La conduite d’itinéraires techniques betteraviers combinant l’emploi du strip-till, la localisation d’interventions herbicides et aphicides, et la non-utilisation du glyphosate se heurte à des difficultés de mise en œuvre. Les principales perspectives visent, soit à considérer des itinéraires techniques sans labour mais sans recours au strip-till, soit à réintroduire l’utilisation du glyphosate dans une conduite avec strip-till. Des solutions sont aussi considérées au-delà de l’itinéraire technique, avec un changement prévu de la rotation.
Concilier les objectifs : le défi de l’action Syppre
Les plateformes de l’action Syppre (voir encadré) visent à atteindre la multi-performance, avec notamment l’ambition de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires et les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, en 2019, il a été décidé de se passer du glyphosate afin, notamment, de contribuer à la production de connaissances dans une diversité de systèmes de culture. Un système témoin, représentatif des rotations conduites localement, et un système innovant, visant à atteindre cette multi-performance, sont confrontés sur chaque plateforme.
Celle-ci se réfléchit, sur ces plateformes, à l’échelle des systèmes de culture, et aussi au niveau des itinéraires techniques conduits.
Les stratégies testées sur betterave sucrière
Pour la betterave sucrière, cela s’est traduit par la mise en place de plusieurs leviers sur le système innovant de la plateforme Syppre en Champagne. Afin de réduire les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effets de serre, et aussi pour limiter les risques de battance en sol de craie, il a été décidé, sur le système innovant, d’employer un strip-till, travaillant uniquement la ligne de semis. Par ailleurs, afin de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires, le recours à la localisation, sur le rang des interventions herbicides et aphicides, et au binage a été mis en place sur les deux systèmes, innovant et témoin. En effet, le système témoin des dispositifs Syppre n’est pas une référence de conduite moyenne régionale, mais un système qui reproduit les successions culturales locales en appliquant aux cultures une conduite optimisée incluant l’ensemble des techniques actualisées préconisées par les instituts.
Pour les betteraves semées en combiné avec le strip-till, plusieurs stratégies ont été testées afin de gérer le salissement en sortie d’hiver, sans avoir recours au glyphosate. La première solution envisagée a été de ne pas retravailler le sol en sortie d’hiver, pour permettre de bonnes conditions de travail au strip-till, et limiter les levées d’adventices. En 2020, le salissement en sortie d’hiver étant composé principalement de graminées ; celles-ci ont pu être gérées dans les betteraves. Cependant, le développement important des vulpins a rendu les conditions de binage difficiles (photographie en bas à droite) et a certainement engendré une concurrence avec les betteraves. Par ailleurs, cette stratégie a pu être conduite uniquement parce qu’il n’y avait pas de dicotylédones présentes en sortie d’hiver. Le risque associé à cette stratégie, et sa difficulté de mise en œuvre, ont conduit à son abandon. En 2021 et 2022, il a donc été décidé de retravailler superficiellement le sol en sortie d’hiver afin de gérer les adventices avant le semis des betteraves combiné au strip-till. Cependant, cela a conduit à l’obtention d’un sol veule (photographie en haut à gauche), peu adapté aux exigences d’un travail réalisé par le strip-till. Ce dernier a formé des buttes de terre, entraînant la perte de la trace de guidage, et des difficultés, voire une impossibilité à passer la rampe de localisation et la bineuse. Ainsi, en 2022, il a été possible de localiser les interventions herbicides et aphicides sur les betteraves du système témoin, conduites sur labour, mais pas sur les betteraves conduites sur strip-till. Compte tenu du fort salissement dû à l’historique de la plateforme, et aux conditions sèches du printemps, le programme herbicide a été significativement renforcé. Cet écart de conduite s’est alors traduit par une réduction des charges liées à l’utilisation de produits phytosanitaires de 150 €/ha sur le système témoin par rapport au système innovant, et par une réduction de 40 % de l’IFT total. Il n’est donc pas satisfaisant de ne pas avoir la capacité de déployer ces solutions sur les betteraves du système innovant. Pour la prochaine campagne, les conduites seront adaptées de manière à recourir à ce matériel.
Un impact de la succession culturale sur le développement des adventices
Au-delà des écarts constatés pour les performances relatives à l’utilisation d’intrants, les modalités de betteraves conduites sur la plateforme se différencient aussi par le niveau de maîtrise des adventices.
