Depuis son élection à la présidence de la FNSEA le 13 avril, les grands médias présentent parfois Arnaud Rousseau comme le patron du géant agroalimentaire Avril (Lesieur, Puget, Diester ou Sanders). Or il est avant tout un agriculteur engagé dans son département, la Seine-et-Marne. Et c’est un betteravier !

Âgé de 49 ans, il dirige l’exploitation familiale installée depuis cinq générations sur la commune de Trocy-en-Multien, dont il est maire depuis 2014. Il y cultive du colza, du tournesol, du blé, de la betterave, du maïs, de l’orge et des cultures légumières de plein champ sur une surface de 339 hectares.

Planteur Tereos

Arnaud Rousseau n’a pas de mandat dans la filière betteravière, mais il suit de très près les dossiers. Lors de la manifestation du 8 février dernier sur l’esplanade des Invalides, il déclarait à propos de l’interdiction des néonicotinoïdes : « Nous voulons de la cohérence. Comment expliquer qu’un agriculteur français n’aura pas le droit d’utiliser des néonicotinoïdes cette année, alors que son voisin allemand va en utiliser ? »

Le goût de la betterave, il le tient de son père Jacques Rousseau, qui a présidé la CGB Île-de-France de 2003 à 2011. « Jacques Rousseau a œuvré pour la reprise de Béghin-Say par Tereos dans la région de Meaux en 2002. Il a fait du porte-à-porte pour convaincre les betteraviers d’adhérer à la coopérative. Je pense qu’Arnaud a été imprégné de tout cela », explique Jean-Philippe Garnot, président de la CGB Ile-de-France.

Jeune agriculteur, Arnaud Rousseau s’est très vite engagé dans le syndicalisme agricole en 2005 au sein de la FDSEA 77, qu’il va présider de 2013 à 2017, puis à la Chambre d’Agriculture de Seine-et-Marne et enfin à la chambre d’Agriculture de région Île-de-France, dont il devient le vice-président en 2019.

Mais avant de s’installer sur l’exploitation familiale en 2002, Arnaud Rousseau est allé se frotter au monde de l’entreprise avec, en poche, son diplôme de l’European Business School de Paris. Après des stages chez un semencier à Munich, puis chez un caviste à Londres, il rejoint en 1999 Sygma (l’union nationale des coopératives) avant de se lancer dans le courtage chez Valeurs Agricoles. Mais c’est dans la filière oléagineuse qu’il va prendre toute sa dimension.

Le choix des oléagineux

Arnaud Rousseau choisit la filière oléagineuse… Ou c’est plutôt la filière qui est venue le chercher en 2005, année où il est élu administrateur de la Fédération française des producteurs d’oléagineux et protéagineux (FOP). « J’ai proposé à Arnaud Rousseau d’intégrer le conseil d’administration de la FOP », se souvient le sénateur de Seine-et-Marne, Pierre Cuypers alors qu’il en était le vice-président aux côtés de Jean-Claude Sabin.

C’est à la FOP qu’il rencontre son mentor, Xavier Beulin, président d’Avril et de la FNSEA. « J’ai pu me faire challenger », se rappelle-t-il. Mais le décès soudain de Xavier Beulin en 2017 propulse Arnaud Rousseau à la tête d’Avril. « On le compare à Xavier Beulin. Oui, c’est aussi un visionnaire, admet Jean-Philippe Garnot. Arnaud veut conserver la présidence du groupe Avril pour peser sur les décideurs. Il veut maîtriser à la fois le côté syndical et le côté économique. Ainsi, il sait de quoi il parle. »

« Il a une connaissance opérationnelle du fonctionnement de l’entreprise. C’est un syndicaliste qui veut que ses convictions soient mises à l’épreuve », ajoute Gérard Tubéry, président de la fondation Avril et ancien président de la FOP de 2011 à 2017.

Cet engagement dans la filière oléagineuse et son souhait de bâtir des filières pour créer de la valeur ajoutée l’expose aux grands médias qui, comme pour Xavier Beulin en son temps, lui collent une étiquette de représentant de l’agrobusiness. Et puis on dit qu’il exploite 700 ha ! Arnaud Rousseau n’élude pas la question et explique tout simplement que son épouse – elle aussi agricultrice – s’est installée depuis 2006 sur l’exploitation de ses parents. « C’est elle qui gère au quotidien les deux fermes. Il peut aussi compter sur ses quatre salariés et sur ses voisins avec qui il a monté une méthanisation », explique Jean-Philippe Garnot.

