La terre d’abord ! Vendéen, né à Mouilleron-en-Pareds le 28 septembre 1841, Georges Clémenceau a passé son enfance et sa jeunesse à battre la campagne, blaguer avec les fermiers et les maquignons, danser aux fêtes des moissons, baguenauder sur les marchés et dormir dans les granges. C’est un paysan qui n’aurait pas fait tache lors de la guerre de Vendée, parmi les combattants de La Rochejaquelein. Mais avec une différence de taille. Il n’est pas « blanc » mais « rouge ». Anticlérical et socialiste. Il chasse d’abord « devant lui » la caille et le lapin avec des chiens aux origines improbables.

Devenu député du Var, il découvre avec amusement les chasses provençales. A l’ouverture, on l’invite en lui demandant d’apporter trois cents cartouches. Le soir venu, il n’a tiré et tué qu’une seule caille, probablement déposée par des électeurs qui ne voulaient pas le voir rentrer bredouille. Sa carrière progresse. Le voilà ministre de l’intérieur en 1906, ce qui signifie aussi l’accès aux chasses présidentielles. Il tire avec un juxtaposé à platines, calibre 12, de chez Gastinne-Renette et ce n’est pas « un sabre », loin s’en faut. Plus tard, participant à une grande chasse aux canards en Inde, il dira avec humour « le tableau était de 600 canards, sans moi il aurait été de 599. » Devenu président du Conseil en 1906, c’est maintenant un habitué des chasses présidentielles. Il participera à onze d’entre elles, à Marly-le-Roi et à Rambouillet. En 1907, un journaliste l’accompagne et raconte : «  Vêtu d’un confortable veston, solidement guêtré, la casquette légèrement inclinée sur l’oreille, on vit notre « Premier », malgré sa moustache blanche, montrer sa verdeur coutumière. Causeur intarissable, il anime de son verbe vif les intervalles des battues. Il tient son poste sur la ligne, l’œil guetteur, le fusil prêt, dans l’attente impatiente du coup de feu. On eut dit qu’il se rappelait les temps héroïques ou, de son banc à la Chambre, il excellait dans l’art d’abattre les portefeuilles. »

Faut-il sacraliser l’animal ?
Clémenceau à Rambouillet. Le port du fusil « à hauteur d’homme » n’est pas indiqué … ©DR

Doublé de tigres

Il chasse partout. En France et dans le monde. Il tire le colin de Virginie en Amérique du nord et la « martineta » qu’il appelle « martinette » en Amérique du Sud. Cet oiseau répugne à s’envoler et passe souvent à côté de lui en trottant ce qui lui inspire cette réflexion : « la martinette a une façon de vous regarder de côté où s’exprime clairement son mépris de l’espèce humaine. » En Afrique, il est déçu par une chasse sur le Nil : « les chasseurs ont un arc, une flèche, une ficelle. Ils lancent cela sur la bête. Quand l’hippopotame en a assez ils tirent sur la ficelle. On voit apparaître une sorte de grosse masse un peu ridicule que l’on mange. »

Faut-il sacraliser l’animal ?
Avec ses deux tigres. Le troisième a été tiré par le Maharadjah. A cette époque, la protection des espèces n’était pas à l’ordre du jour et le tigre en bonne santé. ©DR

Le point d’orgue de sa carrière cynégétique sera la chasse au tigre en Inde. Un Maharadjah l’a invité. Celui que l’on surnomme « le Tigre » – suite à une engueulade d’anthologie avec un préfet quand il était ministre de l’intérieur – ne veut pas rater cette occasion de se confronter à lui-même. Il a 79 ans. Fastueusement reçu, on le transporte à travers la jungle assis sur une chaise à porteur. On le poste. On lui adjoint un tireur d’élite pour sa sécurité. Une véritable armée de rabatteurs à pied, à cheval, à dos d’éléphant pousse le fauve vers lui. Mais la première chasse est un buisson creux. Il fera un doublé à la seconde, le 3 janvier 1921, dans l’Etat de Gwalior. Le « Père la victoire » s’est entrainé au tir avec un Express « Paradox » en calibre 500, une arme lourde et brutale qu’il a du mal à épauler. Pour tirer, il doit poser le canon sur un support. Il s’est demandé s’il allait tirer avec ou sans lorgnon. Finalement ce sera sans. Son poste est situé dans une vallée au bas d’une falaise. Il en a une autre devant lui. C’est au pied de celle-ci que surgit le fauve. Clémenceau le boule comme un lièvre et foudroie le second un quart d’heure plus tard. Présentant ses trophées à la presse quelques années après, il dira : « Je n’ai pas mal visé, il s’est couché comme une descente de lit. C’est beau un tigre mort, moins beau qu’un vivant. Mais dans une chambre, c’est plus commode. »

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« Ardeur farouche »

Toute sa vie, la chasse lui collera au corps et à l’esprit. Retiré des affaires en 1920 après avoir été mis en minorité à l’Assemblée Nationale, il achète en Vendée une petite maison au lieu-dit « Bélesbat », à Saint-Vincent-sur-Jard. Il l’appelle « ma cabane ». Il y vit simplement et a bel appétit. « M. Clemenceau mange et boit avec une sorte d’ardeur farouche. On croirait le voir s’acharner sur une proie. », rapporte un chroniqueur. Son valet, Albert, « vaque surtout à coup de fusil ». Il est, en effet, chargé du ravitaillement, notamment en perdrix qu’il braconne sur les terres alentour avec la bénédiction du patron.

Frappé d’une crise d’urémie à 88 ans, Clemenceau meurt trois jours plus tard, à 1 h 45 du matin, le dimanche 24 novembre 1929, à son domicile parisien. Quelques heures avant sa mort, il avait prévenu : « pour mes obsèques, je ne veux que le strict minimum, c’est-à-dire moi. »

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* « Clémenceau, les traques du Tigre », par François-Xavier Allonneau, Casa éditions. Prix : 29,95 €