Or, le projet Syppre vise aussi à maintenir des niveaux de productivité équivalents pour les deux systèmes expérimentés, et cela passe donc par le maintien d’un niveau de salissement satisfaisant.
La figure 1 donne les résultats de note de satisfaction de désherbage pour les différentes betteraves conduites sur la plateforme Syppre en Champagne. Pour trois années sur quatre, il en ressort des niveaux de satisfaction moindres sur la betterave n°2 conduite sur strip-till, dans le système innovant. Une présence accrue des chénopodes a été constatée sur cette modalité, conduisant à des difficultés pour les maîtriser. La principale hypothèse émise à ce stade est un impact de la culture ante-précédente (chanvre pour les betteraves de 2020-2021 – 2021-2022 ou tournesol pour les betteraves de 2018-2019), dans laquelle, en fin de cycle, des chénopodes à grenaison ont été observés. Sous chanvre, aucune intervention herbicide n’est réalisée. Seul un passage de herse est mis en œuvre sur la plateforme, et il n’est pas toujours suffisant pour gérer le salissement sous cette culture. Un deuxième passage pourrait être envisagé. De plus, l’itinéraire des betteraves sera adapté pour faciliter la gestion des adventices.
Cet exemple illustre parfaitement que la seule optimisation de l’itinéraire technique n’est pas toujours suffisante pour gérer une difficulté dans un contexte particulier. L’impact des successions culturales est parfois loin d’être négligeable, et doit donc être raisonné.
Réfléchir les perspectives selon l’atteinte des objectifs
Les enseignements acquis sur les conduites des itinéraires techniques betteraviers du système innovant, et les difficultés de maîtrise des adventices pour une modalité, obligent à revoir les stratégies testées jusqu’à présent.
Le maintien de la localisation des interventions herbicides et aphicides est une nécessité pour remplir les objectifs relatifs à la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires.
La question de l’utilisation du strip-till se pose compte tenu des difficultés rencontrées. Dans des itinéraires contraints par l’ambition d’atteindre de nombreux objectifs, celui-ci n’a pas pu être utilisé dans des conditions optimales. Son positionnement avait été décidé pour limiter les phénomènes de battance, et pour réduire les émissions de gaz à effets de serre. Pour ce premier point, aucun phénomène de battance nécessitant un re-semis de betterave n’a été constaté depuis la mise en place de la plateforme en 2016. En revanche, cela a été constaté sur le colza, pour lequel le strip-till avait rempli son rôle, puisqu’il avait permis d’éviter un re-semis, nécessaire pour le colza conduit sur labour. Pour ce second point, l’emploi du strip-till permet de réduire les émissions liées à l’utilisation de carburants d’environ 70 kgéqCO2/ha, ce qui reste relativement faible au regard des émissions totales estimées pour la betterave sucrière sur la plateforme (environ 2 200 kgéqCO2/ha). Le maintien du strip-till doit donc être considéré uniquement dans des itinéraires où l’on peut espérer observer un avantage agronomique. Dans le contexte de salissement de la plateforme, il a alors été décidé de s’autoriser un recours au glyphosate si cela s’avère nécessaire (voir figure 2).
Pour autant, même dans ces conditions, il n’est pas certain que l’emploi de la rampe de localisation et de la bineuse soient aisé. Il a donc été décidé, sur la betterave n°2 du système innovant, où la maîtrise du salissement est plus compliquée, de ne plus mobiliser le strip-till, et de réaliser une opération de déchaumage profond, et un travail classique de préparation de sol.
Enfin, un changement de la rotation du système innovant a été décidé pour la campagne 2023. Celui-ci s’est principalement justifié par l’abandon d’un pois de printemps, et le repositionnement d’un colza derrière un pois d’hiver. Cela a alors conduit à positionner le chanvre trois années avant les betteraves, au lieu de deux auparavant. À terme, l’impact sur la gestion du salissement dans les betteraves pourra être évalué.
Viser la multi-performance complique le choix des leviers à mobiliser sur une culture, pouvant parfois être antagonistes.
Des itinéraires techniques sur les betteraves sucrières ont été testés combinant l’utilisation du strip-till, d’une rampe de localisation et d’une bineuse, sans avoir recours au glyphosate. Des difficultés techniques ont été rencontrées et ont obligé à revoir les stratégies.