Auteur du projet FNSEA 2025

En parallèle, Arnaud Rousseau gravit les échelons à la FNSEA jusqu’à en devenir le premier vice-président en juillet 2020. Il s’occupe du très complexe et très politique dossier de la nouvelle PAC et sa déclinaison au niveau français. Tout le monde a pu constater à cette occasion qu’il maîtrise parfaitement bien ses dossiers. C’est lui aussi qui a corédigé le projet stratégique FNSEA 2025 : son futur programme en quelque sorte… « Il est allé à la rencontre du réseau. Cela a été très structurant pour lui », confie un observateur.

Alors, quand Christiane Lambert annonce sa décision de ne pas rempiler à la tête de la FNSEA en décembre dernier, Arnaud Rousseau se déclare candidat. Il écrit une lettre à tous les présidents du réseau FNSEA et réalise une vingtaine de déplacements dans les départements, entre le mois de janvier et le Salon de l’Agriculture. En tant que producteur de grandes cultures, il doit convaincre ceux qui pensent qu’un président de la FNSEA doit forcément être un éleveur. « Je suis certain qu’il ne va pas tirer la couverture du côté des productions végétales et que les éleveurs ne seront pas déçus », annonce Jean-Philippe Garnot. « Je sais qu’il pourra faire communiquer l’ensemble des agricultures, des grandes cultures, de l’élevage, et l’aval de nos productions », ajoute Pierre Cuypers.

Entrepreneur du vivant

Le 13 avril pour sa première conférence de presse en tant que président de la FNSEA, Arnaud Rousseau a mis en avant les « entrepreneurs du vivant » qui veulent bâtir des filières et produire de la valeur ajoutée. « Nous avons besoin d’industriels forts », déclarait-il aussi dans une interview donnée au Betteravier français en juin 2020. « Très tôt, il a porté une vision claire et lisible de l’agriculture, explique Gérard Tubéry. Pour lui, l’agriculture est une opportunité pour la société au-delà de la production. Cette vision, il la porte aussi pour les agricultures du monde, en particulier en Afrique dans le cadre de l’association Agropole avec laquelle il a participé à des missions de développement ».

Tous ceux qui ont travaillé avec Arnaud Rousseau vantent ses qualités humaines. « Il a une très belle éducation, un esprit très dynamique, il écoute et travaille beaucoup », dit de lui Pierre Cuypers. Et Jean-Philippe Garnot d’ajouter : « J’apprécie ses qualités humaines et sa rigueur. C’est quelqu’un de très structuré et qui porte beaucoup d’attention aux autres. C’est très rassurant pour ceux qui travaillent avec lui. »

Des qualités qu’Arnaud Rousseau a sans doute développées en tant que capitaine de la réserve opérationnelle, d’abord au régiment de cavalerie de Saumur à partir de 1996, puis au 2e régiment de Hussards jusqu’en 2009. « Il saura se faire respecter, et la FNSEA sera écoutée », pronostique Pierre Cuypers.

Saint-Jacques-de-Compostelle

La vie d’Arnaud Rousseau n’a cependant pas été toujours facile. Dans un podcast de la série « Déclic : ce moment où tout bascule », diffusé en octobre dernier, il évoque un épisode qui a bouleversé sa vie : la chute de 8 mètres dans un silo en 2010 : « Le genre d’accident dont normalement on ne réchappe pas ». Il réussit à s’en extraire seul à la force des bras avec les deux jambes cassées. Neuf mois après, ce mordu de randonnée entamait une marche de 50 jours pour rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle. Il en a tiré la conclusion que face à « tout problème, il y a toujours moyen de sortir par le haut. »

Quel chemin Arnaud Rousseau fera-t-il prendre à l’agriculture française ? Les indices semés au gré de ses discours montrent qu’il prendra ceux « du goût d’entreprendre » et de « la fierté de produire. »