« Il faut garder la tête froide face à l’euphorie des prix de vente 2022, insiste Kim Daveaux, conseillère d’entreprise du CerFrance lors d’un bilan du centre de gestion des résultats des fermes de l’Oise le 14 décembre. En 2011-2012, suite à l’envolée des cours du blé, certains agriculteurs ont beaucoup investi et ont eu du mal à rembourser leur annuité les années suivantes ».
Certes, l’évolution des prix de vente et des produits donne le tournis. Les EBE (excédent brut d’exploitation) ont pratiquement doublé en 2022 par rapport à une année « classique ». Les marges brutes 2022 de blé atteignent 1 790 €/ha, contre 1 379 €/ha en 2021. Les marges brutes de betteraves 2022 sont proches de celles du blé dans l’Oise. Les faibles rendements (70 t/ha) ont heureusement été compensés par la hausse des prix d’achat des betteraves. Les marges brutes de colza approchent même les 2 000 €/ha. Le pois protéagineux reste à la traîne, avec une marge brute inférieure de moitié (940 €/ha) à celle du blé. Sa place est donc vraiment à examiner en fonction de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) et à l’échelle d’une rotation.
Ces moyennes cachent une grande diversité selon la date de vente du blé, mais aussi des réfactions dues au taux de protéines (30 €/t en moyenne). De même en betteraves, les rendements varient fortement selon les pluies estivales. Avec des écarts importants (parfois inférieurs à 60 t/ha dans le sud de l’Oise, contre 80 voire 85 t/ha localement dans le Nord-Ouest).
Hausse de 91 % des charges proportionnelles du blé en 2 ans
« Mais les marges ne vont pas rester à ce niveau-là », prévient la conseillère d’entreprise. Le centre de gestion a estimé les prochains résultats en intégrant les hausses des intrants 2022/2023. L’augmentation des charges aura un impact très fort en 2023. Ainsi, les charges proportionnelles du blé avaient déjà augmenté de 19 % entre 2021 et 2022 (de 469 € à 559 €). Elles devraient, par rapport à l’année 2021, augmenter de 91 % ! Avec près de 900 €/ha. En prenant pour hypothèse un rendement à 8,8 t/ha et un prix de 260 €/t, la marge brute du blé se situerait à 1 390 €/ha en 2023. En colza, avec un rendement de 3,9 t/ha et un prix de vente de 580 €/t, la marge brute diminuera de 45 %. En pois, elle resterait stable autour de 940 €/ha.
La betterave est finalement la seule culture où la marge prévue devrait progresser en 2023. Le Cer Oise l’estime à 2 000 €/ha, sous réserve d’une année à 88 t/ha et d’un prix de vente de 40 €/t. Une hypothèse optimiste sachant que la moyenne à 10 ans des rendements de betteraves de l’Oise a chuté à 80 t/ha, à cause des rendements catastrophiques depuis 2019. Une chose est sûre : les charges proportionnelles de la betterave vont aussi exploser à 1 434 € par ha, contre 876 €/ha en 2021. Soit + 64 %.
Le tournesol, cultivé depuis 3 ans plus régulièrement dans le département, a une des marges la plus stable (marge brute autour 1 400 € pour des rendements de 3t/ha). La faiblesse des charges proportionnelles explique cette stabilité. Cette plante doit néanmoins passer à travers l’appétit des oiseaux en début de culture. Enfin, le lin textile permet toujours de bonnes marges brutes (2 615 € en 2021, 2 751 € en 2022 et 3 322 € prévus pour 2023).
Des besoins de trésorerie supplémentaire de 60 000 € pour une ferme moyenne
Mais attention, alerte la conseillère, la marge brute doit aussi couvrir l’augmentation significative des charges de structure. En incluant la rémunération de l’agriculteur, il faut viser une marge brute de 1 450 €/ha pour le blé, l’escourgeon et le colza en 2023 pour couvrir les charges de structure. La marge brute doit atteindre 1 780 €/ha en betteraves si elles sont récoltées par une ETA à 2 000 €/ha quand elles sont arrachées par l’agriculteur. Le centre de gestion prévoit des marges brutes légèrement en deçà pour la récolte 2023 en blé, pois et colza. La betterave, avec un rendement à 88 tonnes, arrive à l’équilibre.
De plus, il faut prévoir une trésorerie suffisante pour absorber l’augmentation des charges en 2023. Ce besoin de trésorerie supplémentaire représente 60 000 € pour une ferme céréalière de 160 ha ou encore de 78 000 € pour une ferme betteravière de 200 ha, avec 20 % de plantes sarclées, estime le Cer Oise.
Outre les conseils d’utilisation de la DEP (déduction pour épargne de précaution), du PER (Plan épargne retraite), du PEE (Plan épargne entreprise), de l’intéressement et de la participation, l’à-valoir MSA, l’option triennale fiscale, l’étalement du revenu exceptionnel sur 7 ans, le Cer Oise préconise de mettre en place une épargne de secours pour anticiper un effet de ciseau qui arrivera : baisse des prix de vente et augmentation des charges. La prudence s’impose.