Associer des plantes compagnes aux betteraves sucrières est l’un des leviers testés sur le réseau des Fermes pilotes d’expérimentation (FPE) du Plan national de recherche et d’innovation (PNRI), pour réduire les populations de pucerons vecteurs de la jaunisse. Cette année, les essais conduits par l’ITB, les services agronomiques de sucreries et les lycées agricoles impliqués dans le PNRI, ont confirmé l’intérêt des graminées (avoine et orge de printemps) en plantes compagnes sur les pucerons verts (voir le Betteravier français n° 1151). Mais qu’en est-il de leur impact sur la jaunisse et le rendement ? Alors que la récolte des essais se termine, un premier bilan a été dressé pour les graminées (avoine rude et orge de printemps) et la féverole de printemps. Les symptômes de jaunisse sont réduits en présence de plantes compagnes dans plus de la moitié des modalités testées, mais elles ne permettent pas à elles seules de gérer la jaunisse. Des pertes de rendement parfois importantes sont observées, mais des ajustements de l’itinéraire technique sont encore possibles.
Une réduction des symptômes de jaunisse
L’intérêt des plantes compagnes sur la jaunisse a été évalué à ce jour sur 33 essais mis en place en 2021 et 2022, sur une partie du dispositif conduit sans protection aphicide. Sur ces essais, l’intensité des symptômes observés sur les betteraves sans plante compagne varie de 10 à 90 % de la surface touchée en jaunisse, la moyenne étant autour de 20–30 %. Les symptômes sont réduits à hauteur de 37 % en moyenne pour l’avoine rude et l’orge de printemps, et de 13 % pour la féverole (voir photo). La baisse peut être plus importante dans des situations fortement touchées. Le meilleur exemple est un essai conduit à Envronville en Seine-Maritime (76), où la surface touchée par la jaunisse dans les betteraves sans plante compagne est de 90 %, contre 10 % dans les betteraves avec de l’orge de printemps. Sur ce site, l’orge a été détruite très tardivement (stade 12 feuilles vraies des betteraves), ce qui pourrait expliquer cet écart important.
Dans la majorité des cas, l’effet sur la jaunisse coïncide avec l’effet observé sur les pucerons verts aptères au printemps, ce qui conforte les observations.
Une perte de rendement variable
L’année sèche de 2022 est particulièrement intéressante pour analyser l’effet concurrentiel des plantes compagnes en situation de ressource hydrique limitée. Afin de caractériser les situations où une concurrence entre les betteraves et les plantes compagnes s’établit, et de quantifier les pertes, des betteraves sans jaunisse ont été prélevées dans des zones avec et sans plante compagne sur 19 essais. La perte de rendement liée aux plantes compagnes est de 13 % en moyenne (voire figure 1), toutes espèces confondues. À une exception près, tous les essais affichent une perte de rendement, quelle que soit la plante compagne, qui peut être plus ou moins importante : 2 (au minimum) à 39 % (au maximum) de perte par rapport aux betteraves sans plante compagne. Les pertes de rendement les plus importantes observées avec des graminées peuvent être expliquées par une destruction trop tardive des plantes compagnes, au stade 12 feuilles des betteraves ou une densité trop importante, à plus de 100 pieds/m². Pour la féverole, la destruction a été réalisée au stade 12 feuilles des betteraves et les populations sont en moyenne à 20 pieds/m². Cet itinéraire technique semble être trop concurrentiel vis-à-vis des betteraves et pourra être réajusté. Des essais avec des pertes de 2 à 6 % ont montré des réductions de pucerons et de jaunisse intéressantes, mais l’inverse peut également être observé. Ces situations encouragent la poursuite des travaux sur ce levier avec des conditions d’implantation et de destruction qu’il faudra bien déterminer. Aucun effet des plantes compagnes sur la richesse n’a été observé à ce jour.
Conditions de réussite du levier
La réussite du levier « plantes compagnes » est conditionnée par une réduction du nombre de pucerons verts, des symptômes de jaunisse et par une absence de concurrence avec les betteraves. 6 essais sur 19 se rapprochent de ces conditions, avec un effet sur les pucerons et la jaunisse (10 à 40 % de jaunisse en moins), et des pertes dues à la concurrence moindre (de 2 à 6 % de rendement). Dans ces essais, les populations de graminées ont été détruites à tallage, au stade 6-8 feuilles des betteraves. Des essais montrent des pertes plus importantes à ces stades de destruction. Pour la féverole, la destruction a été réalisée à floraison, à couverture des betteraves. Cependant, d’autres essais affichent des pertes bien plus importantes pour une destruction à 12 feuilles des betteraves.
Perspectives
Ces deux années d’expérimentation montrent que les plantes compagnes permettent de réduire les populations de pucerons verts sur betteraves et les symptômes de jaunisse. Ce levier ne permet pas à lui seul de gérer convenablement la jaunisse, mais il peut avoir un intérêt en complément d’une protection aphicide ou d’une variété de betterave partiellement tolérante. Même si les conditions de réussite et d’échec du levier « plantes compagnes » ont pu être précisées, il n’est pas encore possible de conseiller un itinéraire technique précis évitant une concurrence avec les betteraves. La mise en place de cette technique demande de la rigueur, notamment pour la destruction des plantes compagnes mais, en pratique, cela n’est pas toujours simple à respecter. Par exemple, l’intervention herbicide pour détruire les plantes compagnes ne peut pas toujours se faire à la période souhaitée, à cause des conditions météorologiques notamment, et un écart d’une ou deux semaines peut vite être préjudiciable. Une piste d’amélioration de l’itinéraire technique avec les graminées pourrait être de tester des variétés qui ont un développement plus lent, et éventuellement d’une densité un peu plus faible. Un apport d’azote en fractionné fait également partie des pistes à creuser pour l’année prochaine. Pour la féverole, une destruction plus précoce semble être indispensable.