« La crise de l’apiculture est bien réelle, mais l’usage des néonicotinoïdes sur betterave n’a aucun impact sur la mortalité de mes abeilles » explique Abel Ferté, betteravier conventionnel et apiculteur bio à Cernon, dans la Marne. Ce céréalier cultive 190 ha et possède 80 ruches. « Du temps de mon père, on avait 400 ruches, et le chiffre d’affaires se répartissait à 50/50 entre la ferme et la production de miel », se rappelle l’apiculteur qui est aussi président de la section apicole de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de la Marne et qui vend toute sa production de miel directement en pots. « La mortalité des abeilles est très importante mais on se trompe de cause », ajoute-t-il. Selon son estimation, la chute du cheptel est d’abord due au varroa (entre 30 % et 50 %), au manque de nourriture (50 %), au frelon asiatique (20 %), aux incidents climatiques (20 %), aux erreurs des apiculteurs, particulièrement ceux qui sont amateurs (20 %), et seulement pour 10 % aux pesticides. Le total ne fait pas 100 % car la mort d’une abeille peut être multifactorielle (surtout entre le varroa et les problèmes alimentaires).
Pour ce qui est du varroa, les produits de lutte disponibles en bio ne sont pas assez efficaces, précise l’apiculteur marnais.
Gérer la ressource alimentaire
L’agriculteur explique que le problème de l’alimentation des abeilles ne réside pas dans la quantité de fleurs mais dans leur disponibilité dans le temps. « Nous sommes dans la logique de l’oasis et du désert. Cela signifie que les abeilles ont de l’alimentation à profusion pendant la floraison du colza et, ici, de la luzerne déshydratée, mais pas le reste du temps », raconte-t-il. En effet, la légumineuse arrive à fleurir environ une semaine avant la récolte et on laisse des bandes non fauchées. C’est très bon pour la nourriture des abeilles. « Entre ces deux cultures, c’est le désert. C’est pour cela que je me suis aussi lancé dans la culture de sainfoin et de trèfle violet en production de semences qui sont très mellifères », explique-t-il. Par ailleurs, « sur mes jachères, j’essaie d’implanter un mélange d’espèces apicoles mais ce n’est pas facile. Au-delà du surcoût (30 €/ha), il faut généralement les ressemer tous les ans car elles se salissent très vite en graminées », explique Abel Ferté, qui avoue ne pas réussir à le faire systématiquement par manque de temps et de main-d’œuvre. « Une solution pourrait être de les désherber chimiquement pour conserver les plantes plus longtemps », explique-t-il. « La nouvelle PAC devrait diminuer la surface de jachère obligatoire mais obliger les agriculteurs à y implanter des espèces mellifères », affirme-t-il. Pour lui, cela serait bien plus bénéfique aux abeilles et aux autres pollinisateurs. Il rappelle que les graminées ne servent à rien pour les abeilles. « Comme me l’a expliqué Philippe Lecompte, apiculteur bio et président du Réseau Biodiversité pour les Abeilles, qui m’accompagne dans mon activité, si les abeilles sont bien alimentées, elles résisteront beaucoup mieux aux virus », explique-t-il. Mais on peut comprendre que si Abel Ferté n’arrive pas à mettre en place systématiquement ses jachères mellifères, alors qu’il peut y trouver un intérêt, les agriculteurs non-apiculteurs n’auront pas plus de motivation pour le faire.
Les abeilles sont aussi menacées par le frelon asiatique qui les attaque en plein vol : c’est très impressionnant à voir ! « Je fais des pièges, mais ce n’est pas suffisant. Certains disent qu’il en faudrait dix par commune ».
Pour ce qui est de la protection des cultures, l’impact est en grande partie lié aux mauvaises conditions d’application, principalement des insecticides : « il faut absolument que le pulvérisateur soit rentré à la ferme quand les abeilles se lèvent », explique-t-il et déplorant que tous les agriculteurs ne le fassent pas. Mais pour lui, les néonicotinoïdes sur betterave ne posent aucun problème. « Par ailleurs, Philippe Lecompte m’a alerté sur le fait que certains nouveaux virus ne présentent plus de symptômes autres que le non-retour des abeilles. La mortalité conséquente ne peut donc pas être différenciée de celle des pesticides. Donc je pense que les mortalités non identifiables sont imputées à l’agriculture, surtout si la détection du virus est un test qui coûte 250 euros », affirme-t-il.
Abel Ferté avoue avoir peur de voir son cheptel continuer à péricliter, et même envisager l’arrêt de sa production. De l’autre côté, il s’inquiète fortement pour la culture de betterave. Il n’exclut pas de l’arrêter à moyen terme, à cause de la suppression des néonicotinoïdes. Quel paradoxe !
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