent l’étonnante absence de matériel de désherbage mécanique dans la dernière enveloppe débloquée par le ministère lors du salon de l’agriculture, et dont un des objectifs était pourtant de préserver la qualité de l’eau. Selon diverses sources, bon nombre de constructeurs n’ont pas été mis au courant de l’appel à manifestation d’intérêt ou n’ont pas pu y postuler. Thierry Evelin évoque aussi l’extrême complexité des dossiers d’appel à manifestation d’intérêt. « Beaucoup ne savaient pas répondre à la longue liste de questions qui nous était posée, comme le nombre d’emplois directs et indirects que la vente de l’outil allait créer », explique-t-il. « Ce genre de dossier, ça ne se remplit pas en une heure », ajoute-t-il. La vague d’investissement date de 3 ans environ et ceux qui ont bénéficié des plans de soutien se sont engagés à garder leur matériel 5 ans. On peut donc prévoir un engorgement du marché de l’occasion dans deux ans et, peut-être, une baisse des prix.

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©Agronomic